Poésies badines et facétieuses/La reconnaissance filiale

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LA RECONNAISSANCE FILIALE.

La fille unique d’une veuve
S’étant mariée à Lucas,
Se flattait, tant elle était neuve,
D’être toujours entre ses bras.
Quelque temps après l’hyménée,
Bonnement elle se plaignit
Que tant que durait la journée,
Rien ; le soir rien, et rien la nuit.
« Ma foi, — lui dit le bon apôtre,
« Tout ne peut pas toujours servir ;
« Il faut en acheter un autre ;
« La foire va bientôt tenir.
« Selon l’argent, la marchandise ;
« Si j’avais dix écus comptant,
« J’en aurais un de bonne mise,
« Et je m’en reviendrais content. »
Annette, aux dépens de son homme,
Épargne si bel et si bien,
Qu’elle amasse ladite somme.
« — Tiens, mon mari, n’épargne rien. »
Le drôle court vite à la foire,
N’en revient qu’au troisième jour :
Là, ne faisant que rire et boire,

Il fit un magasin d’amour.
De retour auprès de sa femme.
Il en fut bien complimenté.
Elle s’aperçut, jusqu’à l’âme,
De ce qu’il avait acheté.
« — Du vieux, qu’en as-tu fait ? — dit-elle,
On pourrait en avoir besoin. »
« — Pargué, tu me la bailles belle !
S’il court toujours, il est bien loin. »
« — Mon fils, tu n’as pas eu raison ;
« Pour amuser ma pauvre mère,
« Il aurait encor été bon…… »