Poésies (Quarré)/Retour de Napoléon
RETOUR DE NAPOLÉON.
I.
L’ombre de Napoléon.
« Sur ces bords oubliés quel bruit s’est fait entendre ?
« Pour la foudre des camps ce roc n’a point d’écho.
« Qui vient troubler ma paix et réveiller ma cendre ?
« D’où vient que je tressaille au fond de mon tombeau ?
« Les morts vont-ils sortir de leur sombre demeure ?
« Au matin du grand jour, Éternel, est-ce toi,
« Dont la voix les appelle et leur dit : « Voici l’heure ;
« Hommes, fils du néant, levez-vous devant moi ? »
« Mais, non, dans les tombeaux tout dort, seul je m’éveille ;
« Une joie inconnue a ranimé mes sens ;
« Sur la terre d’exil, ô surprise ! ô merveille !
« Oui, ce sont des Français, des guerriers que j’entends.
« Ah ! qui peut les guider vers ces funestes rives ?
« Chers et sacrés débris d’un nouvel Ilion,
« Auraient-ils confié leurs barques fugitives
« À la foi d’Albion ?
« Ô France ! des héros terre autrefois l’asile,
« Par le barbare encor ton noble sol foulé,
« Est-il veuf d’autres fils que le malheur exile
« De ton sein désolé ?
« Ah ! faut-il me lever pour les guider encore ?
« L’aigle tombé des cieux, par la mort endormi,
« Sous les plis rayonnans du drapeau tricolore
« Dans sa tombe a frémi !
« Mais, non, tu m’apparais, ô ma noble guerrière,
« Comme en nos plus grands jours préparée au combat ;
« De ton front belliqueux, de ta beauté si fière
« Rien n’a terni l’éclat.
« C’est encor la maîtresse ardente, échevelée,
« Qui, par bonds indomptés s’élançant à ma voix
« Des Alpes jusqu’au Nil, de mêlée en mêlée,
« Épouvantait les rois.
« Que de ces jours d’effroi l’Europe se souvienne ;
« Oui, c’est ma France encor, ma France aux grands destins,
« Qui de Moscou fumant, et de Rome, et de Vienne,
« Connaît tous les chemins.
« Ne peux-tu, de nouveau t’élançant dans l’arêne,
« Aux murs du vieux Kremlin planter ton étendard,
« Et sous tes pieds vainqueurs fouler en souveraine
« La pourpre des César ?
« Des peuples généreux, proclamant ton symbole,
« Se lèveront partout prêts à te seconder,
« Car tu reçus de Dieu le glaive et la parole
« Pour abattre et fonder.
« Ton astre éblouissant, dans nos sombres tempêtes,
« Comme un soleil éteint n’a pas quitté les cieux ;
« Tu le verras encore aux plus sublimes faîtes
« Éclater radieux.
« Mais quel est cet enfant, grandi par la victoire,
« Qui, le front couronné de précoces lauriers,
« De ton fier pavillon l’espérance et la gloire,
« Conduit tous ces guerriers ? »
II.
Le Génie de la France.
« C’est un jeune héros, c’est un fils de la France,
« C’est le vieux sang des rois qui s’incline à ton nom,
« Et vient sur ce rocher perdu dans l’onde immense,
« Pour le rendre à mes yeux, chercher Napoléon.
« Non, grand triomphateur ! vaste et puissant génie !
« Non, tes restes sacrés, marqués d’un sceau fatal,
« Ne devaient pas toujours sur la terre ennemie
« Rester sans piédestal.
« En vain des rois tremblans avaient rivé ta chaîne.
« Honte à leurs noms flétris ! mais à toi, leur martyr,
« Sage législateur, immortel capitaine,
« L’éternel avenir.
« À toi le saint amour de ta noble patrie,
« Le retour merveilleux, les triomphes nouveaux,
« Les hymnes, les soupirs d’une foule attendrie,
« Le culte des tombeaux.
« Plus de saule éploré sur ta cendre captive
« Berçant au vent de mer ses longs rameaux flétris,
« Comme un manteau de deuil dont une ombre plaintive
« Laisse flotter les plis.
« Pour notre auguste hymen la couche est préparée ;
« Viens sur mon sein jaloux, viens dormir à jamais,
« Parmi tes vieux guerriers, dans l’enceinte sacrée
« De ton dernier palais.
« Au fidèle Moncey la garde en est commise ;
« Viens, ô mon général ! rêver de tes splendeurs
« Sous les drapeaux ravis à l’Europe conquise
« Par tes soldats vainqueurs.
« Sur sa base d’airain la colonne immortelle
« Va tressaillir de joie en voyant son héros,
« Et fière gardera, sublime sentinelle,
« Ton glorieux repos. »
III.
Le navire orgueilleux fend la vague écumante ;
Comme un roi qui s’avance entouré de sa cour,
Il paraît dans sa gloire, et la mer frémissante
Le berce avec amour.
Héroïques débris de nos rangs intrépides,
Vous qu’il a si souvent guidés au champ d’honneur,
Pleurez, pleurez d’orgueil, illustres invalides :
Voici votre Empereur.
Pareil à Siméon, dont l’ame prophétique,
Bénissant le saint jour qu’il voyait resplendir,
S’exhala satisfaite en un divin cantique,
Moncey ! tu peux mourir.
Te voilà parmi nous, ô géant des batailles !
Et ta présence auguste, enflammant les esprits,
Défendra, mieux encor que de fortes murailles,
Ton superbe Paris.
Quel Français, prosterné devant ce mausolée,
Ne sentira son cœur, tout palpitant d’orgueil,
S’embraser plus ardent à la flamme exhalée
De ce noble cercueil ?
Ombre chère et sacrée ! à nous seuls ta mémoire !
S’il faut combattre encor l’insolent étranger,
L’univers apprendra que nous avons ta gloire
Et la nôtre à venger.