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Poésies - Bas-Reliefs antiques et modernes

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Poésies - Bas-Reliefs antiques et modernes
Revue des Deux Mondes6e période, tome 53 (p. 161-166).
POÉSIES

BAS-RELIEFS ANTIQUES ET MODERNES


L’AMOUR DANS LE SILENCE


La flûte de Lycas pour Myrtile module
Une chanson d’amour dans le bleu crépuscule,
Et Myrtile, qui rit dans l’ombre, vient charger
Du fardeau de son front l’épaule du berger.
Le chant de flûte cesse, un auguste mystère
Emplit la solitude immense de la terre
Où Lycas et Myrtile, enivrés de parfums,
Frissonnent au contact de leurs corps chauds et bruns.
Des lèvres de Lycas déjà l’aveu s’envole.
Mais Myrtile, sachant que vaine est la parole,
Le fait taire du doigt et déplace, à dessein,
La tête du berger qui route sur son sein.
O volupté ! la nuit se parfume de roses,
Et, pour peser l’amour de leurs âmes décloses,
Ils le laissent tomber, ainsi qu’un sable fin,
Dans les balances d’or du silence divin.


EN MARGE DE LONGUS


Chloé, jeune bergère ancienne, vous êtes
L’image du printemps que couronne l’amour
Et vos yeux ont l’éclat sombre des violettes.
Les arbres au zéphyr jettent des fleurs, le jour

Nimbe d’or lumineux votre tête d’ivoire,
Mais vous pleurez, hélas ! et les nymphes des bois
Écoutent le plaintif appel de votre voix :
« Que ne suis-je, ô Daphnis, ta chevelure noire
« Pour couvrir ton épaule et parfumer ton corps,
« La flûte qui reçoit du baiser de ta bouche
« Une haleine chantante en de touchants accords,
« Et la paille menue où ta beauté se couche,
« Que ne suis-je, Daphnis, le fruit mûr que tu mords ? »


MIDI ATTIQUE


Néère offre à Palès une amphore de vin.
« Prends, dit-elle, Midi ne brûle pas en vain,
Et ma boisson pour tes lèvres sera plus fraîche
Que la chair de la figue ou le jus de la pêche. »
L’éphèbe nonchalant qui daigne s’apaiser
Goûte au vin de Néère et demande un baiser.
Néère de nouveau lui tend l’amphore pleine :
« Les ruisseaux sont taris, le jour n’a plus d’haleine,
Mon Bien-Aimé, voici le breuvage des dieux,
Bois à même. » Il refuse alors, ferme les yeux :
« Va-t’en, je n’ai plus soif. » Soumise, bien que lasse,
Néère aux seins puissants sur son épaule place
L’amphore et, vers les monts où chante la forêt,
En un balancement s’éloigne et disparaît.
Le jour brûle. Paies entr’ouvre la paupière,
Il étire ses bras transparents de lumière,
Et mûrit, dans la plus exquise volupté,
Le fruit brun de son corps au soleil de l’été.


L’INVITATION


Naïs, sur l’herbe molle où reposent nos chèvres,
Je presserai des fruits odorants pour tes lèvres,
Et toi, tu mêleras, en gestes lents et doux,
Ta chevelure blonde à mes longs cheveux roux.

L’été bourdonne et brûle. Naïs, sous les branches
Voici l’ombre. Sur moi pose tes deux mains blanches,
Laisse flotter dans l’air ton haleine et ta voix,
Et répands sur mes yeux l’eau fraîche de tes doigts.


L’INSTINCT DE LA VIE


Aimez la vie, et que vos mains, chaque journée,
La couronnent de verts et flexibles rameaux.
C’est nous seuls qui faisons nos peines et nos maux :
Nous fanons en un soir les roses d’une année.
Que de soldats tombés près de moi ! Chacun d’eux
Tourna vers le pays lointain de son enfance
Ses yeux las de souffrir et ses bras sans défense.
Tous aimaient à revoir, au long de champs herbeux,
Des maïs blonds, un frais jardin luisant, des branches
Versant une ombre verte aux briques des vieux murs,
Et des femmes, filant, rire de leurs dents blanches
A de beaux enfants nus qui mordent des fruits mûrs.
Ils entraient dans la mort, mais leur âme rebelle
Se tendait vers la vie et, se réclamant d’elle,
S’y rattachait, en un multiple et vert rameau,
Comme une jeune vigne au tronc d’un vieil ormeau.


L’AMOUR RENAIT


I


Enfin, je puis poser mon front nu dans tes bras,
Et me montrer moi-même, et dénouer la chaîne
De ces vains mots qu’on dit pour exprimer sa peine :
Toi seule me comprends si je ne parle pas.
Vois en mes yeux mon âme à fleur d’eau qui rayonne,
Vois ma bouche, mes mains, mon corps qui, par le fer,
Et le froid, et la boue, a tellement souffert
Qu’il s’étonne de vivre et pourtant ne demande,
En paiement de ces jours de douleur et d’orgueil,
Que des baisers en pluie à ta lèvre gourmande
Et l’ombre de ta robe aux marches de mon seuil.


II


As-tu gardé ta fraîche et brusque gourmandise ?
Entrons. La lune pleure au feuillage des buis,
La maison nous accueille, et, sur la table mise,
Vois le pain blanc, l’eau pure, et la coupe des fruits.
Prends en tes doigts menus cette pomme encor verte,
Mords à même et me montre au luisant de sa peau,
Comme un baiser, comme un sachet, comme un étau,
Le fougueux appétit de ta bouche entr’ouverte.

III


— Le soleil t’a meurtri le front, ta gorge est sèche.
Bien-Aimé, que veux-tu ? Les figues ou l’eau fraîche
Qu’à la source j’irai moi-même te puiser ?
— Laisse l’eau dans son cours et le fruit sur la branche,
C’est de toi que j’ai soif... Ouvre tes bras et penche
Ta tête, vase pur où je bois ton baiser.


LA NATURE RETROUVÉE
I
L’APPEL AU SOIR

Les langueurs du couchant augmentent la tendresse De la fermière, seule au soir, dont la main presse Craintivement le sein où, lassé de soleil, Son jeune époux connut l’amour et le sommeil. Le val bleuit ; les troupeaux passent ; la fermière Interroge d’abord la route familière. Puis cherche, en vain, des yeux, sur l’immense labour, Le robuste profil de son homme au retour. Alors, ouvrant les mains à l’entour de sa bouche, Elle pousse un long cri de détresse farouche Et jette, aux mille échos des plaines et des bois, Le nom de son époux qu’elle clame en patois.

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II


LES BORDS DE LA MEUSE


L’heure de paix émue et de soir qui se fane,
Entre toutes ses sœurs est la plus diaphane.
Le soleil disparu laisse flotter encor
Sur la côte du fleuve un long poudroiement d’or ;
Les deux ailes au large, une barque tranquille
Glisse sa nonchalance à la pointe d’une ile ;
Et l’ombre de la barque et de l’ile aux roseaux,
Afin de nous montrer l’âme vaine des choses,
Se reflète au miroir silencieux des eaux.
Puis, tout s’estompe et meurt. La terre est au repos.
Deux étoiles d’argent dans le ciel sont écloses.

III


FORGERON DE CAMPAGNE


Dans l’atelier sonore où l’ombre s’est accrue,
Les énormes marteaux sur l’enclume ventrue
Battent leurs derniers coups, et l’heure qui s’endort
S’allonge en un linceul léger de pourpre et d’or.
Trouant le crépuscule avec sa tête noire,
Vers le gué communal où les bêtes vont boire,
Le forgeron descend la route de cailloux.
Son tablier de cuir le ceint jusqu’aux genoux.
Il dévêt, lentement, sa massive encolure,
Et, vibrant, musculeux, nu jusqu’à la ceinture.
Il inonde à grande eau le bronze de sa chair.
Le jour s’éteint, le vent fraîchit, l’Angélus tinte,
Des bœufs, montant du val, poussent leur longue plainte
Et martèlent la nuit de leurs sabots de fer.


PENSÉES POUR LES MORTS


Mon ami, je ne pleure, en ce soir, ni tes yeux
Où je voyais jaillir l’idée en un sourire,
Ni ta bouche chantante et qui savait bien dire,

Ni même tout ton corps flexible et vigoureux.
Nous ne sommes qu’un peu de cendre, et tu reposes,
Toi qui connus l’orgueil de mourir au grand jour,
Sous un tertre au soleil que couronnent des roses.
Mais dans le désespoir de mon immense amour
Je cherche les débris de ton intelligence.
Je voudrais retrouver sa flamme et retenir
Tout ce qu’elle enfermait de joie et de science
Pour embraser le cœur des hommes à venir.
Hélas, elle n’est plus, et — tristesse suprême —
Ne s’était pas encor révélée à toi-même.


SAGESSE


Ne porte ni fruits mûrs, ni vase blanc de lait.
Sur la tombe légère où ton amant repose,
Mais plante un vert rosier qui laisse, rose à rose,
Défaillir ses parfums dans le soir violet.
Il lui rappellera ton amour, et la grâce
De ses frêles rameaux tes bras liants et doux ;
Ses épines diront qu’il eut le cœur jaloux,
Ses frais pétales nus ta jeunesse qui passe.


ANDRÉ LAMANDÉ.