Poésies (Musset)
— Je vous ai vue enfant, maintenant que j’y pense,
Fraîche comme une rose et le cœur dans les yeux.
— Je vous ai vu bambin, boudeur et paresseux ;
Vous aimiez lord Byron, les grands vers et la danse.
Ainsi nous revenaient les jours de notre enfance,
Et nous parlions déjà le langage des vieux ;
Ce jeune souvenir riait entre nous deux,
Léger comme un écho, gai comme l’espérance.
Le lâche craint le temps parce qu’il fait mourir.
Il croit son mur gâté lorsqu’une fleur y pousse.
O voyageur ami, père du souvenir,
C’est ta main consolante, et si vieille et si douce,
Qui consacre à jamais un pas fait sur la mousse,
Le hochet d’un enfant, un regard, un soupir.
Quand, par un jour de pluie, un oiseau de passage
Jette un cri, dans un chemin perdu,
Au fond des bois fleuris, dans son nid de feuillage,
Le rossignol pensif a parfois répondu.
Ainsi fut mon appel de votre ame entendu,
Et vous me répondez dans notre cher langage.
Ce charme triste et doux, tant aimé d’un autre âge,
Ce pur toucher du cœur, vous me l’avez rendu.
Était-ce donc bien vous ? Si bonne et si jolie,
Vous parlez de regret et de mélancolie.
— Et moi, peut-être aussi j’avais un cœur blessé.
Aimer n’importe quoi, c’est un peu de folie.
Qui nous rapportera le bouquet d’Ophélie
De la rive inconnue où les flots l’ont laissé ?
Mai 1843.
Vous les regrettiez presque en me les envoyant
Ces vers, beaux comme un rêve et purs comme l’aurore.
Ce malheureux garçon, disiez-vous en riant,
Va se croire obligé de me répondre encore.
Bonjour, ami sonnet, si doux, si bienveillant,
Poésie, amitié que le vulgaire ignore,
Gentil bouquet de fleurs, de larmes tout brillant,
Que dans un noble cœur un soupir fait éclore.
Oui nous avons ensemble, à peu près, commencé
À songer ce grand songe où le monde est bercé.
J’ai perdu ces procès très chers, et j’en appelle ;
Mais en vous écoutant tout regret a cessé.
Meure mon triste cœur, quand ma pauvre cervelle
Ne saura plus sentir le charme du passé !
Il faut dans ce bas monde aimer beaucoup de choses,
Pour savoir après tout ce qu’on aime le mieux :
Les bonbons, l’océan, le jeu, l’azur des cieux,
Les femmes, les chevaux, les lauriers et les roses.
Il faut fouler aux pieds des fleurs à peine écloses ;
Il faut beaucoup pleurer, dire beaucoup d’adieux.
Puis le cœur s’aperçoit qu’il est devenu vieux,
Et l’effet qui s’en va nous découvre les causes.
De ces biens passagers que l’on goûte à demi,
Le meilleur qui nous reste est un ancien ami.
On se brouille, on se fuit. – Qu’un hasard nous rassemble,
On s’approche, on sourit, la main touche la main,
Et nous nous souvenons que nous marchions ensemble,
Que l’ame est immortelle, et qu’hier c’est demain.
Ainsi, mon cher ami, vous allez donc partir !
Adieu ; laisser les sots blâmer votre folie.
Quel que soit le chemin, quel que soit l’avenir,
Le seul guide en ce monde est la main d’une amie.
Vous me laissez pourtant bien seul, moi qui m’ennuie !
Mais qu’importe ? l’espoir de vous voir revenir
Me donnera, malgré les dégoûts de la vie,
Ce courage d’enfant qui consiste à vieillir.
Quelquefois seulement, près de votre maîtresse,
Souvenez-vous d’un cœur qui prouva sa noblesse
Mieux que l’épervier d’or dont mon casque est armé ;
Qui vous a tout de suite et librement aimé,
Dans la force et la fleur de la belle jeunesse,
Et qui dort maintenant, à tout jamais fermé.
Lorsque je t’avais pour amie,
Quand nul jeune garçon, plus robuste que moi,
N’entourait de ses bras ton épaule arrondie,
Auprès de toi, blanche Lydie,
J’ai vécu plus joyeux et plus heureux qu’un roi.
Quand pour toi j’étais la plus chère,
Quand Chloé pâlissait auprès de Lydia,
Lydia qu’on vantait dans l’Italie entière
Vécut plus heureuse et plus fière
Que dans les bras d’un dieu la Romaine Ilia.
Chloé me gouverne à présent,
Chloé, savante au luth, habile en l’art du chant :
Le doux son de sa voix de volupté m’enivre ;
Je suis prêt à cesser de vivre,
Si, pour la préserver, les dieux voulaient mon sang.
Je me consume maintenant
D’une amoureuse ardeur que rien ne peut éteindre
Pour le fils d’Ornythus, ce bel adolescent.
Je mourrais deux fois sans me plaindre,
Si, pour le préserver, les dieux voulaient mon sang.
Eh quoi ! Si, dans notre pensée,
L’ancien amour se rallumait ?
Si, la blonde Chloé de ma maison chassée,
Ma porte se rouvrait ? si Vénus offensée
Au joug d’airain nous ramenait ?
Calaïs, ma richesse unique,
Est plus beau qu’un soleil levant,
Et toi plus léger que le vent,
Plus prompt à t’irriter que l’âpre Adriatique.
Et pourtant près de toi, si c’était ton plaisir,
Volontiers j’irais vivre, et volontiers mourir.
Avril 1847
Elle a mis, depuis que je l’aime,
(Bien long-temps, peut-être toujours),
Bien des robes, jamais la même ;
Palmire a dû compter les jours.
Mais, quand vous êtes revenue,
Votre bras léger sur le mien,
Il faisait, dans cette avenue,
Un froid de loup, un temps de chien.
Vous m’aimiez un peu, mon bel ange,
Et, tandis que vous bavardiez,
Dans cette pluie et cette fange
Se mouillaient vos chers petits pieds.
Songeait-elle, ta jambe fine,
Quand tu parlais de nos amours,
Qu’elle allait porter sous l’hermine
Le satin, l’or et le velours ?
Si jamais mon cœur désavoue
Ce qu’il sentit en ce moment,
Puisse à mon front sauter la boue
Où tu marchais si bravement !
ALFRED DE MUSSET.
- ↑ Les vers inédits qu'on va lire sont détachés du nouveau recueil des Poésies complètes de M. Alfred de Musset, qui doit faire partie de la Bibliothèque Charpentier.