Poésies (Poncy)/Vol. 1/Trombe marine

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PoésiesI (p. 43-46).
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TROMBE MARINE


I


Les canons sont chargés, et la mèche allumée
Luit comme un œil de feu sous des cils de fumée.
L’artilleur est debout près des roulants affûts ;
Et dans les vents, remplis de murmures confus,
Les voiles que l’on cargue et les mâts qu’on recale,
Le cri de branle-bas courant de cale en cale,
Réveillent tout-à-coup les marins endormis…
Aurait-on signalé des vaisseaux ennemis ?

Dieu ! Regardez ! Voyez quelle immense colonne
Monte, en élargissant sa tête qui bouillonne,
Et marche, noir Titan subitement éclos,
Le front dans la tempête et les pieds dans les flots !

Les hurlements du gouffre où sa base s’appuie,
Les tourbillons de l’air traversés par la pluie,
Les masses d’eau, que bat l’aile de l’albatros
Comme les biboux noirs battent nos vieux vitraux,
Le fracas de la mer qui se creuse et se bombe,
Tout se perd dans ce cri de terreur : « Une trombe ! »

Des flots sont submergés par l’écume des flots !
« Une trombe ! » L’effroi glace les matelots
Devant cet ennemi qu’il faut soudain combattre,
Et qui traine après lui des cascades d’albâtre.
On dirait que la mer, pour menacer les cieux,
À travers l’ouragan lève un bras monstrueux.


II


Regardez comme elle déploie
Son chapiteau brun dans les airs :
Et comme sa base tournoie
Sur l’abîme écumant des mers !
Regardez comme la rafale
Tord sa colonne triomphale,
Pareille au trigonocéphale
Tordant les chênes des déserts !

Détachant les rocs de la rive,
Elle en sème les airs surpris ;

Elle les hache, elle les clive,
Et les éparpille en débris.
Le pâle Océan, qui répèle
Les sourds éclats de la tempête.
Dans cette géante trompetîe
Souffle des tonnerres de cris.


III


Sur ses bords volutes de longs éclairs se croisent.
Mille flots embrasés en tous sens la pavoisent.
On croirait voir passer un vaste aérostat
Qui, dans ces régions où se meuvent les lames,
Vomit, cratère ardent, des phalanges de flammes
S’absorbant dans le choc d’un infernal combat.

Elle fuit : son sommet brûle, au loin, comme un phare
Aux sifflements du vent, maritime fanfare,
Rapide, elle revient dans son berceau qui bout.
Le navire, ébranlé, sur sa quille chancelle.
À cent pas de sa proue un torrent d’eau ruisselle,
La mer va s’entrouvrir… « Canonniers, feu partout ! »

Entendez-vous là-bas ces clameurs de victoire ?
Le météore, atteint en son vol giratoire,
Dans les airs fracassés, se rompt par le milieu.
L'équipage sauvé tressaille d’allégresse.

La masse gigantesque au fond des mers s’affaisse,
Comme un char dont la foudre aurait brisé l’essieu.

Son panache d’éclairs disparait dans les nues ;
Et son corps, englouti dans les ondes émues,
Fait bondir après lui les flots longtemps étreints :
Comme un coursier blessé qui, fuyant le carnage,
Expire dans le lac qu’il passait à la nage,
Tandis qu’à la surface on voit flotter ses crins.



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