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Poésies (Quarré)/Ode au Roi, sur la mort de S. A. R. Monseigneur le Duc d’Orléans

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ODE AU ROI


Sur la Mort de S. A. R. Monseigneur le Duc d’Orléans.




Ode au Roi.



Oh ! d’un tel désespoir qui peut sonder l’abîme ?
Et du sein maternel partageant les douleurs,
À ton cruel trépas, chère et noble victime,
Donner assez de pleurs ?

Gloire ! jeunesse ! amour ! éclat du diadême !
Qui l’entouriez hier des rayons les plus doux ;

Trop périssables biens ! à cette heure suprême
Répondez : Qu’êtes-vous ?

Qu’êtes-vous, ô mon Dieu ! qu’une amère ironie,
Un songe fugitif aux pensers décevans,
Un mirage trompeur, une source infinie
De regrets déchirans ?

Ô Prince ! notre amour, notre belle espérance,
Quoi ! te voilà couché dans la nuit du cercueil ;
Toi, sur qui reposaient les destins de la France,
Il faut porter ton deuil !

Ton deuil, ô désespoir ! quand, brillant de jeunesse,
Triomphant, adoré du peuple et des soldats,
Tu voyais en tous lieux la joie et la tendresse
Éclore sous tes pas ;

Quand tes hautes vertus, ta bonté, ton courage
Et tous les nobles dons qui te faisaient chérir,
Assurant ton empire, étaient pour nous le gage
D’un si bel avenir.

Sur les bords de l’Escaut et sur le sol d’Afrique
N’avais-tu donc bravé les hasards des combats
Que pour venir au seuil du foyer domestique
Rencontrer le trépas ?

Ah ! que la mort n’a-t-elle, avide de sa proie,
Détourné ses regards sur un plus humble rang !
Pour lui payer tes jours, qui de nous avec joie
N’aurait donné son sang !

La foudre qui soudain brille et tombe à sa vue,
Jette moins d’épouvante au sein du voyageur,

Que ce funeste coup à la France éperdue
N’a causé de stupeur.

De ce malheur affreux quand la triste nouvelle
Vint répandre partout et l’horreur et l’effroi,
Mon cœur, près d’accuser la sagesse éternelle,
Dit au Seigneur : « Pourquoi ?

« Pourquoi donc, ô mon Dieu, dans le royal calice,
« De lie et de dégoûts déjà plein jusqu’au bord,
« Pourquoi ce fiel nouveau, ce cruel sacrifice,
« Cette amertume encor ? »

Et muette, brisée, en un morne délire,
D’une amère pitié sentant couler les pleurs,
Comme un vain instrument, je rejetai la lyre
Aux sons consolateurs.

Car je comprenais bien, moi, sa triste impuissance
À calmer les tourmens qui vous faisaient souffrir ;
Et des larmes étaient le seul don qu’en silence
Mon cœur pût vous offrir.

Pour ta grande ame, ô Roi ! quelle mortelle épreuve !
Auguste et sainte mère au douloureux amour,
Quelle angoisse indicible, et pour toi, jeune veuve,
Oh ! quel funeste jour !

Non, ma voix, respectant votre souffrance intime,
N’aurait point exhalé ces funèbres accens,
À peindre la douleur dont le fardeau m’opprime,
Hélas ! trop impuissans.

Mais du peuple abattu, tous les enfans, mes frères,
Tristes, frappés du coup qui vous a déchirés,

Et payant le tribut de leurs larmes amères
Au fils que vous pleurez,

M’ont dit en gémissant : « Prête-nous ton langage,
« Emporte nos soupirs, comme sur un autel,
« Au pied du trône en pleurs va déposer l’hommage
« Du deuil universel. »

Et j’obéis, je viens, à genoux, éplorée,
Sombre comme un esprit veillant près des tombeaux,
De la patrie en deuil, sur sa cendre adorée,
Apporter les sanglots.

Ah ! qu’il reçoive, au sein de sa funèbre couche,
Ce concert douloureux, cet hymne déchirant,
Qu’un peuple tout entier, s’exprimant par ma bouche,
Exhale en soupirant.

Mais, nous t’en supplions, qu’un chagrin aussi juste,
N’abatte point, ô Roi ! la force de ton cœur ;
Sur les deux orphelins lève ton front auguste
Accablé de douleur.

De son généreux sang ce sont les nobles restes ;
Sous tes yeux paternels vois-les grandir pour nous ;
Ils auront quelque jour des astres moins funestes
Et des destins plus doux.

Ainsi que, vers les cieux levant sa tête altière,
Un chêne dont la foudre a brisé les rameaux,
Résiste et voit fleurir à son pied séculaire
Des rejetons nouveaux,

Sois plus fort que les coups du destin qui t’accable ;
Sois plus grand que l’excès de ton adversité ;

Et laisse de courage un exemple admirable
À la postérité.

Élevés dans ton sein, nourris de ta parole,
Ces anges qu’aujourd’hui couvre un funeste deuil,
Enfans de la patrie, en deviendront l’idole,
La défense et l’orgueil.

De leurs jeunes vertus ta vieillesse entourée,
Du bonheur des Français retrouvera l’espoir ;
Ils te rendront leur père, et son ombre sacrée
Sourira de les voir.