Poésies de Marie de France (Roquefort)/Fable XXXVI

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FABLE XXXVI.

Dou Singe et dou Werpil,
alias
D’un Singe qui manda au Gorpil k’il li prestast de sa Keue[1].

Duns Singe dist qui demanda
A un Worpil qu’il encuntra
[a]Que de sa keuwe li prestast
Se li pléust, ou l’en donast[2].
Avis li fu que trop l’ot grant
[b]Car tuz sount couwé si enffant[3].

Li Werpis demande ke doit,
Que sa coë li requeroit.
Li Singes dist, ce m’est avis
Ne vus en iert niant de pris[4] ;10
Se m’en vulez uns pou donner,
Car el vus nuist à tost aler.
Dist li Gorpis ne vus en caut[5]
Ceste requeste po vuz waut
Jà de me keue ki ert granz
[c]Ne honurerez vos effanz,
En autre regne, n’autre gent[6].
Jel’ vus di bien apertement[7]
Mès k’ele fust de tel afaire
Qe jeo ne la peusse retrère[8].20

MORALITÉ.

Cest essemple pur ce vus di[9]
De l’aver Hume est autresi ;
Se il a plus qu’à lui n’estuet[10],
Nel’ vieut sufrir car il ne puet
Q’altres en ait aëse n’onur,
Mix l’aime à perdre chascun jur.


  1. La Fontaine, liv. V, fab. v. Le Renard qui a la queue coupée.

    AEsop., fab. vii.

    Phædr. append. Burm., fab. xxii.

    Rom. Nilant., lib. III, f. xxxvi. Simius et Vulpes.

    Anon. Nilant., fab. xlvi.

  2. On lui en donnât si cela lui plaisoit.
  3. Car vous savez qu’ils ont des queues dès leur plus tendre enfance.
  4. Elle ne peut être d’aucun prix pour vous, et vous devez d’autant plus m’en donner une partie que cette queue vous gêne dans votre marche.
  5. Ne vous inquiétez pas, ne prenez pas tant de soins. Du verbe caloir (calere).
  6. Soit dans un pays, soit dans un antre.
  7. Franchement, ouvertement, apertè.
  8. Abandonner, retirer.
  9. Par cet exemple, je vous montre qu’il en est ainsi de l’homme avare.
  10. S’il a plus qu’il ne lui convient, qu’il lui est nécessaire.
Variantes.
  1. Que de se coe li vendist,
    Qu’il li donast, ou l’en presist.

  2.  

    Car tuit ont coë si enfant.

  3. N’arez los, ne li vostre enffanz.