Poésies badines et facétieuses/Épigrammes facétieuses

La bibliothèque libre.

ÉPIGRAMMES FACÉTIEUSES.

I

Mon cher frère, — disait Sylvie,
Si tu quittais le jeu, que je serais ravie !
Ne le pourras-tu pas abandonner un jour ?
— Oui, ma sœur j’en perdrai l’envie
Quand tu ne feras plus l’amour. —
« Va, méchant, tu joueras tout le temps de tu vie. »

II

Battre ta femme de la sorte,
Sous tes pieds, la laisser pour morte,
Et d’un bruit scandaleux, les voisins alarmer, —
Tuvas passer pour un infâme.
Compère, l’on sait bien qu’il faut battre une femme.
Mais il ne faut pas l’assommer.

III

Un cordelier, faisait l’œuvre de chair,
Et rebattait en festoyant sa mie.
Son compagnon lui dit : — « Frère très-cher,
Il faut pourtant aller chanter Complies. »
Lors le frater dit : — « Parbleu, je m’oublie ;
« Sus ! haut le cul ! dépêchons-nous, Gogo ;
« Je reviendrai, si Dieu me prête vie,
« Dès que j’aurai chanté Tantum ergo. »

IV

Certain Mazet, grand faiseur de neuvaines,
Contait son cas, aux pieds d’un franciscain ;
Puis, quand il eut nombré quelques fredaines,
Il s’accusa qu’une jeune nonnain
L’avant prié de l’amoureuse affaire.
« Le fîtes-vous ? » — Nenni, de par saint Pierre !
Onc je ne fus souillé de tels forfaits.
« Dieu d’Israël ! — dit le révérend Père,
« Conduis un peu tel gibier dans mes rets,
« Puis tu verras si je n’ose rien faire. »

V

Un Florentin faisait son Cupidon,
Et s’ébattait d’un Suisse du Saint-Père :
Le barigel, par sentence sévère,
Le condamna d’aumôner un teston.
Le condamné cria : — C’est tyrannie !
Payer vingt sous, un péché si mignon !
Beau justicier sommes en Italie,
En lieu papal. — « Payons sans répartie,
Reprit Dandin, — tu l’as bien mérité ;
Tout ça n’est point honnête sodomie,
Mais bien péché de bestialité. »

VI

Un laboureur des confins de la Bresse,
Paisiblement s’ébattait d’une ânesse ;

On en fit bruit. D’abord le compagnon
Envoie exprès, traiter en Avignon
De cette affaire. Au retour de notre homme :
« Eh bien ! — dit-il, — à combien les pardons ?
Nous faudra-t-il, cousin, aller à Rome ? »
— Non, j’ai tout fait pour quatre ducatons,
Reprit l’agent, — y compris le voyage ;
Et le légat même, sans tracasser,
Pour environ trois écus davantage,
T’aurait, parbleu ! permis de l’épouser.

VII

Le médecin d’un écolier malade,
Recommanda qu’on gardât de son eau.
On en serra ; mais la garde maussade,
L’ayant fait choir, à son propre tonneau
Vite en retire et remplit le vaisseau.
Le docteur vient et dit : « Ce sont eaux claires
De femme grosse ; on ne m’y trompe guères. »
La garde rit ; le docteur se défend.
Lors l’écolier : « Je l’ai bien dit aux Pères,
Qu’ils me feraient tôt ou tard un enfant. »

VIII

Brûlé du feu de la concupiscence,
Frère Thibaut vint trouver son gardien.
« Jeûnez, mon fils, — lui dit sa Révérence.
Thibaut jeûna ; le jeûne n’y fit rien.
Lors derechef, Thibaut se plaint. « Eh bien !
Joignez au jeûne, et discipline et haire, »

Dit le vieillard. Mais las ! le pauvre hère
sentit sa chair encor plus regimber.
« Vertu du froc ! succombez-y donc, frère,
« Tant que d’un an, n’y puissiez retomber. »

IX

Par un matin, d’une jeune dévote,
Frère Richard, le petit cas oyait,
Et par un trou, promenait sous sa cotte,
Sa douce main dont il la chatouillait ;
De quoi, la niaise en larmes, lui disait :
« Priez pour moi… mon Père… je suis morte ;
Le diable m’entre au… corps… par cette porte
Que vous savez. » — « Gardez de résister,
Dit le frater, — il faudra bien qu’il sorte,
Quand dans tel lieu sera las d’habiter. »

X

Un couple amoureux s’exerçait
Au jeu d’amour, dans un bosquet,
Croyant n’avoir que les dryades
Pour témoins de ses accolades.
Au plus fort du trémoussement,
Quelqu’un parut. — Ah ! — dit l’amant,
Fuyons. — Nenni, répond la belle,
Va ton train. — Mais on nous verra ? —
Eh ! qu’importe, — répliqua-t-elle,
Je ne connais point ces gens-là. »