Poésies - Le poème d'automne

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Poésies - Le poème d'automne
Revue des Deux Mondes, 6e périodetome 25 (p. 687-696).
POÉSIES


LE POÈME D’AUTOMNE


Octobre, roi des mois et prince des féeries,
Vient répandre en tous lieux à flots ses pierreries.

Il descend sur la terre en traînant après lui,
Comme un pourpoint royal qui fascine et reluit,
Son manteau chamarré de mille feuilles mortes
Et paré de dessins des plus étranges sortes.
Il chemine sans bruit sur l’herbe des sentiers.
Dérobe digitale et fougère aux halliers,
Trace sur le gazon maint bizarre méandre
A l’aide du colchique et de fleurs mauve tendre.
Il frappe les rameaux de sa baguette d’or
Et fait de la Nature un éclatant décor.

Sa présence partout se devine et s’impose :
Sur la grève il se mêle au coquillage rose ;
Colore l’arbousier et le chêne marin ;
Jette au ruisseau la sorbe, et diapré le terrain.
Parmi les rochers gris où le vent se balance
Il se pose un instant, puis, épris de silence,
Vole aux coteaux boisés, hante monts et guérets,
Va sonner l’hallali dans les hautes forêts
Où la biche aux aguets surveille sa venue.
On le voit tout à coup au bout de l’avenue,

Auprès de la chaumière, au faîte de l’ormeau
Qui sur le vieux manoir incline son rameau,
Au bord du guier jaseur dardant sa flore insigne.
Et voici que dans mon village il me fait signe.

De grands brouillards furtifs s’étendent sur les prés,
Lorsque l’aube apparaît dans les matins pourprés.
Ils couvrent l’horizon d’ivoire transparente ;
Leur blanche hermine au fer argenté s’apparente.
Dans la plaine indistincte où les noirs peupliers
Dressent leurs fûts, tels des mâts géans, par milliers ;
Ils exhalent dans l’air leur arôme de brume,
Et puis, s’effilochant, roulant leur souple écume.
Leurs houppes d’ouate ambrée autour des frondaisons
S’égrènent tout à coup, comme de faibles sons...

Et le ciel d’azur pâle apparaît. Sa nuance
Au bleu pastel ancien des La Tour se fiance.

L’heure est songeuse et grave et les bruits se sont tus.

Le peuple des oiseaux ne chante presque plus.
Les vaches dans les champs dispersent leurs sonnailles.
Devant les chais ouverts reposent des futailles,
Et l’on entend grincer le cadre d’un pressoir.
Là-bas, sur l’humus gras fouillé par le fossoir,
Un paysan s’avance, et jette, à la volée,
Le blé traçant dans l’air sa trajectoire ailée.
Au verger solitaire on a gaulé la noix.
Soir et matin, on voit flamber des feux de bois
Et danser leurs lueurs aux murs des métairies,
Dans un parfum de poire et de pomme mûries.
Au sommet d’un coteau, profilés sur le ciel,
Dix forts mulets couplés labourent ; blonds de miel,
Les sillons remués fument dans la lumière.
Un troupeau de moutons pâture la bruyère.
Brusque, un coup de fusil déchire le lointain.
La voix des chiens courans dit qu’un lièvre est atteint

Dans le vallon. Peureux, un vanneau caché crie.
Des flaques d’un chemin de l’azur irradie.

Les roses de l’Automne animent mon jardin
D’une grâce languide et dont l’éclat éteint
Est bercé doucement par leur tige fragile.
Le gai ruisseau, fluant dans sa gaine d’argile,
Semble fuir d’un élan moins vif et moins pressé,
Comme s’il regrettait l’Eté trop tôt passé.
Sur le dernier œillet une abeille sonore
S’est posée. Et, tout près, dans le clair sycomore.
Mélancolique, doux, solitaire, un pinson
Gazouille ses adieux à la belle saison.
Une à une voici se détacher les feuilles,
Que la main de l’Automne une à une recueille,
Et place lentement sur les ailes de l’air,
Pour les livrer au sol, otages de l’Hiver.
L’une après l’autre, ici et là, les feuilles tombent :
Feuilles blanches ainsi qu’un duvet de colombes ;
Feuilles jaunes ; feuilles de cire et de carmin ;
Feuilles blondes ; feuilles d’un vert incarnadin ;
Couleur de rouille ocreuse, ou couleur de poussière ;
Sombres comme la nuit ; brunes comme la terre ;
Feuilles rouges autant que des caillots de sang.
Qui recouvrent l’humus, tapis éblouissant...
On les vit, en avril, crevant leurs bourgeons, tendre,
A l’appel du Printemps, une verdure tendre
Comme l’aile qu’entr’ouvre un papillon qui sort,
Fier, de sa chrysalide et qui prend son essor.
Et maintenant, voici qu’ayant vécu leur vie,
La Nature soudain à la mort les convie...
Mais leur frêle existence est moins frêle pourtant
Que nos plus hauts désirs, nos plus tendres instans

Feuille qui tombe, espoir qui meurt, jour qui défaille !
Octobre a visité le ravin qui tressaille.
Sans trêve, jour et nuit, il va par les sentiers,
Çà et là, rôde au sein des bas-fonds forestiers.

Rien ne peut entraver son œuvre sourde et sûre.
Il se rue à l’assaut de la futaie obscure,
Enguirlande le hêtre, escalade les cieux,
Chevauche les troupeaux des nuages joyeux.
Il tend contre le mur la vigne vierge rouge,
Dont la liane souple au moindre zéphyr bouge.

Il jette, en le fendant, le corset épineux
De la châtaigne bistre aux flancs des monts brumeux.
Octobre est là, les bras chargés de glands, de baies,
Et des mûres qu’on voit dans l’épaisseur des haies.
Il porte dans sa bouche un brin de serpolet
Et suspend à son thyrse un raisin violet.
Octobre est là, si beau qu’on ne peut de sa face
Soutenir la splendeur que nulle autre n’efface ;
Si sublime, si riche et divers à la fois,
Que devant lui, la Muse, hélas ! presque sans voix.
Désespère à jamais de trouver des vocables
Dignes d’en célébrer les instans adorables.
Ce règne mordoré, ces lointains opalins,
Ce feuillage où le feu sertit le gris des lins.
Qui dira les reflets des glèbes retournées
D’après les tons des cieux, les heures des journées ?
Les ondes parcourant la mer verte des prés ?
Les instables trajets des nuages moirés ?
Au milieu du réseau tout dénudé des branches,
Les espaces ouvrant leurs découpures blanches ?
Comment décrire et peindre en mots assez choisis,
En termes, à la fois fluides et précis,
Ces teintes de topaze et ces écharpes bleues
Sur de molles vapeurs flottant durant des lieues ?
Les émaux délicats et les rais nuancés,
Les gammes, les accords sur les champs dispersés ?
Ces bordures de cuivre au long d’une rivière ?
Les mille pâmoisons, les jeux de la lumière,
Cette beauté trop belle et ces émois trop vifs.
Et ces troublans parfums sur les derniers massifs ?

O sublime splendeur des choses flnissantes,
Volupté si profonde éparse dans les sentes,

O Nature émouvante et, si près de la mort,
Te faisant plus magique et radieuse encor,
Vêtant pour le trépas ta plus brillante étole,
Te parant pour la fin, t’ornant comme une idole,
Te portant en triomphe avant d’agoniser :
Ton suprême regard m’émeut comme un baiser.

Ah ! laisse-moi jouir de ton apothéose
Au seuil des longs frimas et de l’hiver morose ;
Mettre à profit ton règne une dernière fois ;
Suivre tes pas furtifs dans l’épaisseur des bois ;
Accueillir tes rayons ; absorber ta lumière ;
Emporter dans mes yeux sa dorure plénière
Pour me réchauffer l’âme à son beau souvenir,
Lorsque le ciel se voile et le froid va venir...
Laisse-moi m’attacher à chaque fleur qui tombe
Dans l’instant qu’elle va se perdre dans la tombe.
Fais-moi goûter, Nature, en toute piété,
Ta multiple, éphémère et riche majesté...
Que mon cœur soit l’écrin où le passé fleurisse
Dans ses matins couleur d’iris et de narcisse ;
Ses ciels où l’alouette en chantant voletait ;
Ses midis de soleil, où le blé miroitait ;
Ses soirs de vers luisans et ses nuits étoilées ;
Ses senteurs par la plaine, à l’aurore, exhalées ;
Rayons, gaîtés, reflets, murmures et chansons ;
Doux loisirs sur la mousse ; oasis des frondaisons ;
Heures de flânerie aux paisibles clairières,
Thyrses de lilas blancs et de roses trémières
Printemps qui narguait la nuit de l’avenir,
délices des jours, voici qu’il faut finir...
Sur la nef du départ où se jouait la brise.
Vos jeunes fronts, chargés de lys et de cytise,
De crocus et d’arum, se levaient, orgueilleux.
Dans un défi superbe à l’Olympe et ses Dieux.
Vous ignoriez alors votre courte durée.
Et que la mort, déjà, vous guettait, fils de Rhée,
Dans la brièveté de vos faibles instans.
Avec Octobre, but que vous fixa le Temps.


Adieu l’oiseau qui chante, adieu les douces roses.
Adieu toutes les fleurs qu’avril avait écloses.
Adieu le tiède éther que le gel va ternir.
Chaque feuille qui tombe évoque un souvenir.
C’est Octobre ! Je pense à vous, ô ma chérie
Je mêle mon amour à cette griserie
De parfums, de couleurs et de suavité :
Dais magnifique offert à votre royauté !...
Il me souvient du jour où je vous ai connue.
Votre robe traînait sur la mousse menue ;
Des feuilles d’or pleuvaient sur vos cheveux dorés ;
Le décor de l’Automne en vos yeux adorés
Se reflétait ainsi qu’en un miroir limpide.
Octobre vous tendait sa guirlande splendide.
Vous étiez toute rose en l’Automne émouvant,
Et votre joie était un miracle vivant.
Votre fraîcheur charmait les brindilles flétries.
L’Automne, sur vos pas semant ses pierreries,
M’était plus cher alors que le plus fier Printemps ;
Et la précarité de ses jours éclatans.
Tout cet effeuillement navrant de la Nature,
Me semblait aussi beau qu’un lever d’aube pure.
L’espoir me dérobait le deuil du bois désert.
Mon cœur était sans crainte en pensant à l’Hiver.

Et puis, c’est en ce mois que vous êtes partie.
Votre amour a duré moins qu’une fleur blottie
Aux replis d’un ravin par l’Automne guetté...
Un sourire, un caprice, et vous m’avez quitté…
Votre grâce, au tournant du chemin solitaire,
Ne fut plus qu’un distant et décevant mystère
Qu’Octobre allait porter, avec l’âme des fleurs.
Au gouffre de l’oubli, sans pitié pour mes pleurs.
Ah ! que vous étiez belle et grande, mon amie !
Vous étiez la ferveur, l’ardeur et l’eurythmie ;
L’éternelle, sublime et fraîche illusion ;
La foi réconfortant l’âme de son rayon.
La forme du baiser s’arquait sur votre bouche.
Comme Mab animant l’objet que sa main touche,

Vos doigts, pressant mes doigts, faisaient jusqu’à mon cœur,
Tel un ruisseau vivant, refluer leur chaleur.
Les fruits où vous mordiez, vous les jetiez dans l’herbe.
Vous portiez dans vos bras des fleurs à pleine gerbe.
Vous cueilliez des jasmins et les lanciez dans l’eau.
L’Automne de ses ors vous faisait un halo.
Vous étiez belle ainsi qu’une nymphe de Grèce.
Sous vos pas l’on voyait éclore la tendresse
En rejets merveilleux dont vous vous couronniez.
Et le bonheur naissait où se posaient vos pieds.

O chère, vous m’avez escorté dans la vie,
L’espace d’un accord, puis vous êtes partie...

Et j’erre maintenant dans les lieux désolés
Où résonnaient vos chants et vos rires ailés.
Voici le taillis d’aulne où l’amour en silence
Vous jeta sur mon cœur, tremblante. Voici l’anse
Où nous nous abritions au bosquet de bouleaux.
Le fleuve, à nos baisers, ralentissant ses flots,
Jaloux, nous semblait-il, de nos longues étreintes.
S’attardait sur la rive à chercher les empreintes
De vos pas imprimés sur le sable soyeux,
Afin de les baigner de mille pleurs pieux...

Mais tout cela n’est plus qu’un passé. Mon amie,
Que faites-vous depuis que vous êtes partie ?
Je ne sais, désormais, hélas ! plus rien de vous.
Qu’êtes-vous devenue ? En quels sites plus doux
Votre grâce, adorable et superbe, vit-elle ?
Les échos d’alentour, que souvent j’interpelle,
Indifférens et sourds, gardant votre secret
Opposent à ma voix un silence discret...
Je ne sais rien de vous, mon Dieu !... Les feuilles tombent.
Les fleurs de mon jardin pâlissent et succombent.
La vie au sein des champs paisiblement s’endort
Dans les bras que lui tend Octobre aux tiares d’or...
...Voici l’Automne... Il pleut de la mélancolie.
Qu’êtes-vous devenue, ô ma Jeunesse enfuie



L’ACCUEIL


Qui que tu sois : marchand ; pèlerin ; fier guerrier
Que grandit la victoire et pare le laurier ;
Artiste épris du rêve et des belles images ;
Philosophe marchant sur la trace des Sages ;
Poète qu’Apollon inspire ; paysan ;
Vieillard pour qui la vie est un fardeau pesant ;
Adolescent heureux de posséder la vie ;
Femme que l’abandon ou l’amour ont suivie :
Qui que tu sois, arrête au seuil de ma maison
Ta marche fatiguée. Entre ! C’est la saison
Où l’on aime au foyer dont la flamme pétille
Présenter ses doigts gourds, cependant que scintille,
Çà et là, sur le mur quelque rouge reflet
Et que le vent secoue en passant le volet…

Entre ! Tu trouveras sur la table l’amphore
Qu’un vin rose muscat joyeusement colore,
Et dans l’assiette creuse où fume un lait bouillant
La châtaigne et le pain de froment pur baignant.

Assieds-toi. Ne crains point les crocs aigus du dogue
Qui se ramasse et gronde, ou qui, revêche et rogue.
Evite la caresse, et, le poil hérissé,
Ne quitte pas des yeux le passant harassé.
Tout en te reposant, fais-moi tes confidences :
Gains poursuivis ; jeux où se plaît la Providence ;
Grands désirs que la Gloire a sans cesse comblés.
Beaux rêves d’art en beaux chefs-d’œuvre modelés ;
Graves enseignemens puisés à la sagesse ;
Poèmes que dicta la Muse enchanteresse ;
Labeur tenace et dur de la glèbe ou du champ ;
Désir triste et craintif du trépas approchant ;
Jeune espoir éclairant de son aube la route ;
Amante qu’un amour partagé charme toute,
Ou saignant à jamais de l’affreux abandon....


Ainsi j’écouterai ton récit, bref ou long,
Sans mêler à tes mots de bonheur ou de haine
L’écho de mon passé d’allégresse ou de peine,
Pour ne pas amoindrir, le comparant au tien,
Ton passé triste ou gai, dont ne subsiste rien, —
— Sur la grève du Temps insignifiante écume, —
Qu’un souvenir, voilé de joie ou d’amertume,
Mais qui, dans le présent, te reste cher encor,
Parce qu’il fut ta vie avant d’être la Mort.


LORSQUE LA NUIT DESCEND


Lorsque tombe le soir lentement sur la terre,
Alors j’entends la voix du silence gémir
Dans les cyprès bordant les champs pleins de mystère,
Comme un faon orphelin que la nuit fait frémir.

Le sol laisse échapper des parfums d’ombre tiède.
La détente un moment envahit les pensers.
Et le long bruit de mer sortant de la pinède
Evoque un flot obscur où les morts sont bercés.

O morts, mes morts chéris, qui reposez dans l’ombre,
Jamais je ne vous sens plus rapprochés de moi
Qu’à l’heure où le soleil descend, décline et sombre
Derrière les coteaux qui rougissent d’émoi.

Car, tout au doux rappel de ses chères tendresses,
Mon cœur, que la ténèbre enveloppe, n’est plus
Distrait aux bruits du jour, et goûte l’allégresse
De revivre à loisir les instans révolus.

Et comparant son sort à votre paix immense,
Imaginant les maux qu’il doit encor souffrir,
Il vous envie, épris de votre grand silence,
morts, d’avoir enfin mérité de mourir.



LE PASSE


La brume étend partout sa gaze diaphane.
De confuses rumeurs s’élèvent çà et là.
La Nature, assoupie et fragile, se fane
Sur les bords des sentiers d’où l’Amour s’envola.

Les bouleaux élancés mettent leur tache claire
Parmi les châtaigniers, dans l’air silencieux.
Sous ses dentelles d’eau l’heure est crépusculaire.
Et l’aube, sans lueur, n’anime pas les cieux.

L’âme est comme un parterre où la mélancolie
Promène ses langueurs et son rêve attristé.
Au milieu des rameaux qu’abandonne la vie
Et d’une amère et froide odeur d’humidité.

Et tous les souvenirs des jours enfuis, près d’elle,
Ainsi que les oiseaux de l’arrière-saison
Sur le seuil d’un logis, viennent battre de l’aile
Et pleurer sans retour sur leur défleuraison.


PIERRE DE BOUCHAUD.