Poésies (Quarré)/Le Poète

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Poésies d’Antoinette QuarréLamarche ; Ledoyen (p. 283-292).




LE POÈTE.




LE POÈTE.



 
« Lyre, ont dit les heureux, éloigne la tristesse ;
 « Pourquoi tant de soupirs ?
« Les chants de désespoir ou les cris de détresse,
 « Voilà donc tes plaisirs ?


« N’as-tu reçu des cieux la divine harmonie
 « Que pour mêler toujours
« L’amertume des pleurs aux accens du génie,
« Et le deuil aux amours ? »

Ah ! du poète, hélas ! laissez la voix touchante
Gémir en longs accens,
Et son fier désespoir, et sa douleur ardente
Éclater dans ses chants.

Voyez un lac, paisible au sein d’une vallée,
Dans son calme sommeil
Réfléchir de la nuit la majesté voilée
Ou les feux du soleil.

D’un vaste ciel d’azur il vous offre l’image
Dans ses limpides eaux,

Et le parfum des fleurs qui bordent son rivage
Vient embaumer ses flots.

Dans son repos charmant si quelque bruit l’éveille,
C’est, à la fin du jour,
Le bruit de ces doux mots qu’on murmure à l’oreille
Avec des pleurs d’amour.

La paix et le bonheur vers ces bords si tranquilles
Semblent s’être fixés,
Et jamais on n’entend sous les vents indociles
Gémir ses flots pressés.

Mais le fleuve rapide entraînant dans sa course
La neige des hivers,
La fange du torrent et l’onde de la source
Pour les conduire aux mers ;


Le fleuve doit gronder quand ses eaux vagabondes,
Nous dérobant leurs cours,
S’engouffrent dans le sein de cavernes profondes
Aux ténébreux détours.

Il doit mugir encor quand l’aquilon terrible
Bat ses flots irrités,
Ou qu’ils viennent, fléau destructeur, invincible,
Envahir nos cités.

Et sa voix doit tonner, foudroyante et sublime,
Quand du sommet d’un mont
Il s’élance, et franchit un effroyable abîme
D’un gigantesque bond.

Mais si, roulant enfin ses eaux majestueuses
Dans un lit assuré,

De fertiles pays, de campagnes heureuses
Il s’avance entouré,

Superbe et reflétant tour-à-tour dans son onde
Les coteaux ou les cieux,
Il n’a plus pour ces bords qu’il arrose et féconde
Qu’un murmure amoureux.

Tel le chant du poète, écho de sa pensée,
Joyeux dans le bonheur,
Tonne, gronde ou mugit quand son ame blessée
Lutte avec la douleur.

Ne l’accusez donc pas s’il se plaint et soupire,
Vous que le ciel chérit ;
Savez-vous les secrets de cette ame en délire
Où l’espoir se tarit ?


Dans ce cœur trop ardent savez-vous quels orages
Ont grondé tour-à-tour ;
De ce vaste horizon quels ténébreux nuages
Ont obscurci le jour ?

Quand le volcan fougueux, de sa bouche enflammée,
Lance au loin dans les airs
Ou des torrens de lave, ou des flots de fumée
Tout sillonnés d’éclairs ;

Quand sa fureur s’annonce, ainsi qu’un sourd tonnerre,
En longs rugissemens,
D’incendie et d’horreur savez-vous quel mystère
Il recèle en ses flancs ?

Mais un chant noble et pur peut s’élever encore
Après de longs sanglots :

Que la gloire ou l’amour de sa harpe sonore
Éveillent les échos,

Le poète, oubliant le fardeau de misère
Dont il est accablé,
Va lever rayonnant son regard qui naguère
De pleurs était voilé.

Ce n’est plus l’homme faible et dont le front s’incline
Sous un poids douloureux ;
C’est le barde inspiré dont la harpe divine
Semble ravie aux cieux.

Il chante les héros, la vertu, la patrie,
La sainte liberté ;
Et, mortel, il dispose au gré de son génie
De l’immortalité.


Mais ces dons enivrans dont la foule frivole
Trouve l’éclat si beau,
C’est le prix des douleurs, c’est la sainte auréole
Au sortir du tombeau.