Poésies de Madame Deshoulières/31

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Théophile Berquet, Libraire (p. 102-104).

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À Madame ***.

Supportez un peu mieux, Silvie,
La perte de votre beauté ;
Ce n’est que par le temps qu’elle vous est ravie.
Hé bien ! est-ce une nouveauté ?
Devait-elle durer autant que votre vie ?
Lorsque cinquante fois on a vu le printemps,
N’être plus belle alors n’est pas une infortune,
C’est l’avoir été plus long-temps
Que ne le veut la loi commune.
Croyez-moi, d’un visage égal
On doit s’apercevoir qu’on cesse d’être aimable ;
Dans une aventure semblable
Le murmure sied toujours mal.
Si, pleine de raison, pour une bagatelle
Vous aviez compté vos appas,
Leur perte vous serait sans doute moins cruelle ;
Vous ne vous en plaindriez pas.
La beauté n’est pas éternelle,

Et nous nous préparons un fâcheux avenir
Quand nous ne comptons que sur elle.
On ne sait plus que devenir
Lorsque l’on n’a su qu’être belle.
Vous l’éprouvez, Silvie, et je vous l’ai prédit,
Lorsqu’à votre miroir sans relâche attachée,
Je ne vous voyais point touchée
Des plaisirs que donne l’esprit.
Cette foule de gens frivoles
Qui du matin jusques au soir
Ne vous disait que des paroles,
Fait du bruit chez de jeunes folles
Qui, comme vous, un jour seront au désespoir.
Plus je vous vois, plus je raisonne,
Plus je crains que l’ennui que votre sort vous donne
Ne vous engage à suivre un usage commun.
Vous justifîrez mes alarmes ;
Oui, vous emprunterez des charmes
Pour faire revenir quelqu’un.
Mais du moins d’une tendre amie,
Qui dans son goût est tous les jours
Par les hommes même affermie,
Écoutez un moment les sincères discours.
Croyez-vous que l’amour s’allume dans une âme
Par le rouge et le blanc qu’on mêle sur le teint ?

Et tient-on compte à quelque femme
Des couleurs dont elle se peint !
Songeons, pour nous guérir de l’erreur où nous sommes,
Que le fard le plus beau de tous,
Loin de nous attirer les suffrages des hommes,
Ne leur donne que des dégoûts.
Mais peut-être me direz-vous
Que si j’avais un teint aussi laid que le vôtre
J’aurais contre le fard un peu moins de courroux,
Et que j’en mettrais comme une autre.
Point du tout. Je me sens des sentimens meilleurs ;
Et si la nature en partage
Ne m’avait pas donné d’assez belles couleurs,
J’aurais assurément respecté son ouvrage.
Et si l’on m’en croyait, faux braves, faux amis,
Faux dévots comme fausses prudes,
Tous à découvert seraient mis,
Et tous perdraient par-là les lâches habitudes
Où, par un long abus, ils se sont affermis.