Poésies attribués à Charles d’Orléans/Lay piteux

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POÉSIES

ATTRIBUÉES A CHARLES D’ORLÉANS.

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LAY PITEUX.

     Bonne saison, bon temps avoye,
Elas ! amy, quant vous véoye.
Reconfort bon et vous prenoye ;
Tant de plaisir et d’autre bien
Rejoïssoit ma seule joye ;
A vo vouloir me soubzmectoye ;
Nul autre bien ne demandoye
Dessoubz les cieulx pour estre mien,
     Que vostre amour que tant amoye,
En vous servant me delictoye !
Et pourquoy non ! bien seur estoye
Que vous m’aimiez tresloyaument ;
Et quant jadiz vous requeroye
Que vo servant estre vouloye,
Mon seul vouloir vous appelloye
Et mon vaillant entierement.
     Vous me dictes si doulcement,
En moy baisant et accollant :
« Amy, amons nous chierement,

Baille ton cueur, et prens le mien ; »
Et je changay joyeusement,
Et vous aussi si liement,
Et feïsmes loyal serment
Qu’avons tenu, je le sçay bien.
     Et est vray qu’oncques crestien
En amours n’eust autant de bien
(Gardant vostre honneur et le mien,)
Que j’ay eu, et sans avoir blasme :
Vo doulz acueil, vo doulx maintien,
Vostre plaisir que fust le mien.
Car sans cellui ne m’estoit rien.
Je le jure sur Dieu, sur m’ame.
      Si vous baillay le mien en garde.
            Belle Dame,
            Prenant charge
De vous loyaument servir,
Sans reprouche ne diffame,
            Sur mon arme.
Sans jamais de vous partir.
      Elas ! quant d’elle partoye,
            Je pensoye
            Quant pourroye
Bien tost vers elle venir ;
Nuit et jour je la sonjoye,
La veoye parler, aler et venir !
Tant espris d’elle estoye ,
Qu’en veillant je l’appelloye,
Puis que bien loing en estoye,
À soy cuidoye parler ;
Mais puis bien après veoye
            Que resvoye,
Me prenoye à plourer.
      Cest ducil m’estoit à porter,
Et bien aise endurer,

Car bien tost, du retourner
Me prenoit tresgrant talent ;
En elle si fort penser,
Ma joye renouveller
Me faisoit incontinent.
      Et quant venir n’y povoye,
Entre deux lui rescripvoye,
Son nom et le mien mectoye
Escript bien estrangement ;
Et puis quant je la véoye,
Dieu scet quel chiere j’avoye
Recueilly joyeusement.
      Puis nous faillu esloingner
L’un de l’autre, guermenter,
            Car Dangier,
Plusieurs autres mesdisans
Nous firent tant endurer,
            Et plourer.
            Tourmenter,
Oncques puis n’eusmes bon temps.
      Et puis entre autre gent
Failloit, en nous esloingnant,
À plusieurs autres parler,
Avoir autre pensement,
Muer la couleur souvent,
Sans l’un l’autre regarder.
      Elas ! elle s’esbastoit.
Et bonne chiere faisoit
À tous autres, fors qu’à moy ;
Dont mon cuer fort souspiroit,
Quant elle me regardoit,
Je vous jure par ma foy.
      Dont sourdit grant jalousie,
Car elle ne créoit mye
Que n’eusse fait autre amye ;

Ainsi me sembloit il d’elle
Que s’amour me fust faillie,
            Departie,
            Et guerpie ;
M’eust laissié la bonne belle.
Dont ensuies grant querelle.
            Moy et elle,
Advint qu’en une chappelle
Nous nous trouvasmes tous deux,
Et je lui dis ; « Bonne et Belle,
Ne me soiez si cruelle,
Puis que nous sommes tous seulz.
Dictes moy vostre vouloir,
Ne me vueilliez decevoir,
Ne mectre à nonchaloir,
Car, vers vous n’ay rien forfait
     — Mon amy, vueilliez savoir.
Vous me feistes trop doloir ;
Ne savez vous comment il m’est ?
Vous m’avez abandonnée
            Et laissiée.
            Désolée,
            Esloingnée ;
À qui oseray je dire
Ma tresdolente pensée
            Qui grevée
M’a, et trestant mal menée
Que je vis en grant martire.
N’est riens qui me puist souffire,
            Tant ay d’ire ;
Quant ès autres vous voy rire,
Et grant joye demener.
Je ne vueil avoir nul mire
            Qui me mire,
J’ayme mieux mes jours finer. »

      Et lors nous nous advisasmes,
Et l’un l’autre pardonnasmes,
Car pour obvier mains blasmes,
Il nous faillut esloingner ;
Noz amours renouvellasmes,
Et de nouvel nous jurasmes
De nous loyaument amer.
      Cecy nous dura long temps ;
On dit qu’au bout de sept ans
Revient voulentiers mal ans ;
Ainsi m’est il advenu,
Dont je vis piteusement,
            En tourment,
Las ! je suis pis que perdu.
      Elas ! trescruelle mort,
Tu me fais crier à tort
            À la mort,
            Que ma mort
Bonnement ne l’ose dire
            Mon confort,
Ma joye et mon déport.
      Or me fault passer du port,
Du royaume en l’empire,
De tout plaisir en tristesse ;
Mectre mon cuer en destresse
            Qui me blesse.
            Et ne cesse
De destruire ma jeunesse,
Puis que m’as mort ma maistresse ;
            Dont liesse
            Si me blesse
            Elas ! qu’esse.
            Qui me presse
De dire las ! que feray ?
Que diray ? où iray ?

            Si mourray,
Ou si de dueil creveray ?
Car je n’ay que esmay
Elas ! et ont me mectray
Jusques mes jours fineray ?
En lieu ne reposeray
Jusque là où la verray.
      Car pour ce que tant l’aymay,
Tous les jours souhaiteray
La mort qui desjà m’aprouche ;
Entre deux je ne vouldroye
Estre en lieu ont eust joye,
            Com souloye,
Car ma douleur doubleroit,
      Véoir ce qu’avoir souloye !
Elas ! car mieulx ameroye
M’en fouir où que ce soit,
Disant adieu tresdouloureux,
Adieu, adieu tous amoureux,
Adieu le plaisir de mes yeulx,
Adieu, sans plus estre joyeulx.
      Adieu le bien de tous les lieux,
Adieu le mien dessoubz les cieux,
Adieu regard tresgracieux,
J’en preing congié de cueur piteux.
Si fineray ma complainte,
Ma joye sera acteinte,
Et de douleur auray mainte
            Grant actainte
Dont il me convient languir
            Et sevir,
Car j’ay aymé, et sans fainte.
Celle qu’avoye tant crainte,
Que pour elle vueil mourir !
Sa tresbonne renommée,

Sa grace de tous louée
Et de beauté aournée,
Tant amée et prisée,
          Desirée
De trestoute autre gent,
La fait estre regrectée,
Dont ay la mort demandée,
Toute joye oubliée.
À Dieu son ame command.
     Et sachiez certainement
Trestous li léal amant,
          (J’en dis tant,
Sans nulle dame blasmer)
Que c’estoit la plus plaisant
Des belles et avenant,
C’om peust des yeulx regarder.
C’est le reconfortement
Que j’ay en mes jours finant.
En priant humblement
À Dieu, tresdevotement,
Qu’en son Paradis briefment
Son ame puisse trouver.


EXPLICIT LA PREMIÈRE PARTIE
DU LAY PITEUX.

RONDEAUX.

I.

     Sans vous veoir,
Près du manoir,
Amy de vous,

Fine mes jours
Cest derrain soir,
Veuillez savoir
Qu’à nonchaloir
Mis par vous tous,
Sans vous veoir.

Mourant espoir
Ferez devoir,
Souviengne vous
Que laissay tous,
Par vous vouloir.
Sans vous veoir.


II.

Faulce mort,
À grant tort.
M’as grevée,
Et ostée
Mon deport ;
Mon cuer mort ;
Car trop tort
L’as serré,
Faulce mort.

Près du bort
Du mal port
M’as laissiée
Desolée,
Sans confort,
Faulce mort.


BALLADE.

     Bien puis dire souvent elas !
Comment m’est il mesavenu !
La mort, que moqué ne m’a pas,
La belle bonne m’a tollu,
Et m’a laissié depourveu
De tous les biens qu’avoir souloye,
Tout plain d’ennuy, sans point de joye ;
Sy pry à Dieu qu’en son manoir,
L’ame de soy tout droyt envoye
Ont la puisse briefment véoir.
     Helas ! amy, d’un de ses dars
Soudainement Mort m’as feru ;
De mon meschief je n’ose pas
Faire semblant qu’ay receu.
Or, ay je bien trestout perdu,
Car seulement quant je pensoye
De la véoir m’esjoïssoye.
Ou près, ou loing et main et soir ;
Or à présent, estre vouldroye
Ont la puisse briefment véoir.
     Hé ! Dieu d’Amours trop pugny m’as
Sans toy me sera bien deceu,
Quant me souvient qu’entre ses bras
Amy tout seul m’ot retenu
Mon cueur et moy si bien pourveu ;
Estre tout sien lui promectoye
Tresloyaument, et lui disoye :
Vueillez vostre amy recevoir ;
Or à présent estre vouldroye
Ont la puisse briefment véoir.


EXPLICIT LE LAY PITEUX