Poésies de Marie de France (Roquefort)/Notice sur Romulus

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Traduction par B. de Roquefort.
Poésies de Marie de France, Texte établi par B. de RoquefortChasseriautome II (p. 49-58).

NOTICE SUR ROMULUS[1].

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Malgré les recherches des savants de France, d’Allemagne, de Hollande, et d’Angleterre, on n’a rien de bien certain sur le nom et la patrie de Romulus, traducteur des fables, ainsi que sur le temps où il les a écrites. Quelques critiques, tels que Nilantius, Gudius et Eschembourg, pensent que ce nom de Romulus est de pure invention et n’en expliquent pas la raison. Pourquoi ce nom seroit-il supposé ? En est-il un de plus commun parmi ceux qui entendent et qui parlent la langue latine ?

Les inscriptions anciennes ne nous offrent-elles pas un Festus Romulus, un Caius Annius Romulus, un Posthumius Romulus, une Émilia Romula, un Caius Attius Romulus, et nombre d’autres que je passe sous silence ? Dans le moyen âge, ne voit-on pas en Italie une foule d’hommes de ce nom, ainsi qu’on peut le remarquer dans la Chronique d’Albini. Quelques critiques, en s’expliquant sur les fables composées par Romulus, les attribuent à Romulus Augustule, dernier empereur romain d’occident ; et de ce nombre sont Nilantius, Christius et Hauptmandus.

Dans une préface à Esope le moraliste, on trouve ces mots : Depuis, cela a été traduit en latin par Romulus, empereur romain, pour l’instruction de son fils. On lit encore dans l’avertissement placé en tête d’un manuscrit consulté par Nilantius : « Romulus, empereur de la ville de Rome, à son fils Tibérinus, salut. » D’après ces passages, d’après le témoignage de plusieurs savants, on a conclu que c’est un empereur romain qui est auteur ou traducteur des fables qui ont paru depuis sous le nom de Romulus.

Mais tout cela est fort incertain, et eu égard au temps, on ne peut attribuer ces fables à un souverain. C’est l’avis du célèbre Eschembourg, qui assure qu’à l’époque où l’on a commencé à écrire ou à lire ces fables, on a cru devoir, pour en augmenter le mérite, les mettre sous le nom d’un empereur romain. C’est ainsi que quelques fables ont paru sous le nom du roi Alphonse, et que des critiques ont fait du nom de Romulus celui de Romalius.

Au reste, on ne doit pas omettre ce qui a été découvert par Barthius, dans un très-ancien recueil qui contenoit des fables, écrites dans le genre élégiaque, d’un auteur anonyme, vulgairement appelé l’Anonyme de Nevelet, et où l’on trouve le passage suivant : Ésope fut le précepteur des Athéniens, et un certain empereur romain a prié le précepteur Romalius de lui envoyer quelques fables agréables pour le délasser un peu du poids des affaires, Romalius n’osant se refuser aux prières d’un si grand personnage, a traduit l’auteur grec en latin.

Mais, quoiqu’il soit ici question d’un livre de fables élégiaques qu’on attribue à l’anonyme de Nevelet, et non des fables de Romulus qui sont écrites en prose, il est aisé cependant de voir que c’est par erreur que le nom de Romulus a été changé en celui de Romalius, et que le précepteur Romalius n’est autre que notre Romulus dont les fables, qui n’étoient qu’en prose, ont été mises en vers par un anonyme ; de sorte qu’il ne doit point paroître étonnant que, par la méprise d’un glossateur ignorant, on ait attribué à Romalius, c’est-à-dire à Romulus, des fables élégiaques, trouvées dans un recueil manuscrit de Barthius.

On ne peut supposer que ce fabuliste fût d’Athènes, ainsi qu’on peut le voir en tête de l’édition d’Ulm, dans la dédicace de Romulus à Tibérinus son fils. Romulus à son fils Tibérinus, de la ville d’Athènes, salut : Un nommé Ésope, grec de nation, homme plein de génie, instruit les hommes par ses fables, etc. Cela se trouve ainsi rendu dans la version allemande de Steinhoewelius, ce qui a fait croire à Christius et à plusieurs autres que Romulus étoit d’Athènes : mais Eschembourg a fait observer avec raison que ces mots de civitate attica ne pouvoient être qu’une transposition ou une faute de typographie, et ne devoient se rapporter qu’à Esope et non à Romulus.

On n’est pas plus instruit de l’âge de ce fabuliste que de son nom et de sa patrie ; ce qu’il y a seulement de certain, c’est qu’il vivoit avant le XIIIe siècle, puisqu’il en est fait mention dans le Miroir historial de Vincent-de-Beauvais, écrivain célèbre qui florissoit sous Louis IX ; ce qui se trouve confirmé encore par le recueil manuscrit de Dijon, qui remonte à 500 ans et plus, au rapport de Gudius, auteur irrécusable dans cette partie. D’après ce qui vient d’être exposé, il est hors de doute que Romulus, écrivain du siècle de fer, n’ait existé avant le XIe ou le XIIe siècle. Dans une si grande obscurité, qui pourroit se permettre de fixer le temps où cet auteur a vécu ?

Quoi qu’il en soit, ce Romulus sur l’existence duquel on est si peu instruit, a composé ou plutôt écrit en prose quatre livres de fables d’Ésope qui en comprennent quatre-vingts ; et ces fables, au sentiment de plusieurs savants, ont été prises de Phèdre, malgré le témoignage de l’auteur, qui, dans la préface du livre premier, dit : Moi Romulus, je les ai traduites du grec en latin.

Mais on aura beau dénaturer, disséquer les meilleurs poëmes, les phraser en prose, il sera toujours aisé de s’apercevoir que dans le principe on a écrit en vers. Cela est si vrai qu’on ne peut douter un instant que Romulus n’ait eu entre les mains un manuscrit des fables de Phèdre, puisqu’il a conservé la plupart des expressions que l’on voit dans les compositions de l’affranchi d’Auguste qui nous sont parvenues. C’est pourquoi Romulus est appelé par Gudius le traducteur des fables de Phèdre ou plutôt le Phèdre barbare. Ce qu’il y a de certain, c’est que les fables de Romulus ont été, on ne sait d’après qui, imprimées à Ulm, chez Jean Steiner, avec une traduction allemande de Henri Steiner Welius, sans indication d’année, mais qu’on présume être de 1476 à 1484. M. Schwab a donné une édition du recueil manuscrit de Dijon des fables de Romulus, d’après le premier exemplaire de Gudius avec quelques variantes sur l’édition d’Ulm. Enfin il y en a eu, en 1709, une édition à Leyde, d’après celle de J. F. Nilantius, mais tronquée et pleine de fautes. Elle ne contient que soixante fables, tandis que les recueils d’Ulm et de Dijon en renferment quatre-vingts. Au reste, la copie dont Nilantius a fait usage ne contenoit que quarante-cinq fables, auxquelles il en a ajouté quinze, tirées de l’exemplaire d’Ulm pour en compléter les soixante. Ce qui est prouvé par ce passage extrait de Nilantius : Les fables suivantes se trouvent dans l’édition de Romulus, et pour ne rien laisser à désirer, et parce qu’on y reconnoît aisément des phrases de Phèdre. Dans son excellente édition des productions du fabuliste romain, M. Schwab les a toutes placées à la fin de son travail[2].

Il n’en est pas moins vrai que, dans le Romulus de Nilantius, il manque vingt fables qui se trouvent dans la collection de Dijon ; et si l’on en excepte deux qui se trouvent dans l’édition d’Ulm, il y en a douze qui sont tirées de Phèdre ; d’où il résulte que l’édition de Romulus, d’après les recueils d’Ulm et de Dijon, est bien préférable à celle publiée par Nilantius, qui s’est servi d’une copie très-mal en ordre, très-fautive et remplie d’interpolations, ainsi que l’a prouvé Lessing, avec autant d’étendue que d’érudition.

Au jugement de ce savant critique, et d’après l’opinion des lecteurs les plus amateurs de fables, Nilantius eût été meilleur à consulter s’il avoit eu soin de prendre les fables de Romulus dans l’édition d’Ulm, que par les différentes leçons qui se trouvent dans son recueil. À quoi peuvent servir toutes ces variantes, puisque les fables publiées par Nilantius offrent très-peu d’avantages aux critiques.

On doit distinguer Romulus de Rimicius, comme on l’écrit ordinairement, mais dont le véritable nom est Ranutius d’Arezzo, ainsi qu’on peut le voir dans le supplément du supplément des chroniques, depuis le commencement du monde jusqu’à l’an 1510 de l’ère vulgaire ; qu’il a été écrit ainsi et corrigé par le R. P. Jacques Philipe Bergomat, de l’ordre des hermites. « Ces fables d’Esope, dit-il, ont été, il y a longtemps, traduites en latin par un certain Romulus, pour l’instruction de son fils Tyburtinus. Mais tout récemment ces fables ont été refaites par un certain Rimicius, homme très-savant, avec une vie d’Ésope, et dédiées au Cardinal Antoine du titre de saint Chrysogone ; » ce qui prouve évidemment que Romulus et Ricimius étoient deux personnages différents, quoique plusieurs excellents critiques les aient confondus. Nilantius les a bien distingués dans son édition de 1709 ; et lorsque Ricimius dédia cet opuscule, à Antoine Cerdano, membre du sacré collège, mort en 1459, on trouvoit les fables de Romulus dans un manuscrit qui existoit quatre ou cinq cents ans auparavant.

Ainsi nul doute que Romulus et Rimicius ne soient deux personnes différentes ; car la vie d’Esope et ses fables qui étoient en prose, Rimicius les avoit traduites de grec en latin avant l’année 1459. Mais ce n’est pas le cas de disputer ici plus long-temps sur les écrits, les nom et surnom de Rimicius. Il en a été parlé assez disertement par Lessing et par le cardinal Quirini ; les curieux peuvent les consulter. Qu’il suffise de prévenir que l’édition d’Ulm n’a pas été revue et corrigée par Rimicius, ainsi que l’a cru par erreur Nilantius, ni que les fables de Romulus, avec les restes de celles de l’édition d’Ulm, aient été traduites en Allemand comme l’a pensé Nevelet ; car l’exemplaire d’Ulm ne doit rien à Rimicius, si ce n’est la vie d’Ésope et dix-sept fables traduites du grec en latin. Ce sont les fables 2, 3, 5, 7, 10, 15, 18, 21, 40, 43, 53, 68, 70, 74, 90, 97, 100, selon l’ordre où Rimicius les a placées ; mais ce qu’il y a de certain, c’est ce dernier qui a traduit ces fables de grec en latin, et non Romulus, quoiqu’il l’ait prétendu faussement. C’est ce qui a été pleinement démontré contre l’avis de Cannegieter par Lessing, en parlant de Romulus et de Rimicius (p. 71 et suivantes).

La traduction Allemande des fables de Romulus et d’autres, a été faite par Henri Steinhoewel.


  1. Cette notice destinée à éclaircir les passages consignés dans la préface des fables, est extraite de l’excellente dissertation de M. Schwabb, et du discours préliminaire placé en tête des fables de Romulus. C’est pourquoi je renvoie à l’original pour y trouver les preuves de tout ce qui est avancé.
  2. Phædri Augusti Liberti fabularum OEsopiarum libri V ; duo volumina in-8o, Brunsvigæ, 1806.