Aller au contenu

Poésies badines et facétieuses/Leçon à ma femme

La bibliothèque libre.

LEÇON À MA FEMME.


Ma femme, allez au diable, ou vivez à ma mode,
La morale n’est pas d’un Caton, d’un fâcheux :
Je suis pour la vertu commode,
Et la vôtre s’oppose à tout ce que je veux.
J’aime à passer la nuit à table ;
Et vous, qui devriez, avec un air ouvert,
Animer la débauche et la rendre agréable,
Vous faites la grimace et sortez au dessert :
Votre pudeur ne peut soutenir la lumière.
La seule obscurité contente vos désirs ;
Et pour rendre ma joie entière,
Il faut que le grand jour éclaire mes plaisirs.
Sous une longue jupe, avec soin étendue,
Vous cachez ce qu’on doit découvrir aux maris.
Je ne trouve que des habits,
Et je cherche une femme nue.

Au lieu de me donner des baisers ragoûtants,
Vous me donnez des baisers de grand’mère :
Vous demeurez sans voix, sans mouvements,
Loin de me seconder dans l’amoureux mystère ;
Et quand, pour m’exciter au doux jeu de Vénus,
J’ai besoin de vos mains, vous faites la sucrée,
Vous vous fâchez, et n’y touchez plus
Que si détail chose sacrée.
Je ne puis souffrir cet abus.
Tandis que le sommeil fermait les yeux d’Ulysse
Malgré sa mine prude et ses airs réservés,

Pénélope, pour exercice,
Avait toujours la main ou vous savez !
Lorsqu’Hector et sa femme, en leurs humeurs lubrique
Usaient des droits d’hymen, ainsi que de raison,
C’était comme un signal à tous les domestiques,
Et l’on était en rut dans toute la maison !

Si quelquefois il me prend fantaisie,
comme l’on dit ; de tourner le feuillet,
Vous me le refusez tout net.
À son mari, la sage Cornélie
Accordait cette courtoisie :
Porcie encor le souffrait à Caton.
Avant que Jupiter eût ravi Ganymède,
Junon permettait sans façon
Qu’il la traitât par intermède,
Comme il traita depuis son aimable échanson.

Mais puisqu’enfin une austère sagesse,
A pris sur vous tant de crédit,
Soyez ailleurs une Lucrèce,
Je veux une Laïs au lit !…