Poésies de Madame Deshoulières/19

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Théophile Berquet, Libraire (p. 52-55).

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À Madame ***.

songe.

Les ombres blanchissaient, et la naissante aurore
Annonçait dans ces lieux le retour du soleil,
Lorsque dans les bras du sommeil,
Malgré des soins cuisans, je languissais encore
À la merci de ses vaines erreurs,
Dont il sait ébranler le plus ferme courage,

Dont il sait enchanter les plus vives douleurs.
De toute ma raison ayant perdu l’usage,
Je croyais être, Iris, dans un sombre bocage
Où les rossignols tour à tour
Semblaient me dire en leur langage :
Vous résistez en vain au pouvoir de l’Amour ;
Tôt ou tard ce dieu nous engage.
Ah ! dépêchez-vous de choisir.
J’écoutais ce tendre ramage
Avec un assez grand plaisir,
Quand un certain oiseau, plus beau que tous les autres,
Sur des myrtes fleuris commença de chanter.
Doux rossignols, sa voix l’emporta sur les vôtres ;
Je vous quittai pour l’écouter.
Dieux ! qu’elle me parut belle !
Qu’elle s’exprimait tendrement !
Sa manière était nouvelle,
Et l’on rencontrait en elle
Je ne sais quel agrément.
Pour avoir plus long-temps le plaisir de l’entendre,
Voyant que, sans s’effaroucher,
Cet agréable oiseau se laissait approcher,
J’avançai la main pour le prendre ;
Je le tenais déjà, quand je ne sais quel bruit
Nous effraya tous deux : l’aimable oiseau s’enfuit.

Dans les bois après lui j’ai couru transportée,
Et par une route écartée
Je suivais son vol avec soin :
Soit hasard, soit adresse,
Malgré ma délicatesse,
Dieux ! qu’il me fit aller loin !
Enfin, n’en pouvant plus, il se rend ; je l’attrape,
Comme j’en avais eu dessein ;
Et, folle que je suis, j’ai si peur qu’il n’échappe,
Que je l’enferme dans mon sein.
Ô déplorable aventure !
Ce malicieux oiseau,
Qui m’avait paru si beau,
Change aussitôt de figure,
Devient un affreux serpent,
Et du venin qu’il répand
Mon cœur fait sa nourriture.
Ainsi, loin de goûter les plaisirs innocens
Dont sa trompeuse voix avait flatté mes sens,
Je souffrais de cruels supplices.
Le traître n’avait plus sa première douceur,
Et, selon ses divers caprices,
Il troublait ma raison et déchirait mon cœur.
Par des commencemens si rudes,
Voyant que les plaisirs que je devais avoir

Se changeaient en inquiétudes,
Renonçant tout d’un coup au chimérique espoir
Dont il voulait me faire une nouvelle amorce,
D’un dépit plein de fureur
J’empruntai toute ma force,
Et j’étouffai l’imposteur.