Poésies de Marie de France (Roquefort)/Fable LXXXVIII
Poésies de Marie de France, Texte établi par B. de Roquefort, Chasseriau, , tome II (p. 360-362).
FABLE LXXXVIII.
Doi Leus fors d’un bos s’encuntrèrent,
Là s’arresturent si pallèrent,
Que nus Huns nès osoit atendre[2],
Jà ne volsissent-ils rien prendre.
Ce dit li uns, kar essaions
A bien faire se nus poons,
Par coi nus éussions hennur,
Car cascuns a de nus paur[3].
Li autres dit : or oï mervelles
Qant tu tel cuse me cunselles ;
Di dunc ù nus purions aler,
Gel’ te sai bien, fait-cil, mustrer.
Vez-là ces chans ù la gent soient[4]
Qui ces jarbes cueillent è loient,
Alumes-i ; si lur aiduns
E les garbes ensanle metuns.
Bien avez dit, cil li respunt ;
Deci au cans venuz en sunt.
Le blé cuillirent è purtèrent,
Mais li Vileins les escrièrent[5].
Li uns des Leus a haut pallé
Sun cumpaignun a apellé ;
Vez, fait-il, cum il nus escrient,
Mal nus vuelent, è pis nus dient.
Nustre bienfaiz ne valt noient
Plus qe li max vers ceste gent.
Hastiument al bos r’aluns
Si feruns si cum nus suluns[6].
Iluec woèrent è prumistrent
Jamais ne ferunt bien ce distrent.
Ce veit-hum suvent dou Félun
Ki a mult petit d’aquoisun ;
Laisse le bien que il cunmence
Se il ne veit en sa présence
Le loier qu’il en velt avoir[7],
A mal aturne sun espoir.
- ↑ La Fontaine, liv. X, fab. vi. Le Loup et les Bergers.
Idem, liv. XII, fab. ix. Le Loup et le Renard.
Cette fable est sans doute imitée de Pilpay, voyez la fable lxxiii : Dou Lox qui jura par serment ; elle a quelque rapport avec le fabliau de La Confession du Renard, manuscrit n° 7318, dont le Grand d’Aussy a donné la traduction, Fabliaux in-8o, tom. Ier, p. 383. Voyez pour cette fable, le même ouvrage, tom. IV, p. 207.
- ↑ Atendre, voir, rencontrer ; ce verbe signifioit aussi attendre, écouter. Dans la Champagne, entre Nogent-sur-Seine et Troyes, on se sert communément du verbe écouter, dans la signification d’attendre. Traversant le pont de Nogent, j’y rencontrai le receveur des droits réunis, qui étoit seul ; lui ayant demandé ce qu’il faisoit ; il me répondit : J’écoute M. un tel qui doit me conduire à Villenoxe où nous avons affaire.
- ↑ Tout le monde a peur de nous.
- ↑ Vois ces champs où les moissonneurs coupent le bled.
- ↑ Crièrent après eux.
- ↑ Nous avons coutume.
- ↑ La récompense, le salaire qu’il en veut avoir.