Poésies d’Humilis et vers inédits/Préface

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Poésies d’Humilis et vers inédits, Texte établi par Ernest Delahaye, Albert Messein (p. 7-18).
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PRÉFACE






I


En créant pour ses chants liturgiques — dès le commencement du Moyen Âge — nos principales formes de rime (suivie, alternée, encadrée, redoublée), aussi les coupes de vers en quatre, cinq, six, sept, huit et dix syllabes, sans compter, dans certaines proses, des procédés de rythme qui semblent d’un art secret dont les règles seraient perdues, l’Église chrétienne, incontestablement, a mis au monde la Poésie française. Une enfant terrible ! Une fille qui souvent injuria et battit sa mère. Hélas ! Pourtant, c’est sa fille, l’Église le sait bien… Parfois, du reste, cette enfant revient se jeter dans les bras de sa maman très vieille et toujours jeune puisque immortelle, et l’Église sourit à la fille méchante, car elle l’a faite trop belle pour ne pas l’aimer, l’excuser toujours.

Si par exemple elle demande secours et pardon, comme la poésie de Verlaine, ou si elle se présente mélodieuse, et noble et douce et enthousiaste, comme la poésie de Germain Nouveau.

De huit ans plus jeune que Verlaine, il appartenait à la même génération littéraire c’est par lui qu’il fut converti, ce qui aura dû militer devant la Justice divine en faveur de « Pauvre Lélian ». Je me rappelle nos conversations à trois, en 1877, au moment où Nouveau revenait d’Arras avec l’auteur de Sagesse. Il n’était pas encore croyant, mais son ami lui avait fait visiter tant d’églises ! Il lui devait des sensations si nouvelles et d’une telle force mystérieuse, au moment où il copiait, sur ses indications, le Christ de Saint-Géry et se l’entrait dans le cœur, sans trop savoir, mais si profondément,

Ce vrai Christ catholique éperdu de bonté[1] !

Et puis, quand vous l’aviez accompagné à un office, Verlaine, esprit fin et délicat s’il en fut, savait si bien, sans avoir l’air d’y toucher, commenter… pour vous… ce que l’on venait de voir et d’entendre Nouveau en restait encore à un scepticisme sympathique, cependant il était travaillé, cela se voyait : « Après tout, disait-il, les religions ont ce mérite de nous donner la force de l’abnégation voyez les Turcs Verlaine souriait, sans discuter, d’un chemin aussi détourné pouvant conduire à Jésus en passant par l’Islam. Ce qui attirait surtout le peintre-poète vers les piétés chrétiennes, c’était la Beauté, jusqu’alors son seul culte. Il l’avouait « Comment ne pas aimer des croyances qui ont produit tant d’art ? Il sentait à peine ce qu’il y avait d’incomplet dans cette conception, un peu matérialiste encore, mais le besoin du Beau était déjà trop ardent pour ne pas tout allumer, bientôt, et faire une flamme unique du sentiment joint à la raison.

Les évolutions d’esprit, chez beaucoup d’hommes, peuvent être inconscientes, quoique très actives. Nouveau était bien près de se rendre, et il ne s’en doutait pas du tout le Vendredi Saint de 1878, dont je passai l’après-midi avec lui et deux peintres de ses amis, sous les ramures qui bordaient l’étang de Trivaux car à l’heure du dîner, il déclara dédaigner toute manifestation libre-penseuse, mais… n’avoir aucun motif pour rien changer, ce soir-là, dans ses~ habitudes, et il annonça énergiquement son intention de manger des côtelettes ou un châteaubriand sérieux, fût-il « aux pommes ». Il dut se contenter d’une omelette copieuse, parce que nul restaurant de Meudon ne consentit à lui servir de la viande. L’omelette, je dois dire, n’était pas au lard, mais nous avions bon appétit, si bon même que Nouveau, pour conclure, loua cette fidélité des commerçants de la banlieue à une tradition moyenâgeuse. Peu après la logique fit dans son cerveau une entrée foudroyante. Celui qui trouve beau de croire doit aussi le trouver bon et tout prendre de la foi sentiments, piété, vertus. Pourtant ce fut intellectuel plutôt, avant d’être sentimental dès 1879 il m’appelait en son petit appartement de la Cité Malesherbes, pour me lire de sa belle voix, si prenante, le Pape de Joseph de Maistre. Et il n’allait guère tarder à écrire ces belles strophes

Ô Monseigneur Jésus, enfance vénérable,

Germain Nouveau était désormais catholique pratiquant. Il voulait davantage, il entendait servir l’Église

Prenez mes vers de cuivre ainsi que des oboles.

L’Église a une poésie faite par elle et pour elle, qui suffirait aux chrétiens, si « esthètes » qu’ils pussent être, et même c’est la poésie dont ils se passeraient le plus difficilement.

Cependant l’Église ne refuse aucun hommage, et combien beau celui rendu par ce jeune poète d’un talent si raffiné, d’une bonne volonté si touchante ! Ce n’est pas un souffrant qui se réfugie en Dieu, c’est à peine un pécheur, tout au plus un areligieux d’hier, qui avait oublié, plutôt que renié, son éducation catholique les premiers vers qu’il publia dès 1872, à vingt ans, le montrent épris de plastique, d’élégante insouciance, de plaisirs légers, et dans sa vie de prime jeunesse, où il ne voulait voir que fleurs à cueillir, aucun drame qui secoue et transforme une conscience. Les poèmes signés a T~um~ » ont jailli tout à coup, d’une allégresse et d’une effusion. Spontané comme ses-frères du midi[2], Germain Nouveau vient à l’Église et lui apporte sa ferveur faite de joie, son art si français, que perfectionna d’avance un demi-siècle d’innovations poétiques, son art dû à l’adoration d’Hugo, de Musset, de Baudelaire, de Banville, de Verlaine, et qui ne reproduit aucun d’eux, son art d’une originalité singulière, désespérant pour qui voudrait y chercher une imitation ou une réminiscence, mêlant on ne sait quoi d’aristocratique à cette fantaisie, inconnue en dehors de lui, qui n’hésite pas à prodiguer les grâces les plus étonnamment, les plus hardiment enfantines. Il donne, il répand tout cela en fougue joyeuse et reconnaissante, parce qu’il est un artiste s’abandonnant au plein bonheur, ayant trouvé ce qu’il cherchait de tous ses sens, de toute son âme : l’entière Beauté.

Il ne l’avait pas dédaignée naissant en ses prétemples, il le fait valoir, très justement

O belle Antiquité, toute nouvelle encor.

puisqu’aussitôt après, il peut, de si bon cœur, l’acclamer grandie et cent fois plus irrésistible Ceux-là qui dressèrent la tour

Avec ses quatre rangs d’ouïes

Qui versent la rumeur des cloches éblouies, Ceux qui firent la porte avec les saints autour,

Tellement chère lui fut toujours cette caresse des lignes 1 Tellement doux le chant des couleurs

Aimez l’amour qui joue au soleil des peintures.

Qu’il soit permis de le redire, ce poète en même temps est un peintre, il chérit le plaisir de faire palpiter la vie sur une toile autant que la volupté de tresser des rimes savantes. Alors apparaît à ses yeux énamourés cet immense trésor les dévotions d’autrefois offrant leurs bijoux, leurs chefs-d’œuvre de mille sortes, et il voudra que ses chants soient comme l’alleluia des foules chrétiennes aux époques de foi généreuse il regrettera même de n’être pas tous les bons artisans dont il voit revivre les respects attendris, l’ingéniosité patiente, la charmante piété qui voulait tout offrir cœur, biens, savoir-faire.

Que n’ai-je, pour le jour où votre fête aura
Mis les cloches en joie,

La règle du marchand qui pour vous aunera
Le velours et la soie !

Que n’ai-je les ciseaux sonores du tailleur,
Pour couper votre robe,

Et que n’ai-je le four qu’allume l’émailleur
J’émaillerais le globe

Où votre pied se pose ainsi qu’un oiseau blanc

Or la passion pour cette Beauté qui plaît aux yeux et à l’imagination n’est en somme qu’initiatrice, elle mène à un autre désir : celui de la Beauté dont a besoin notre conscience, la Beauté suprême qui nous rapproche de Dieu. L’harmo- nieux chanteur, donnant la main au peintre, aborde l’enseignement de la morale en une série de tableaux, d’une composition parfaite, où passent devant nous la douceur, la majesté, la splendeur des vertus chrétiennes. Je me souviens qu’il me disait, parlant des Chercheuses de poux de Rimbaud « C’est très fort, je voudrais faire mieux», puis s’arrêtant et riant: « Mais oui! Pourquoi pas ?.. 11 fit autrement. Plusieurs juge- ront qu’il fit non moins bien, lorsque, dans un poème consacré à l’Humilité, il osa célébrer la vermine de saint Labre

Qu’importe l’orgueil qui s’effare, Ses pudeurs, ses rebellions

Vous qu’une main superbe égare Dans la crinière des lions,

Comme elle égare aux plis des voiles Où la nuit a tendu ses toiles

Aldébaran et les étoiles

  • )’

Un sensible aussi vibrant devait aboutir à de puissants appels aux forces cordiales, proclamer que l’homme dépend d’un ensemble, qu’il ne peut s’en distinguer sans se renier lui-même, qu’il est fait pour aimer, doué pour aimer, que céder à 1 impulsion contraire serait pour lui accepter sa propre dissolution, provoquer sa- pourriture.

Quand Léonce de Larmandie (1), à qui doivent tant les épris de Germain Nouveau. fit une pre- mière édition des poésies d’ < Humilis ’), il leur donna ce titre Savoir aimer. Bien qu’ils ne soient pas reproduits dans ses articles de La Bataille (1911) par Camille de Sainte-Croix, autre ami très fidèle, longtemps dépositaire du manuscrit, nous devons penser que Germain Nouveau avait parlé, tout au moins, à Léonce de Larmandie de mettre ces deux mots en tête du volume, s’il était un jour publié en tout cas ils servent de conclu- sion au dernier poème

Savoir aimer suffit, savoir aimer délivre.

Dans la Société ambiante, il voyait trop d’âmes inertes, condamnées au silence parce qu’elles n’étaient plus que des estomacs

Et les gens de nos temps sont repas et moroses. Pas d’autre vie que celle de l’âme, c’est trop évi- dent l’œuvre du poète aura donc pour but de nous susciter à la vie, la seule, la vraie. Cette vie (1) Et sans lui, elles étaient perdues pour tes lettres françaises.

t de l’âme c’est l’amour. Déjà le sombre Rimbaud avait avoué ses aspirations venant de ses tristesses « Nous nous dégoûtons la charité nous est inconnue. » Afin de sauver nos âmes des torpeurs mortelles, c’est vers l’outrance dans la candeur que veut s’élancer Humilis : Aimez donc, s écrie-t-il, aimez encore Appelez à vous, rassemblez autour de vous tous les objets d’amour I Aimez-vous, aimez les choses, aimez tout ce qui existe ! Il a l’air de délirer, parfois, comme délirent les prophètes et les voyants c’est-à-dire qu’il parvient à l’intense poésie, aussi à l’unique sagesse, car cette folie d’amour doit nous faire écouter l’instinct mis en l’homme pour qu’il aime Dieu par dessus tout :

Mais adorez l’Amour terrible qui demeure

II

Fidèle à sa haute mission d’éditeur littéraire, Albert Messein a voulu que l’on connaisse tout Germain Nouveau. C’est pourquoi au recueil le plus célèbre, Poésies d’ « Humilis a, qui date de novembre 1879 à août 1881, viennent s’ajouter des vers écrits précédemment (à partir de 1872) œuvre d’artiste infiniment délicat, dont l’âme, dirait-on, se cherche encore, parfois s’annonce, fait prévoir ces fluctuations, trop humaines, qui ramèneront un jour le payen séduisant des « Valentines ». La vie d’un poète a dans le monde ce rôle, troublant et providentiel, de faire voir l’homme entier, l’homme devant Dieu. Nous savons qu’Humilis finit, comme Rimbaud, par reprendre définitivement son intransigeant idéal, non pour l’écrire : pour le vivre. Alors il fut l’absolu chrétien en ne voulant plus chercher que l’humilité d’être inconnu, en se mortifiant pour son salut et pour celui des autres, ainsi que font les Carmélites.

« Pénitence, presque innocence », disait Verlaine ; « Ô pureté ! Pureté !… » criait Rimbaud dans un moment où il tombait sous la grâce divine ; Humilis, voulant être pauvre, certes jusqu’au degré le plus extrême, cessait de chanter les grandes vertus catholiques, mais pour les suggérer par son exemple.

Un dernier poème n’est pas de lui ; pourtant il avait sa place marquée dans ce volume. Tandis que Germain Nouveau, tout jeune, eut la réputation d’un capricieux souvent très gai, sa sœur Laurence était une nature ardente, tendre, mélancolique, profondément éprise de beauté et de grandeur ; en sorte qu’il lui disait : « C’est toi qui est le poète de la famille ». On pensera qu’il déclinait une part d’honneur qui lui appartenait bien aussi, les lecteurs du Mistral ne s’étonneront pas qu’il se reconnût une très digne émule dans le groupe sacré des « porteurs de lyre ».

Ernest DELAHAYE.
  1. Verlaine (Amour).
  2. Né à Pourrières (Var).