Poésies (Poncy)/Vol. 1/Isly et Mogador

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PoésiesI (p. 151-157).

ISLY ET MOGADOR

à m. best


I


J’ai visité. Monsieur, nos quatorze vaisseaux
Que l’Afrique a bercés dans l’azur de ses eaux.

J’ai louché leurs nobles bannières,

Leur cale où du combat grondaient les bruits confus,
Et leurs gueules de fer, dormant sur les affûts,

Chaudes des batailles dernières !

Nos modestes héros m’ont, de leur propre voix,
Pour vous être transmis raconté leurs exploits

Sur le pont que la mer arrose.

Que leurs cœurs généreux, à l’indulgence ouverts,
Me pardonnent d’avoir si mal traduit en vers

Ce qu’ils m’ont si bien dit en prose.


II


L’aurore du quinze août, de ce beau jour d’été
Que l’église et l’armée ensemble ont tant fêté,
Illuminait déjà des splendeurs africaines
Les sables calcinés des plages marocaines.
Le soleil, qui pourprait la blancbe Mogador,
Transformait son îlot en promontoire d’or
Et semblait, sous les flancs de l’escadre française,
Soulever de la mer une boule de braise.
Les musulmans guerriers, debout près du Croissant,
En voyant les flots teints d’une couleur de sang,
Croyaient qu’incendiés par le divin propbéte,
Nos vaisseaux éclairaient eux-mêmes leur défaite,
Et que ces mers de feu, lasses de nos succès,
Pour les anéantir s’ouvraient sous les Français.
Car quelques jours avant, nos profanes mitrailles
Avaient du vieux Tanger dévoré les entrailles,
Et sapé ces remparts où, les nuits d’ouragan,
Les naufragés voyaient luire l’yatagan.

Tout à coup un écho venu de ces collines,
Nids du bédouin nomade et des races félines,

Aux vaisseaux qui voguaient à l’ombre des pavois
Fit entendre ces cris chantés par mille voix :
« Tressaille de bonheur, notre auguste patrie !
« L’Afrique à deux genoux et la face meurtrie,
« L’Afrique devant toi prosterne son front noir.
« Son invincible orgueil râle de désespoir ;
« Et les braves soldats que ton grand peuple enfante
« Ici, comme partout, te montrent triomphante !
« Nous avons défié l’émir traître et cruel,
« Les fléaux de ce sol, les flammes de ce ciel ;
« Notre courage augmente avec notre souffrance.
« Hier, quand le canon chanta : Vive la France !
« Vingt mille cavaliers de colère embrasés,
« Ont volé contre nous… Ils s’y sont écrasés.
« Ici ta royauté quatorze ans exécrée
« Est, pour tout l’univers, à jamais consacrée.
« Le passé s’est noyé sous les flots de l’Isly,
« Et dans son propre sang l’Arabe enseveli,
« A vu, le même jour, et sa haine et son glaive
« Tous deux brisés, devant l’avenir qui se lève ! »

Un cri d’enthousiasme éclata sur ces bords.
Le canon s’ébranla dans l’ombre des sabords,
Le drapeau du combat ondoya sous l’antenne,
Et soudain les boulets du royal capitaine
Sur les murs de Sourah gravèrent le cartel
Que naguère ils avaient inscrit sur le Spartel.

Forts comme le lion, prompts comme la gazelle,
Nos robustes marins rivalisant de zèle,
Veulent qu’avant le soir leurs frères de l’Isly
Sachent que de Sourali le port est aboli,
Et que, du haut des mâts, dans les monts, sous la tente,
Tout célèbre à la fois leur victoire éclatante.
Nos canonniers font tous des miracles de tir
Et n’ajustent jamais un but sans l’engloutir.
L’Arabe, que sert mal son œil d’effroi livide,
Lance un boulet anglais qui se perd dans le vide :
Le peuple crie et fuit : les échos du désert
Répètent du canon le foudroyant concert ;
Et la mort se promène, implacable et fatale,
Sur ces riches débris qu’au loin la guerre étale.
À midi, de ces forts aux créneaux dentelés
Les feux étaient éteints, les murs démantelés ;
Le sable immaculé, les promontoires sombres
Étaient souillés partout de sang et de décombres,
El le soleil couvait, sous sa prunelle d’or,
Le pavillon français flottant sur Mogador !


 

III





Et maintenant, Monsieur, que la paix est conclue
El que le monde entier de ses chants la salue,
Ne vous semble-t-il pas que la France devrait

Couronner dignement cette grande épopée

Que ses canons et son épée
Semblent n’entamer qu’à regret ?

Il est de grands devoirs que la victoire impose.
Lorsqu’après le combat le soldat se repose,
Et que dans le fourreau dort le glaive d’acier,
La prévojante main du laboureur austère,

Dans les flancs féconds de la terre
Doit semer le grain nourricier.

Après que les canons, volcans des batteries,
Ont broyé les cités de vétusté pourries,
L’ouvrier créateur sans relard doit venir
S’inspirer des besoins des siècles qui vont luire,

Et sur les noirs débris construire
L’édifice de l’avenir.

Eh bien ! notre patrie, heureuse en toute chose,
Peut et doit accomplir cette œuvre grandiose.
Dieu l’a touchée au front, son front a resplendi,
Et l’Arabe qui vient s’abriter sous son aile,

Veut encor retrouver en elle
La France de Bounaberdi !

Pour en exproprier la panthère et le tigre
Chaque jour, au désert, quelque famille émigre,

Le peuple, dont l’instinct devine l’avenir,
Par le chemin des mers à flots pressés arrive

Sur cette glorieuse rive
Que la main de Dieu va bénir.

Et puisqu’à ce travail le peuple se dévoue,
Que des dangers qu’il offre en riant il se joue,
Il faut que le pouvoir s’applique à féconder
Le germe qu’au sillon le laboureur dépose,

Et que dans l’œuvre qu’il s’impose
Tout concoure à le seconder.

Et ces plaines qu’hier ravageait sa bravoure,
Mûriront les doux fruits que la lèvre savoure.
Ces marais, réservoirs d’aériens poisons,
Où depuis six mille ans pullulent les reptiles,

Deviendront tous des champs fertiles
Couronnés de blondes moissons.

Et l’étroite gourbi, dont la laideur contraste
Avec l’éclat d’un sol aussi riche que vaste,
Fera place aux hameaux que de braves fermiers,
Pour modérer l’ardeur des brûlantes journées,

À leurs familles fortunées
Élèveront sous des palmiers.

Et, sous ces toits, l’Arabe abritera sa tête
Quand sur lui le désert lancera la tempête

Oui recèle la mort, semblable à nos brûlots ;
Sa voix remerciera l’auguste Providence

Quand des blés la sainte abondance
Regorgera de ses silos.

L’Afrique ténébreuse, au souffle de l’Europe
Éclaire chaque jour la nuit qui l’enveloppe :
Et, prête à recevoir les sueurs et le soc,
Veut contre les bienfaits d’une culture stable

Échanger son burnous de sable
Déchiré par l’ardent siroc.

Quand la France aura fait une nouvelle France
De cette heureuse terre où naît tant d’espérance,
Ses sœurs, les nations, à ses efforts vainqueurs
N’en contesteront plus l’immortelle conquête,

Et Dieu par qui tout se complète
Y réjouira tous les cœurs.

Et, pour éterniser cette œuvre magnifique,
L’incandescent soleil qui brille sur l’Afrique
Y fera resplendir en traits de flamme et d’or,
Tant sur les sables blancs que sur les roches noires

Cette trinité de victoires :
Isly, Tanger et Mogador !


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