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Poésies badines et facétieuses/La puce

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La Puce

LA PUCE.

CONTE.

Le hasard seul, sans l’aide du génie,
Est quelquefois père d’inventions ;
Tel, est vanté pour des productions,
Qui n’y pensa peut-être de sa vie :
C’est ce que l’on voit tous les jours en chimie.
Nature tient tous ses trésors ouverts,
Aux ignorants aussi bien qu’aux experts ;
Le tout dépend d’en faire la rencontre :
Sans la chercher souvent elle se montre.

Nous le voyons par l’exemple d’Agnès,
Qui n’était fille à découverte aucune,
Mais qui pourtant, un matin, en fit une,
Que cent nonnains vanteront à jamais.
Voici le fait : Suivante d’une dame
Était Agnès ; farouche elle avait l’âme,
Non par vertu, mais par tempérament ;
Ainsi qu’on voit qu’il arrive à la femme.
Lorsque le ciel la traite durement,
La jeune Agnès passait pour fille sage ;
Elle était belle et n’avait que quinze ans.
Auprès d’Agnès, laquais du voisinage
Ne rencontraient que griffes et que dents.
Jeune marquis visitait la maîtresse,
Pour voir Agnès. Mais sans distinction.
Agnès, partout, implacable tigresse,
Égards n’avait à la condition.
Amour, pour faire à son cœur quelque brèche,

Avait contre elle, envoyé mainte flèche
Sans nul effet ; elle portait un cœur
Bien cuirassé ; si, que dans sa fureur,
Amour jura de venger cet outrage.
Mais ce courroux tomba sur son auteur ;
Agnès tourna tout à son avantage.

Dans la saison de l’aimable printemps,
Un jour, dit-on, de dimanche ou de fête,
Du tendre émail, dont Flore orne les champs,
La jeune Agnès avait paré sa tête.
Entre deux monts de roses et de lis,
Était placée une rose naissante,
Qui relevait leur blancheur ravissante,
Et recevait un nouveau coloris.
Dans un corset sa taille prisonnière
Pouvait tenir, sans peine, entre dix doigts :
Sous un jupon, d’une étoffe légère,
Un bas de lin, paraissait quelquefois
Tiré si bien, et si blanc à la vue,
Qu’on aurait cru voir une jambe nue :
Bref, dans l’enclos d’un soulier fait au tour,
Son petit pied inspirait de l’amour.
L’enfant ailé, plus espiègle qu’un page,
Comme j’ai dit, lui gardait une dent.
« Voici le temps, — dit-il, — ça, faisons rage,
« Et dérangeons tout ce vain étalage,
« Chez cet objet qui m’est indifférent. »
Aussitôt dit, il change de nature ;
Puce devient ; d’abord lui saute au cou,
Au front, au sein, à la main, fait le fou,
Laissant partout une vive piqûre.

Notre beauté très-sensible à l’assaut,
Cherche la puce, en veut faire justice :
Mais Cupidon s’esquive par un saut,
Et, doucement, sous son corset se glisse,
Y fait carnage et n’en veut déloger.
Fillettes sont bons morceaux à gruger ;
L’Amour en fait souvent son ordinaire.
Si comme lui je savais me venger,
De par saint Jean ! je ferais bonne chère…

Agnès enfin déchire son corset,
Le jette au loin, arrache sa chemise,
Et montre au jour deux montagnes de lait.
Où, sur chacune, une fraise est assise.
Elle visite et regarde en tous lieux,
Où s’est caché l’ennemi qui l’assiège ;
Mais il était déjà loin de ses yeux,
Et lui mordait une cuisse de neige.
Ce dernier coup accroît ses déplaisirs ;
Elle défait sa jupe, tout émue :
Au même instant, mille amoureux zéphirs,
Vont caresser ce qui s’offre à leur vue ;
Et combattant en foule a ses côtés,
Par une heureuse et douce préférence.
Sauvent l’Amour d’une prompte vengeance,
Qui l’attendait au sein des voluptés.
À la faveur d’un saut, d’une gambade,
Le petit dieu soutient sa mascarade,
Aux barres joue, et sans cesse fend l’air ;
Il vient s’offrir lui-même à la belle ;
Puis il s’échappe aussi prompt qu’un éclair,
Et fait cent tours de vrai polichinelle.

Pendant ce jeu, vers un jeune taillis,
L’amour lorgnait un portail de rubis,
Fief en tous lieux, relevant de Cythère,
Mais que la belle, injuste et téméraire,
Avec chaleur disputait à Cypris.
Plus mille fois que la nature humaine
Les immortels sont jaloux de leurs droits.
Puis, il était question d’un domaine
À faire seul l’ambition des rois.

Dans cette enceinte, aux alarmes, fermée,
Régnaient en paix les délices des sens ;
Il y coulait une source enflammée
De pâmoisons et de ravisse mens…
Contre tel fort, besoin est de courage :
L’Amour en a bonne provision.
Il fait l’attaque, il force le passage,
Et prend d’assaut ce charmant apanage,
Malgré l’effort de la rébellion.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Calmez, Agnès, ce courroux qu’on voit naître,

« Ne craignez rien pour ce charmant séjour :
« Si le premier, l’Amour s’en rend le maître,
« C’est un tribut qui n’est dû qu’à l’Amour. »
vaines raisons ! on court à la vengeance
Un doigt de rose, à cet effet armé,
Tient lui tout seul, l’ennemi renfermé :
Et le pressant, l’attaque à toute outrance.
Cupidon fuit par un étroit sentier ;
On le poursuit ; l’attaque est redoublée :
Le doigt vengeur met l’alarme au quartier,
Et la demeure en est toute troublée.

Les citoyens de ce séjour heureux,
Les doux plaisirs, les charmantes ivresses,
Jusques alors oisifs et langoureux,
Par ce combat sortent de leurs mollesses.
Chacun, d’un vol badin et caressant,
S’empresse autour de son aimable mère,
Répand sur elle un charme ravissant,
Et lui fait tôt oublier sa colère.
ce doigt vengeur, au meurtre destiné,
Fait sous ses coups, naître mille délices ;
L’Amour lui-même en est tout étonné,
Et se repent déjà de ses malices :
Il craint de voir son trône abandonné,
Et ses autels privés de sacrifices.
De son palais, enfin, la Volupté,
Sur l’œil d’Agnès pousse une sombre nue…
Elle se pâme ;………
……… elle tombe éperdue !

. . . . . . . . . . . . . . . .

L’Amour s’échappe et court épouvanté

Remplir Vénus d’une alarme imprévue…

. . . . . . . . . . . . . . . .

De son extase, à peine revenue,

L’aimable enfant recommença ce jeu ;
Elle y prit goût ; et par elle, dans peu,
Par l’univers la science en fut sue.
Mais nuit et jour, chez le peuple nonnaîn,
Il fut en vogue : et cette heureuse histoire
Fut aussitôt écrite sur l’airain,
Pour en garder à jamais la mémoire !!!