Poésies de Marie de France (Roquefort)/Fable LXXXIX

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Traduction par B. de Roquefort.
Poésies de Marie de France, Texte établi par B. de RoquefortChasseriautome II (p. 363-364).

FABLE LXXXIX.

Dou Gourpiz è dou Lox[1].

Un Horpix è un Lox tenchièrent[2],
E ensanble se currecièrent,
Si que nus nès pot acorder,
Ne lur raisun à bien turner.
[a]Ne purquant de ceste occisiun[3]
Alèrent devant le Liun ;
La parole li unt moustrée
[b]E la vérité racuntée
Li Liuns dist q’avis li fu

Ke li Lux aveit toit éu,10
E li Goupix aveit raisun ;
Mais tant i ot de mesprisun[4]
[c]Ainsi cum li esteit avis,
Tut ait li Lox ainsi mespris.
Sa mençungne est mix convenauble
E plus ressanle chose estauble[5],
Que du Horpil la véritez,
Nus d’ax n’en doit estre blamez.

MORALITÉ.

Ainsi deit faire li buns Sire
Il ne deit pas jugier ne dire20
Se li Hume qui de lui tienent
Iriéement à sa curt viennent.
Ne deit si devers l’un parler
Q’à l’autre n’en deie peser,
Mès adrécier à sun pooir
E li refaire remanoir.


  1. La Fontaine, liv. II, f. iii. Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe.

    Phædr., lib. I, fab. x. Lupus et Vulpis, judice Simio.

    Anon. Nilant., fab. xxxix.

  2. Ce début est le même que celui de la fable lxxxvi.
  3. Néanmoins ce fut à cette occasion qu’ils se rendirent par-devant le Lion.
  4. Le procès étoit tellement embrouillé.
  5. Stable, établie, stabilis.
Variantes.
  1. Ne pourquant por cheste raison

  2. Et l’uevre tote recordée

  3. Si com au Leu estoit avis ;
    Tout ainsi a le Leus mespris.