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Poésies (Poncy)/Vol. 1/L’Oiseau de tempête

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L’OISEAU DE TEMPÊTE



Frère de la blanche mouette,
Toi dont l’aile ne prend l’essor
Qu’avec celle de la tempête,
Et qui, sans redouter la mort,
T’aventures, frêle victime,
Sur les flots du sonore abîme,
Comme le poète sublime
S’abandonne aux vagues du sort ;

Dans ces déserts où tu t’isoles,
Où sur toi l’écume des flots
Pend, comme les cheveux des saules
Sur le marbre blanc des tombeaux,

Viens-tu déplorer le naufrage
Des vaisseaux détruits par l’orage
Et dont la mer à leur rivage
Ne rend pas même les lambeaux ;

Sombre oiseau, tu ne sais te plaire
Et tu ne sembles te blottir
Qu’au sein des lames en colère,
Toujours prêtes à t’engloutir :
Pareil à ces âmes chrétiennes
Qui, dans les tempêtes humaines,
Trouvent, même au sein de leurs peines,
Un abri pour s’en garantir.

J’aime à le voir quand tu t’obstines
À lutter contre l’aquilon,
Quand sur les varechs tu piétines
Comme l’alouette au sillon :
Lorsque, souple et forte, ton aile
Rase la vague solennelle
Et que ta grêle voix se mêle
À son orageux tourbillon.

J’aime à voir la grève où tu marches,
Ses algues où tu le nourris,
Et les aériennes arches
Que de flot en flot tu décris,

Et ton vol saccadé, qui trace
Un long aqueduc dans l’espace,
Dont la tempête sur ta trace
Disperse soudain les débris.

Dans ces solitudes profondes
Dont tu connais tous les secrets,
Va, de Dieu, pèlerin des ondes.
Faire pressentir les décrets.
Dis au nocher qu’il se défie
Des beaux jours auxquels il confie
Ses biens, son navire et sa vie ;
Car l’orage les suit de près.

Et si parfois le calme cloue
Quelque vaisseau sur l’Océan
Passe, et cache-toi sous sa proue,
Avant-courrier de l’ouragan.
Le marin qui maîtrise l'onde,
Pour explorer les flancs du monde
A besoin que la mer l’inonde
Et rugisse comme un volcan.



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