Poésies de Madame Deshoulières/35

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Théophile Berquet, Libraire (p. 116-121).

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À la Goutte.

Fille des plaisirs, triste Goutte,
Qu’on dit que la richesse accompagne toujours ;
Vous que jamais on ne redoute
Quand sous un toit rustique on voit couler ses jours ;
Je ne viens pas ici, pleine d’impatience,
Essayer par des vœux, d’ordinaire impuissans,
D’adoucir votre violence.
Goutte, le croirez-vous ? c’est par reconnaissance
Que je vous offre de l’encens.

De cette nouveauté vous paraissez charmée.

Faite pour n’inspirer que de durs sentimens,
À de tendres remercîmens
Vous n’êtes point accoutumée.
Commencez à goûter ce qu’ils ont de douceurs ;
Qu’on vous rende partout de suprêmes honneurs ;
Qu’en bronze, qu’en marbre ou vous voie,
Triomphante de la santé,
Rétablir dans nos cœurs le repos et la joie.
À combien de périls Louis serait en proie
Si vous n’aviez pas mis ses jours en sûreté !

Tout ce qu’affrontait son courage
En forçant de Namur les orgueilleux remparts
Peignait l’effroi sur le visage
Des généreux guerriers dont ce héros partage
Les pénibles travaux, les glorieux hasards.
Dans la crainte de lui déplaire,
On n’osait condamner son ardeur téméraire,
Bien qu’elle pût nous mettre au comble du malheur ;
À force de respect, on devenait coupable.
Vous seule, Goutte secourable,
Avez osé donner un frein à sa valeur.

Hélas ! qui l’aurait dit, à voir couler nos larmes,
Dans ce temps que la paix consacrait au repos,

Où de vives douleurs attaquaient ce héros,
Que ses maux quelque jour auraient pour nous des charmes ?
Mais quel bruit, quelle voix se répand dans les airs ?
Quoi donc ! messagère invisible
De tout ce qui se fait dans ce vaste univers,
Auprès du grand Roi que tu sers
On voit couler le sang[1]. Événement terrible !
Quelle idée offrez-vous à mon cœur agité ?
Sur l’excès de valeur et d’intrépidité,
Ce héros sera-t-il toujours incorrigible ?
Vous n’avez pas assez duré,
Goutte dont j’étais si contente ;
Vous trompez ma plus douce attente,
Vous en qui j’espérais, et que j’avais juré
De célébrer un jour par quelque grande fête,
Si, pour nous conserver une si chère tête,
Dans le camp de Namur vous aviez mesuré
Votre durée à sa conquête.
Ah ! que ne laisse-t-il à son auguste fils
Dompter de mortels ennemis,
Fameux par leur rang, par leur nombre,
Mais qu’à suivre son char le ciel a condamnés ?
Qu’il ne nous quitte plus, qu’il se repose à l’ombre

Des lauriers qu’il a moissonnés.
N’est-il point las de vaincre ? et ne doit-il pas croire
Que son nom, pour durer toujours,
N’a plus affaire du secours
De quelque nouvelle victoire ?
Ces Grecs et ces Romains si vantés dans l’histoire
Ont sauvé leurs noms du trépas
Par des faits moins brillans, moins dignes de mémoire.
Affreuse avidité de gloire !
La sienne efface tout, et ne lui suffit pas !

De tant de nations la chère et vaine idole,
Nassau, par plus d’un titre en monarque érigé,
Dès qu’il sait Namur assiégé,
Frémit, rassemble tout, et vers la Sambre vole.
À voir si près de nous flotter ses étendards,
À quelque noble effort qui n’aurait dû s’attendre ?
Mais, tout savant qu’il est dans le métier de Mars,
Il semble n’être enfin venu que pour apprendre
Le grand art de forcer une place à se rendre,
Et, pour ses alliés toujours rempli d’égards,
Lancer sur notre camp de menaçans regards
Est tout ce qu’il ose entreprendre.

Tout ce qui justifie et nourrit les terreurs,

L’art, la nature, cent mille hommes,
Et ce que l’hiver a d’horreurs,
Malgré la saison où nous sommes,
Auront vainement entrepris
De rendre Namur imprenable ;
Quand Louis l’attaque, il est pris.
Et cet amas de rois que sa puissance accable,
Est la montagne de la Fable,
Qui de l’attention fait passer au mépris.

Non, je ne me suis point trompée :
Je vois courir le peuple, et je lis dans ses yeux
Que Louis est victorieux.
Ma crainte pour sa vie est enfin dissipée,
Et je n’aspire plus qu’à revoir dans ces lieux
Ce héros dont mon âme est toujours occupée.
Goutte, qu’on vit trop tôt finir,
Et dont je viens d’avoir l’audace de me plaindre,
Puisque pour ce vainqueur on n’a plus rien à craindre,
Gardez vous bien de revenir.
Ne le dérobez point à notre impatience.
Lorsqu’il est éloigné de nous,
Tout est enseveli dans un morne silence,
Et le faible plaisir que donne l’espérance
Est le seul plaisir qui soit doux.

Mais, Goutte, s’il est vrai, ce qu’on nous dit sans cesse,
Que jusqu’à l’extrême vieillesse
Vous conduisez les jours lorsque vous ne venez
Qu’après qu’on a passé huit lustres ;
Pour des jours précieux et toujours fortunés,
Jours qui sont tous marqués par quelques faits illustres,
Quelle espérance vous donnez !

  1. Plusieurs personnes blessées auprès du Roi au siége de Namur.