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Poésies de Schiller/L’Infanticide

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Poésies de Schiller
Traduction par Xavier Marmier.
Poésies de SchillerCharpentier (p. 94-97).
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L’INFANTICIDE.

Écoutez : les cloches résonnent d’un son sinistre et l’aiguille de l’horloge achève sa course. Eh bien ! au nom de Dieu, qu’il en soit ainsi. Compagnons du tombeau, allons au supplice. Reçois, ô monde, mes derniers baisers d’adieu, reçois ces larmes : ô monde, que tes poisons étaient doux ! Nous sommes quittes, ô monde, empoisonneur de l’âme !

Adieu, joyeuse lumière du soleil, il faut t’échanger contre une tombe froide. Adieu, délicieux temps des roses, qui si souvent enivre la jeune fille ; adieu, rêves tissus d’or, fantaisies, enfants du paradis étouffés, hélas ! dans votre germe naissant, pour ne plus jamais reparaître !

Jadis je portais la robe sans tache de l’innocence, des rubans roses, des fleurs ornaient mes blonds cheveux flottants.

Hélas ! la victime de l’enfer porte encore la robe blanche ; mais un crêpe noir remplace les rubans roses.

Pleurez sur moi, vous qui n’avez jamais failli, vous à qui la nature donna, avec la tendresse du cœur, la force héroïque, vous qui voyez encore fleurir le lis de l’innocence. Malheur à moi ! mon cœur s’est attendri, et l’émotion que j’éprouvai est la hache de mon supplice. Malheur à moi ! dans les bras d’un homme parjure la vertu de Louise s’endormit !

Hélas ! pendant que je m’en vais vers le tombeau, peut-être que cet homme au cœur de vipère m’oublie auprès d’une autre, s’égaye à une table de toilette, joue avec les cheveux de sa nouvelle conquête, et reçoit le baiser qu’elle lui donne, tandis que sur l’échafaud mon sang va jaillir de mon corps mutilé.

Joseph ! Joseph ! que le chant de mort de Louise te poursuive au loin, que les gémissements de la cloche retentissent comme un avertissement terrible à ton oreille ! Qu’ils ouvrent tout à coup une plaie infernale dans les images de la volupté, quand une bouche trop tendre te murmurera des paroles d’amour !

Ah ! traître, rien n’a pu t’émouvoir, ni les douleurs de Louise, ni la honte de la femme, ni l’enfant que je portais dans mon sein, ni l’émotion qui attendrit le tigre et le lion.

Son navire s’éloigna fièrement du rivage. Mes regards obscurcis le suivaient. À présent il fait entendre ses soupirs menteurs aux jeunes filles des bords de la Seine.

Et l’enfant, il goûtait un doux repos sur le sein de sa mère, il me souriait frais et charmant comme la rose du matin. Son visage me rappelait une image chérie : l’amour et le désespoir torturaient mon cœur de mère.

Femme ! murmurait d’une voix terrible son innocence ; femme, où est mon père ? Femme, répétait mon cœur, où est ton époux ? Hélas ! pauvre orphelin, tu le chercheras vainement. Peut-être qu’à cette heure il caresse d’autres enfants, et tu maudiras l’instant de notre ivresse, quand un jour tu seras flétri du nom de bâtard.

Ta mère… oh ! l’enfer est dans mon sein : elle est seule au monde, languissant après la source de joie que ton aspect empoisonne ; chaque son qui s’échappe de tes lèvres réveille le sentiment d’un bonheur évanoui, et tes regards enfantins sont pour elle comme les traits de la mort. L’enfer ! l’enfer est là quand je ne te vois pas, l’enfer est là quand je te regarde. Tes baisers, qui me rappellent les baisers enivrants de ses lèvres, sont pour moi les serpents des Euménides. Ses serments sortent du tombeau comme la foudre, son parjure est un meurtre éternel. Ici, l’hydre m’enlaça et le meurtre fut commis.

Joseph ! Joseph ! que mon ombre courroucée te poursuive au loin ! qu’elle te saisisse dans ses bras glacés et t’éveille dans tes rêves voluptueux ! Que dans la lumière des étoiles tu voies étinceler le regard mourant de ton fils, que ton fils vienne à toi avec ses vêtements sanglants et te chasse des portes du paradis !

Vois : il était là, couché, sans vie, à mes pieds ; l’œil fixe, l’esprit troublé, je regardais son sang couler, et ma vie s’en allait avec lui. Déjà j’entends l’approche terrible du messager de la justice, et plus terrible encore est le battement de mon cœur. Je m’en vais avec joie éteindre dans les bras de la mort l’ardeur de mes souffrances.

Joseph ! le Dieu du ciel peut te pardonner, la pécheresse te pardonne. Je laisse mon ressentiment sur cette terre. Déroulez-vous, ô flammes, embrasez le bûcher. Bien, bien ! Ses lettres flamboient, ses serments sont dévorés par le feu ; ses baisers, oh ! comme ils sont brûlants ! C’était là tout ce que j’avais de cher en ce monde.

Ne vous fiez pas aux roses de la jeunesse, ne vous fiez jamais, mes sœurs, aux serments des hommes. La beauté m’a fait perdre ma vertu, je la maudis sur l’échafaud. Des larmes ! des larmes dans les yeux du bourreau ! Hâtez-vous de voiler mes regards. Bourreau, ne peux-tu cueillir un lis ? Pâle bourreau, ne tremble pas !