Poésies badines et facétieuses/Épître à une coquette

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ÉPITRE À UNE COQUETTE.


C’est assez me croire la dupe :
En dépit de ta vanité
Et du manège qui t’occupe,
L’honneur je ne l’ai pas été.
Sauve qui peut ! Jeune et charmante,
Tes traits sur moi n’ont point porté
Sans doute l’insulte est criante ;
C’est manquer a la probité !
À tes ruses les plus secrètes,
Qui… moi, j’ai le front d’échapper ?
Tout amant qu’on ne peut tromper,
Est un monstre aux yeux des coquettes.

Je l’avouerai, quand je te vis
Fraîche, comme on l’est au bel âge,
T’avancer au milieu des ris,
Et fixer la foule volage
De tous nos jeunes étourdis,
T’offrant leurs cœurs à ton passage ;
Lorsque je vis tes beaux cheveux
Tomber, en boucles ondoyantes,
Sur tes épaules éclatantes,
Dont l’albâtre en ressortait mieux :
Lorsque je vis sur tes grands yeux
Tes longues paupières baissées,
Et ton regard ingénieux,
Où l’on croit lire tes pensées ;
Cette taille, qui, tour à tour
Est légère et voluptueuse.
Et sait être majestueuse,
Sans trop effaroucher l’amour ;
Embrase d’une ardeur nouvelle.
Quand je vis tout cela, Zulmé,
Je m’écriai : « comme elle est belle !
« Qu’il serait doux d’en être aimé ! »
Mais après la première ivresse,
Quand, laissant tomber le bandeau,
Je vis tes projets, ton adresse,
Et tout le revers du tableau ;
Ta beauté, toujours sous les armes,
Pour insulter à ses martyrs,
L’artifice de tes soupirs
Et le mensonge de tes larmes ;
Quand je te vis, à tes amants
Jeter une amorce perfide,

Pour t’assurer de leurs tourments ;
Quand je surpris une âme aride,
Sous le masque des sentiments ;
Lorsque, pour suivre une conquête,
Je te vis, avec tant de feu
Mettre cent passions en jeu,
Avec l’amour-propre à leur tête ;
Prompt alors à me dégager,
Et plein d’un sang-froid qui m’étonne,
Je m’écriai : « Qu’elle est friponne !
« Et quel plaisir de m’en venger ! »
Bref, la guerre entre nous commence.
J’abjurai vite mon amour,
Et n’en gardai que l’apparence :
Tu m’enhardis le premier jour ;
Le second (j’en ris quand j’y pense),
Tu fis un effort de décence.
Les dédains même eurent leur tour ;
Je me tins prêt à la défense.
À cet acte d’hostilité,
J’oppose une autre batterie :
J’encourage ta perfidie
Par un désespoir simulé.
Bientôt mon air d’indifférence
Arme l’orgueil de tes appas :
Nouvelle attaque, autres combats ;
Nous déployons notre science,
C’est à qui sera le plus faux.
De l’art, épuisant les chefs-d’œuvre,
Je déconcerte ta manœuvre
Et contre-mine tes travaux.
Ta prudence en vain se ménage

Des chemins couverts et mêlés ;
Dans tes plus sombres défilés
Je suis toujours sur ton passage.

Te souvient-il de ce moment
Où, ballotté par ton caprice,
Je soupirais si tendrement,
En accusant ton injustice !
J’appuyais ces soupirs trop vains,
Par un beau déluge de larmes.
Tes yeux alors semblaient sereins,
Tu jouissais de mes alarmes.
Eh bien ! ces pleurs, ils étaient feints ;
J’en suis désolé pour tes charmes !

Te souvient-il encor, d’un soir,
Où, sur un sofa renversée,
Et par cent zéphirs caressée,
Dans le plus magique boudoir,
Trois fois tu m’étais retracée
Par le jeu du triple miroir !
Tes frais vêtements laissaient voir
Une jambe au hasard jetée,
Attitude exprès méditée
Pour me rembarquer dans l’espoir !
La lumière demi-voilée
Colorait ton sein presque nu,
Allant, sans être contenu,
Comme une fleur sort effeuillée
Du calice qu’elle a rompu.
J’ordonnai : mes yeux s’allumèrent,
Doux avant-coureurs des plaisirs ;

Les gestes, les regards parlèrent,
Et tu les pris pour des désirs.
Tu t’abusais. Ciel, quel outrage !
En vain expirait ta fierté,
En vain l’amour livrait passage
À l’heureuse témérité,
Tu sais trop combien je fus sage !
Et cependant des feux de l’âge
J’ai toute la vivacité.
Je riais de ta dignité
Qui contrastait avec l’injure,
Du désordre de ta parure,
De ton maintien déconcerté :
Et tu vis, dans cette aventure,
Que la jeunesse et la beauté
N’ont qu’un pouvoir bien limité,
Sans le charme de la nature.

Combien te surpasse à mes yeux
La bergère douce et sensible,
Qui, par un attrait invincible.
Naïvement fait un heureux !
Ses baisers peignent son ivresse,
Sans ôter rien à sa candeur.
Succombe-t-elle ? sa faiblesse
La pare aux yeux de son vainqueur
Sans la moindre supercherie,
Elle s’embellit en aimant,
Et sa seule coquetterie
Est l’art de plaire u son amant.

Mais quels tableaux vais-je te faire ?

Je choisis là de vieux crayons,
Et ressuscite la chimère
Des Hylas et des Corydons,
Mourant d’amour sur la fougère,
Et bien plus sots que leurs moutons.
Va, Zulmé, fournis ta carrière ;
Il est tant de mortels blasés,
Tant de petits seigneurs usés,
Qui réclament ton savoir-faire !
Exerce tes jolis talents
Sur quelques tous mélancoliques ;
Attaque des tempéraments
Russes, anglais ou germaniques ;
Voilà, crois-moi, voilà tes gens.
Pour moi, je hais trop l’artifice.
Et je tiens trop aux sentiments.
Sais-je évaluer un caprice !
Sais-je priser de faux serments !
Trompe, désespère, tourmente
Les oisifs qui sont tes amants :
Poursuis, coquette de vingt ans,
Ta couronne est encor brillante ;
Mais c’est à trente où je t’attends.