Poésies complètes (Charles d'Orléans)/Notice bibliographique

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Poésies complètes, Texte établi par Charles d’HéricaultErnest Flammarion (p. 281-293).


NOTICE BIBLIOGRAPHIQUE

et

OBSERVATIONS SUR LA PRÉSENTE ÉDITION

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La première édition que je connaisse des poésies de notre poète a été publiée sous le titre de Choix des poésies de Charles d’Orléans, extrait du premier volume des Annales poétiques ou Almanach des Muses. Paris, 1778, in-18.

Je vois ensuite Poésies de Charles d’Orléans, père de Louis XII et oncle de François Ier, rois de France. Grenoble, Giraud, 1803, avec une notice historique par Chalvet.

L’édition publiée par Warré, in-12, en 1809, est, sans doute, une réimpression de la précédente. Je ne l’ai pas vue.

J’ignore si entre les Annales poétiques et les Poëtes français, publié chez Menard, par Champagnac, en 1825, quelque recueil a publié des vers de Charles d’Orléans. Mais dès cette dernière date notre poète entre en pleine notoriété. Il s’impose désormais à toutes les anthologies. Nous nous contenterons de citer, dans cet ordre de publications, un autre recueil des Poëtes français publié sous la direction de M. E. Crépet, en 1861, et où M. A. de Montaiglon a consacré une notice à notre poëte.

En 1827, M. Watson Taylor avait publié pour Roxburgue-Club, à très-petit nombre d’exemplaires, un in-8o de 295 pages sous ce titre : Poems written in English by Charles duke of Orléans, during his captivity in England, after the Battle of Azincourt. London, William Nicol, 1827.

L’éditeur est convaincu que Charles d’Orléans a traduit lui-même ses vers en anglais, et il n’est pas bien sûr que le duc d’Orléans ne soit pas un poëte anglais. Il est fort tenté de supposer que la version anglaise est l’originale, elle a toute la vigueur de l’originalité, dit-il, et il jurerait volontiers que le texte français n’est qu’une mauvaise traduction.

Je suppose — ne connaissant que sommairement les manuscrits anglais — que cette édition a été donnée d’après le manuscrit sur vélin de la bibiiotlrèque Harléienne. Elle contient les poésies de la captivité, avec quelques pièces qui ne se trouvent pas dans les manuscrits français, un début différent et une suite au poème de la Prison. J’ai remarqué encore que contrairement à tous nos manuscrits qui ne redisent à la fin des rondeaux que le premier vers, la version anglaise en répète deux ou trois, c’est-à-dire autant qu’au milieu de la pièce.

Pour rendre justice à mon prédécesseur britannique, et expliquer ce qu’il y a d’excessif dans son enthousiasme de la version anglaise, je dois dire qu’il connaissait Charles d’Orléans uniquement par ce qu’en avaient publié l’abbé Sallier et Chalvet ; il était donc porté à dire que le Prince avait bien plus écrit pour les Anglais que pour les Français, et il félicitait l’Angleterre de la bonne fortune qui lui amenait un poète, pieds et poings liés, à une époque où elle n’en trouvait guère sur son sol.

En 1842 paraissent, coup sur coup, deux éditions, qui firent grand bruit, ou plutôt dont les auteurs firent grand bruit dans le royaume de l’érudition.

Poësies de Charles d’Orléans, publiées… par J. M. Guichard. Paris, Gosselin, 1842, in-12.

Les Poësies du duc Charles d’Orléans, par Aimé Champollion-Figeac. Paris, Belin-Leprieur, 1842, in-12 et in-8o.

Nous n’avons pas à entrer dans le grand détail de la querelle fort vive qui divisa les deux éditeurs, et où il semble que les questions de situation et d’influence se mêlaient à la discussion scientifique. Diverses brochures aigres et violentes suivirent la publication des poésies. Chacun des deux érudits essayait de prouver non-seulement que son texte était très-supérieur au texte de l’ennemi, mais qu’il avait été publié le premier. M. Champollion avait commencé son étude bien avant M. Guichard, disait-il. M. Guichard répondait que s’il était parti en retard, il était arrivé le premier. Pas absolument, répliquait-on, puisque vous n’avez publié que le texte indigeste, en remettant à plus tard préface, glossaire et tous les accessoires obligés de votre édition.

À juger la question uniquement sur les renseignements fournis par les brochures, entre deux érudits que je ne connais ni l’un ni l’autre et que je crois, tous deux, fort estimables, M. Champollion crut trop que le long temps consacré par lui à étudier Charles d’Orléans, et le soin amoureux qu’il y mettait lui donnaient une sorte de droit sur le prince-poëte, et méritaient le monopole de tout ce qui concernait cet écrivain si cher. Il le prit de fort haut quand il vit venir un concurrent. Il soutint avec un ton d’autorité magistrale et doctrinale des hypothèses pour le moins douteuses, et la bonne fortune rare — j’en sais quelque chose puisque la demande même du ministre de l’instruction publique ne m’a pas pu l’obtenir — qu’il eut de pouvoir garder par devers soi le manuscrit de Grenoble, lui persuada que ce manuscrit était parfait et que tous les autres ne valaient rien. M. Guichard, de son côté, voyant avancer si lentement les travaux de son concurrent, crut trop aisément que le temps ne fait rien à l’affaire.

La vérité est que chacune de ces éditions a ses qualités et que toutes deux sont recommandables, eu égard surtout au temps où elles parurent ; et si je préfère le texte de M. Guichard, j’apprécie extrêmement les travaux dont M. Champollion a accompagné son édition, et j’en ai tiré bon profit.

Je serais peu excusable, après ces trente années où l’érudition a été tellement active et où elle a apporté tant de lumière dans la littérature du Moyen Âge, si je n’étais pas renseigné sur bien des points encore obscurs pour mes prédécesseurs. Pourtant je dois reconnaître que M. Champollion n’a pas laissé grand chose à apprendre sur la vie de Charles d’Orléans, et constater que je n’ai pas évité tous les défauts qu’on a signalés dans leurs éditions.

La plus grave des critiques portait sur le manque d’ordre dans le classement des pièces. M. de Montaiglon, que je nommais plus haut, M. de Beaucourt, dans un article de la Correspondance littéraire et, si je ne me trompe, M. Beautils, dans l’étude plus esthétique que critique qu’il publia en 1861 sur Charles d’Orléans, avaient indiqué, en même temps que le mal, les remèdes qu’ils jugeaient bons pour le guérir. Moi-même, avec cette ignorance du danger qui caractérise le critique, j’avais bien maugréé contre ce fatras, — je dois confesser mon crime.

Ce fut donc le travail de coordination qui me préoccupa quand je commençai à préparer cette édition. Le lecteur n’en verra pourtant pas de traces profondes. J’ai dû m’arrêter, en effet, après m’être mis de grand courage à cette besogne.

Je puis raconter naïvement les raisons qui me firent rebrousser chemin.

Je me suis aperçu que je faisais non une œuvre d’érudit mais une œuvre de romancier. Oui, c’était bien le roman des sentiments de Charles d’Orléans que j’étais amené à construire. Cela tient à ce qu’ici le fil conducteur n’est pas surtout historique mais moral. Il s’agit de décider fréquemment non pas des faits, mais de la série de sentiments par où le poète avait passé.

Il y a, sans doute, telles pièces qu’on peut attribuer sûrement à la vieillesse ou à la jeunesse, au temps de l’exil, ou aux années qui suivirent ; quelques-unes ont une physionomie historique, d’autres enfin sont caractérisées par les personnages qui y sont nommés. Mais un certain nombre de ballades ou complaintes, un très-grand nombre de chansons ou rondeaux restent, où je n’avais plus pour me guider que l’arbitraire, que mon impression ou mon sentiment. Si j’avais eu à faire un choix, une édition classique, je me fusse cru autorisé à ce travail psychologique. J’eusse pu ranger en bel ordre les morceaux sur lesquels il n’y avait pas de doute. J’ai reculé devant la masse des pièces qu’il m’eût fallu laisser dans un chaos d’autant plus répugnant que j’eusse répandu un peu de lumière dans le voisinage.

Je me garde de blâmer ceux que ce travail philosophique tentera. Je n’y ai pas vu un intérêt scientifique suffisant, une utilité historique et un gain littéraire assez considérables pour m’autoriser, contre les conseils de tous les manuscrits, à faire cette révolution radicale. Je me suis contenté de la classification par genres, classification peu méritoire et qui ne demande pas une grande dépense de génie, mais qui est la plus sûre dans un travail d’exposition non de critique. Cette division est indiquée, du reste, à l’état rudimentaire dans les premiers manuscrits. Je me suis contenté de débrouiller le chaos là où j’avais pour me conduire quelque règle précise, comme la conformité du sujet traité. Ce travail a eu lieu surtout à propos des rondeaux où le trouble — pour des causes que révèle la diversité d’écriture du plus important manuscrit — est complet.

Je reviendrai, du reste, sur le plan — mot bien prétentieux peut-être après la confession que je viens de faire — que j’ai suivi pour cette édition.

J’ai dû la préparer sur les manuscrits puisqu’il n’existe aucune édition ancienne de ces poésies.

De tous les manuscrits que nous avons en France, on a regardé jusqu’ici comme le premier en date celui que possède la bibliothèque de Grenoble, manuscrit fort connu, souvent et très-complètement décrit, notamment par MM. Berriat Saint-Prix et Champollion-Figeac. Je ne l’ai pas vu, mais j’ai pu en avoir une copie manuscrite, écrite au xviiie siècle, revue et corrigée plus tard. M. Champollion-Figeac, qui a bâti son édition d’après ce manuscrit, a été naturellement porté à en exagérer la valeur, et il s’est laissé aller fort doucement sur cette pente. Il affirme d’un ton magistral que c’est de beaucoup le plus important, et il traite dédaigneusement et légèrement tous les autres en les appelant des manuscrits de seconde main.

Ce document a évidemment une grande valeur, on peut la constater sans y mettre le ton enthousiaste et impérieux de M. Champollion.

Il contient les poésies latines d’un lettré italien, Antoine Astezan, ou L’Astezan, c’est-à-dire d’Asti en Piémont. Ce personnage et les relations que Charles d’Orléans avait avec Asti nous sont connus par la préface. Nous savons qu’à Villeneuve, dans ce comté d’Ast, pendant le voyage qu’y fit le duc en 1448-1449, Antoine Astezan vint faire sa cour à son prince, de cette façon humble et quémanderesse que Marot et du Bellay n’allaient pas tarder à stigmatiser comme une habitude italienne. À cette date, le savant Italien ignorait complètement le talent poétique de son futur maître, les discours qu’il prononça nous en donnent la preuve. Il obtint de Charles la place de premier secrétaire. Il le vint rejoindre en France en 1450. Il le quitta en 1453, emportant les poésies du prince en Italie pour les traduire en latin. C’est cette traduction avec texte en regard et autres poésies latines d’Aztezan que renferme le manuscrit de Grenoble.

Il ne contient donc que les poésies antérieures à cette date de 1453. Il n’a pas été écrit sous les yeux de Charles, ni classé d’après son inspiration. S’il a été achevé du vivant du prince, — ce qui est possible, — il ne le fut pas avant 1461, et Astezan était depuis 1453 en Italie. Il n’a donc que la valeur qu’a pu lui donner Astezan, un Italien, ce qui enlève quelque autorité à son système orthographique ; un Italien qui resta quelque temps auprès de notre duc et qui espérait sans doute que son travail passerait sous les regards de son maître, mais qui arrange les poésies de l’auteur en vue de la traduction latine, en vue d’une traduction destinée surtout à faire valoir les dons poétiques de Charles aux yeux des savants de l’Italie et du Milanais. Il y a là de quoi diminuer l’intérêt qui s’attacherait pour nous à un classement moins pédantesque, dirigé par un but moins particulier et moins politique.

Je ne saurais admettre l’argument que donne M. Champollion pour prouver que ce texte a été écrit par un frère d’Antoine, Nicolas Astezan, aussi secrétaire du duc d’Orléans. Il essaye aussi de démontrer que le manuscrit a été achevé du vivant du prince. Ses raisons ne sont pas toutes probantes. Il nous dit que le poëte italien qui a fait tant d’épitaphes eût sans doute fait celle de son maître si ce livre eût été achevé après la mort de Charles. Je veux bien le croire. Malheureusement c’est une présomption détruite par une pièce de latin du volume, pièce symbolique peut-être, mais dont il serait facile de soutenir la réalité, où l’on discute du tombeau du prince et où on dit : « Princeps non mediocris eras. » À cette présomption on contredit par une autre et l’on fait remarquer que Charles mettait sa signature sur beaucoup de ses livres et qu’elle n’est pas sur celui-ci. On en conclut que ce volume n’a pas été dans les mains du prince. Cet argument contre la thèse de M. Champollion ne vaut guère mieux que l’argument qu’il donne pour. Quant à moi, je crois difficile de ne pas voir le manuscrit d’Astezan dans celui pour la reliure duquel on donna 20 sols à la veuve de Jean Fougère , relieur à Blois, pour avoir relié un volume en parchemin renfermant « le livre des Balades de Monseigneur le duc d’Orleans, tant en françois comme en latin et autres livres en icelluy. » Je n’ai pas pu retrouver cette note dans les papiers d’Orléans. Mais si la date de 1463 que donne M. Champollion est exacte, on peut considérer ce manuscrit comme ayant été achevé entre 1461 et 1463.

Ainsi le manuscrit d’Astezan a les qualités d’être écrit par un contemporain, avec l’assentiment de l’auteur et sans doute d’avoir appartenu à celui-ci. Il a les défauts d’être incomplet, d’avoir été écrit par un étranger, en pays éloigné de l’auteur, et d’après un plan tout particulier, soit dans l’intérêt du copiste, soit dans un but politique.

Nous l’avons fréquemment consulté, nous ne l’avons pas suivi.

Nous avons préféré deux des manuscrits de la Bibliothèque nationale de Paris, et surtout le manuscrit français 25,428, autrefois La Vallière 193.

C’est un petit in-8o sur parchemin de 269 feuillets. Il porte à la première page, non pas comme le suivant, les armes d’Orléans et de Milan qui indiquaient un livre destiné à la famille du duc d’Orléans, mais un seul écusson, aux armes du prince, et qui lui donne un caractère plus personnel. Le format relativement plus leste, l’apparence du manuscrit qui, comparé à ses frères in-folio ou in-quarto, fait songer aux manuscrits des jongleurs, ses conditions intérieures, m’ont donné à penser qu’il avait pu être écrit pour Charles d’Orléans, par un secrétaire attaché à la maison, à la personne de l’auteur, chargé de tenir copie et de mettre au net les poésies dans l’ordre et selon le temps où elles étaient composées. Le copiste, en effet, après nous avoir donné les anciennes poésies, les complaintes, les ballades, toutes les pièces antérieures au retour en France, écrit les chansons, les rondeaux ; puis arrivé aux trois quarts du volume, un accident — la mort du prince… ou du secrétaire — l’interrompt. La copie est reprise, mais plus tard et par un écrivain d’une valeur beaucoup moindre, qui profite des blancs laissés en tête des pages par le premier copiste, pour y jeter pêle-mêle les pièces peut-être composées postérieurement, mais, en tout cas, non encore écrites par ce prédécesseur.

Il y a là, je le reconnais, une part d’hypothèse, que l’écriture ne contredit pas toutefois, le manuscrit paraissant avoir été écrit dans sa plus ancienne portion entre 1460 et 1470.

Ce qui est sûr, c’est qu’il nous offre le meilleur texte, écrit par un homme intelligent, soigneux, ayant un système orthographique très-réfléchi, très-caractéristique et pouvant donner une fort bonne idée de la situation de cette question orthographique au milieu du xve siècle.

L’autre manuscrit de la Bibliothèque nationale, qui nous a été aussi fort utile, provient de l’ancien fonds Colbert (2502) et porte actuellement le no 1104 fonds français. C’est un magnifique in-quarto sur vélin blanc, de 112 feuillets à deux colonnes, d’une écriture admirable. Il porte en tête le double écusson d’Orléans et de Milan et la devise de Charles : Ma Volonté. Il a été probablement écrit pour la famille, pour le duc, la duchesse, ou le comte d’Angouléme, par un calligraphe extrêmement habile, renommé, un peu vieux, vers 1460 (époque probable de la confection du manuscrit), malheureusement infiniment moins intelligent qu’adroit.

En sa qualité de manuscrit de famille, ce volume renferme le discours prononcé par Charles d’Orléans en faveur du duc d’Alençon, son gendre. Mais le texte des poésies offre de nombreuses erreurs.

Dans la comparaison que j’ai faite de cette copie et de la précédente, j’ai rencontré une difficulté que je n’ai pas pu éclaircir. Ce dernier manuscrit — Colbert — à le juger d’après le texte, est postérieur au manuscrit La Vallière, sur lequel il semble avoir été copié. Il donne, en effet, régulièrement et imperturbablement ce pêle-mêle arrivé dans le La Vallière par accident, et grâce au remplacement du premier escripvain ; de plus ce copiste du Colbert ajoute tout à la fin plusieurs rondeaux qui ne sont pas là à leur place, mais qu’il s’aperçoit avoir omis quand, après sa copie achevée, il coUationna le manuscrit La Vallière où les pièces sont bien à une place logique. Voilà donc de graves présomptions en faveur de l’antériorité de ce manuscrit La Vallière, et pourtant l’écriture du texte Colbert paraît incontestablement plus ancienne. Faut-il chercher l’explication dans les conditions particulières de la personne du copiste du Colbert qui, très-vieux, très-habile, a garde des pratiques et des soins de la période précédente ?

Malgré cette apparence matérielle d’ancienneté, malgré l’orthographe parfaitement régulière et soignée — trop soignée, et exceptionnellement régulière, — j’ai été trop trappe du peu d’intelligence que cet admirable calligraphe avait du texte, et même du rhythme, pour m’en fier à lui. Je ne l’ai suivi que là où mon plus ancien copiste du manuscrit La Vallière cédait la place à son ou à ses successeurs.

Dès lors je ne devais plus hésiter ; ces derniers étant beaucoup moins sûrs que leur prédécesseur et cette fois sans conteste, — fort postérieurs à l’illustre et inepte calligraphe du Colbert, — il m’a fallu pour la dernière partie de l’édition tenir grand compte de ce dernier.

Il en est résulté cet inconvénient de mettre en plus grande lumière le manque d’uniformité de l’orthographe contemporaine. Inconvénient peu considérable, d’ailleurs, en un temps où le même écrivain ne suit pas d’un bout à l’autre de son manuscrit les mêmes habitudes orthographiques.

Enfin, malgré la confiance que j’ai accordée à ce premier copiste du manuscrit La Vallière, je ne l’ai pas suivi dans ses singularités. Il écrit toujours povair rimant avec la syllabe oir, souvent serement et guerredon avec la valeur de deux syllabes. J’ai, par faiblesse pour l’œil de mes contemporains, écrit povoir, serment, j’ai dû aussi me résoudre à changer moustrer (qu’il donne constamment au lieu de monstrer), mais je l’ai fait à regret, cette syllabe ou étant caractéristique d’une tentative d’euphonisme qui n’a pas complètement avorté, et à laquelle, par exemple, nous devons moutier, couvent, au lieu de montier et convent qui sont la forme ancienne et étymologique.

Les lecteurs qui s’occupent particulièrement d’érudition me pardonneront ces explications minutieuses ; les autres les trouveront ennuyeuses, mais ils en concluront, j’espère, que si cette édition est bien imparfaite, la bonne volonté n’a pas manqué à l’éditeur.

J’ai tiré quelque utilité d’un manuscrit sur papier, du commencement du xvie siècle (B. N., Fonds français 19,139, autrefois Saint-Germain 1600). C’est lui qui contient le Lay Piteus dont je parlerai plus tard.

J’ai trouvé douze pièces du duc d’Orléans dans un manuscrit curieux de l’extrême fin du xve siècle ou du commencement du xviie (B. N., Fonds français 9223). C’est un recueil qui contient les poésies de deux académies poétiques du xve siècle. L’une, la seule qui nous occupe est celle qui gravite autour de Charles d’Orléans, elle est représentée par la plupart des poètes qui sont nommés dans les manuscrits dont nous avons déjà parlé et par quelques inconnus. Mgr d’Orléans y a 12 pièces ; Blosseville, 31 ; Prévôt, 9 ; Vaillant, 9 ; Antoine de Guise, 11 ; Tanneguy du Chastel, 3 ; Mgr de Clermont, Mgr d’Orvilliers, 1 ; Mgr de Torcy, 2 ; Meschinot, 3. Puis nous rencontrons Gilles des Ormes, Mgr Jean de Lorraine, Mgr du Bridore, Mgr de Tais, maistre Martin Le Franc, Robertet, Monbeton, Jammette de Nesson, Régine d’Orange, Jeanne Filleul, Jeucourt, Mlle  de Beau-Chastel, etc. Quelques pièces de ce recueil se trouvent dans les manuscrits précédents — et notamment toutes celles du prince, d’autres sont nouvelles.

J’ai pu consulter aussi à l’Arsenal un manuscrit sur parchemin du commencement du xvie siècle. Il porte la signature de M. de Paulmy, et, d’une écriture contemporaine du manuscrit, celle de Lyonnet Poureille. Il est incomplet, s’arrête au rondeau : Des Arrerages de Plaisance et paraît avoir copié le manuscrit La Vallière.

La même bibliothèque possède un manuscrit sur papier du xviiie siècle, avec des notes de Lacurne de Sainte-Palaye. C’est une copie du manuscrit Colbert.

M. Guichard signale dans cette bibliothèque de l’Arsenal un autre manuscrit renfermant quelques poésies de notre duc. On n’a pas pu me le communiquer. Je m’en suis aisément consolé, la désignation qu’en donne mon prédécesseur montrait suffisamment que son texte ne saurait avoir aucune importance.

C’est donc à l’aide des manuscrits précédents et tout particulièrement du manuscrit La Vallière que j’ai composé le texte de la présente édition.

Il existe encore de notre auteur plusieurs manuscrits que je n’ai pas vus. D’abord un manuscrit de la bibliothèque de Carpentras, dont M. Champollion et M, Lambert, bibliothécaire de cette ville (Catalogue raisonné des manuscrits de la bibliothèque de Carpentras) donnent une ample description. D’après eux, ce serait une copie du manuscrit Colbert. Il n’est pourtant pas complètement d’accord avec celui-ci sur l’attribution de quelques pièces aux poètes qui entourent Charles d’Orléans. On y trouve aussi une ballade non recueillie par les autres manuscrits. Les quelques vers qu’on en cite suffisent à nous convaincre qu’elle appartient à l’école bourguignonne-flamande, école tout à fait différente de celle où l’on peut ranger notre prince.

Londres possède quatre manuscrits des poésies de Charles d’Orléans. Nous les connaissons par ce qu’en dit M. Fr. Michel, dans son Rapport au ministre de l’instruction publique, 1849 (Documents inédits de l’Histoire de France) ; par une ample description que donne du magnifique manuscrit de la Bibliothèque du roi, Bristish Museum, Vallet de Viriville (Bulletin du Bibliophile, 1846). Il y prouve assez clairement que cette copie doit être de 1600-1606. On y trouve deux chansons en anglais qui ne se rencontrent pas dans nos manuscrits, plus quelques-unes des pièces rangées à la fin de nos deux volumes parmi celles qu’on attribue à notre poète.

Un excellent article de la Retrospective Rewiew, 1827, m’a fourni aussi des renseignements sur ces copies anglaises, qui sont au nombre de trois, outre le manuscrit du roi : un manuscrit de la bibliothèque Lansdowne et deux de la bibliothèque Harléienne. M. Champollion a, sur ces textes, reçu de M. Martial Delpit, alors en mission en Angleterre, des communications qui nous enlèvent, en partie, le regret de n’avoir pu les consulter.

Dans les uns et les autres de ces manuscrits on trouve un très-grand nombre de pièces qui ont été composées par les amis, les serviteurs, les parents de Charles d’Orléans, par les gens de cette petite cour lettrée qu’il avait rassemblée à Blois, plus quelques chansons en anglais et une ou deux pièces en latin.

J’ai promis les poésies françaises de Charles d’Orléans, et l’espace qui m’est mesuré dans cette publication ne me permet pas d’être prodigue, j’ai donc retranché tout ce qui n’était pas en langue française.

D’autre part, je n’ai pas voulu publier toutes les poésies de la cour de Charles d’Orléans. J’ai reproduit celles qui servaient de réponse à plusieurs pièces de notre poète, et quelques-uns de ces jeux de rhétorique où sur un vers, sur une idée, sur un refrain, toute la petite bande se précipitait à la suite du duc et se répandait en rimes fort banales.

Le caractère italique indiquera celles des pièces qui ne sont pas de notre poète. Je vais indiquer dans les notes plusieurs pièces sur la paternité desquelles j’avais quelque doute. Enfin, j’ai renvoyé à la fin de chaque volume, les ballades, chansons et rondeaux que certains manuscrits attribuaient au prince, sans que l’ensemble des documents confirmât cette attribution.

Les notes qui vont suivre compléteront, en entrant dans quelques détails, ces observations générales. Je n’ai pas rangé parmi les œuvres de Charles d’Orléans une traduction de la Consolation de Boèce, traduction qui lui avait été attribuée un peu légèrement ; M. Léopold Delille l’a prouvé surabondamment. (Séance de l’Académie des Inscriptions, 31 janvier 1873).


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