Poésies (Quarré)/À Hégésippe Moreau, élégie

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À HÉGÉSIPPE MOREAU.


ÉLÉGIE.

Quand nous ne sommes plus, notre ombre a des autels.




À Hégésippe Moreau.



Oh ! que tu dois sourire, Hégésippe, à la gloire
Qui vient, belle et pompeuse, illustrer ton cercueil !
Qu’elle a de majesté sous sa tunique noire
Et ses atours de deuil !

Sa main, pour ombrager la couche où tu reposes,
D’un laurier immortel a cueilli les rameaux,

Et prodigue à ton nom ses caresses écloses
Au milieu des tombeaux.

Son beau front rayonnant, que le cyprès couronne,
S’est penché sur ton sein glacé par le trépas ;
À tes baisers d’amour, vois ! elle s’abandonne
Avec tous ses appas.

C’est le superbe espoir de tes jours solitaires,
Le rêve tant pleuré de tes nuits sans sommeil,
Celui qui te dorait tant d’horribles misères
Sous son prisme vermeil ;

La fantasque beauté vainement poursuivie,
Qui, sans jamais répondre à tes brûlans appels,
Te voyait consumer le parfum de ta vie
Au feu de ses autels.


De ses divins baisers l’impérissable empreinte,
Hégésippe, est le sceau d’un immortel bonheur ;
Saisis, saisis-la donc, et d’une folle étreinte
Presse-la sur ton cœur.

Poète, elle est à toi ! de ta couche glacée
Sors ; et, te relevant sur ce funèbre seuil,
Apparais aux regards de la foule empressée,
Grandi par le cercueil.

L’avenir, désormais accueillant ton génie,
Va se lever sur toi brillant comme un ciel pur,
Qui d’un astre nouveau voit la splendeur chérie
Embellir son azur.

Mais non ! ma voix évoque une insensible cendre
Dont rien ne peut troubler le lugubre sommeil ;

Oublieux de ses chants, ils l’ont laissé descendre
Dans la nuit sans réveil.

Pauvre cygne, exilé sur une ingrate rive,
En vain tu modulais des sons harmonieux ;
Pour forcer de l’écho la voix triste et tardive,
Il fallait tes adieux !

Présent cher et fatal ! ce flambeau du génie,
Que tu reçus des cieux avec un juste orgueil,
Ne devait donc briller qu’au jour de l’agonie
Pour éclairer ton deuil !

Ah ! du pressentiment la voix intime et sombre,
Sans doute, avait jeté sa tristesse en ton sein,
Quand, du chantre d’Armide évoquant la grande ombre,
Tu pleuras son destin.


Hélas ! il a fallu, d’un cœur que rien ne dompte,
T’armer contre l’oubli, l’isolement, la faim,
Et vider jusqu’au fond d’indigence et de honte
Un calice trop plein.

Poète infortuné ! d’une parole amie
Tu n’as pas entendu l’accent consolateur
Ranimer doucement l’espérance, la vie
Et l’amour dans ton cœur.

Sur les avides bords du funèbre royaume,
Le malheur t’a conduit par d’épineux chemins,
Triste, et le front baissé, passant comme un fantôme
Seul parmi les humains.

Ah ! ta vie en effet leur était étrangère ;
Qu’importe aux vils roseaux la fleur au doux parfum !

Entre toi, fils des cieux, et ces fils de la terre,
Qu’était-il de commun ?

L’ardente soif de l’or ne séchait point ton ame,
Tu n’étais point de marbre aux cris des malheureux ;
Mais de l’amour du beau la sainte et noble flamme
T’embrasait de ses feux.

Le poète n’est pas l’insensible poussière
Que, froide et corruptible, en leur tardif orgueil,
Ils veulent honorer d’une superbe pierre
Et doter d’un cercueil.

Le poète est l’esprit d’amour et d’harmonie
Que Dieu laissa lui-même exhaler de son sein,
Et qui retourne à lui, quand sa course est remplie,
Sûr d’un bonheur sans fin.