Poésies (Quarré)/Caprice

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Poésies d’Antoinette QuarréLamarche ; Ledoyen (p. 75-80).




CAPRICE.




CAPRICE.



Je ne veux plus t’aimer ; c’est en vain qu’à genoux
Tu viendrais, rappelant les sermens les plus doux,
Demander quel orage a passé dans mon ame ;
Me dire, qu’éphémère, un caprice de femme
Seul a pu m’inspirer de semblables discours ;
Que je t’aimais hier, que je t’aime toujours ;

Que nul soupçon jamais n’a troublé notre ivresse ;
Que ma félicité répond de ma tendresse,
Et que tu ne crois pas à ce propos menteur
Prononcé par ma voix, démenti par mon cœur.

Pourtant, il est bien vrai, notre chaîne est brisée,
Avant qu’au gré du temps elle se soit usée ;
Avant que, dans la coupe où nous buvions l’amour,
Nos lèvres aient goûté l’amertume un seul jour ;
Sans que le pâle ennui, l’ardente jalousie,
Aient en calice amer changé notre ambroisie ;
Avant que l’espérance ait fait place aux regrets :
Notre chaîne est brisée, oui, brisée à jamais.

Je ne veux plus t’aimer ; et pourtant, je l’avoue,
Au seul bruit de tes pas je tressaille ; ma joue

Se colore soudain d’un plus vif incarnat,
Et de mon œil humide on voit briller l’éclat ;
Ma main brûle et frémit sous ta main qui la touche ;
Les mots, pour te parler, semblent froids, et ma bouche
Inhabile à trouver d’assez tendres accens,
N’a sur sa lèvre en feu que des soupirs brûlans.


Mais tout ce fol amour dont s’enivre mon ame
Semble de mon génie avoir éteint la flamme ;
À mon luth oublié si je reviens parfois,
La corde est détendue et l’instrument sans voix.
De ces chants qui jadis faisaient toute ma gloire,
Mon cœur, en t’adorant, a perdu la mémoire ;
En vain, d’un art céleste évoquant les transports,
Je cherche à ressaisir d’harmonieux accords ;


Je demande au soleil, à la nuit, aux nuages,
De sublimes pensers et de belles images ;
Mais la nue et la brise, et la nuit et le jour,
Sont remplis de toi seul et me parlent d’amour.


Voilà pourquoi je veux, désormais insensible,
M’armer d’un regard fier et d’un cœur inflexible ;
Ne crois pas m’ébranler, tu n’y parviendrais pas.
Mais que dis-je ! il accourt… et je lui tends les bras.