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Poésies de Th. Gautier qui ne figureront pas dans ses œuvres/Singularités/Réponse à une invitation à dîner chez M. Garnier

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RÉPONSE
À UNE INVITATION À DÎNER CHEZ M. GARNIER

l’architecte de l’Opéra


Garnier, grand maître du fronton,
De l’astragale et du feston,
Mardi, lâchant là mon planton,
Du fond de mon lointain canton,
J’irai chez toi, tardif piéton,
Aidant mes pas de mon bâton,
Et précédé d’un mirliton,
Duilius du feuilleton.
Je viendrai, portant un veston
Jadis couleur de hanneton,
Sous mon plus ancien hoqueton.
Les gants et le col en carton,
Les poitrails à la Benoiton
Et les diamants en bouton
Te paraîtraient de mauvais ton
Pour ce fraternel gueuleton
Qu’arrosera le piqueton.
Que ce soit poule ou caneton,

Perdrix aux choux ou miroton,
Pâté de veau froid ou de thon,
Nids d’hirondelle de Canton
Ou gousse d’ail sur un croûton,
Faisan ou hachis de mouton,
Pain bis, brioche ou paneton,
Argenteuil ou Brane-Mouton,
Cidre ou pale-ale de Burton,
Chez Lucullus ou chez Caton,
Je m’emplirai jusqu’au menton,
Avalant tout comme un glouton,
Sans laisser un seul rogaton
Pour la desserte au marmiton.
Pendant ce banquet de Platon,
Mêlant Athène à Charenton,
On parlera de Wellington
Et du soldat de Marathon,
D’Aspasie ou de Mousqueton
Et du Saint-Père et du Santon ;
Chacun lancera son dicton,
Allant du char de Phaëton
Aux locomotives Crampton,
De l’Iliade à l’Oncle Tom,
Et de Babylone à Boston.
À très-grand’peine saura-t-on
Si c’est du basque ou du teuton,
Du sanscrit ou du bas-breton…
Puis vidant un dernier rhyton,
Le ténor ou le baryton,
Plus faux qu’un cornet à piston,
Sur l’air de : Tontaine, tonton,
Chantera Philis ou Gothon,
Jusqu’à l’heure ou le vieux Titon

Chasse l’aurore au frais téton.
Mais il faut finir ce centon
À la manière d’Hamilton,
Où j’ai, pour mieux rimer en ton
Fait de la muse Jeanneton.
Dans mon fauteuil à capiton,
En casaque de molleton,
Coiffé d’un bonnet de coton,
Je m’endors et je signe : Ton…

Ami de cœur et de plume,

Théophile Gautier.

Publié après la mort de Gautier dans divers journaux de novembre 1872.