Poésies diverses (Jammes)/Ils m’ont dit

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Le Deuil des primevères : 1898-1900Mercure de France (p. 155-156).

ILS M’ONT DIT…


Ils m’ont dit : « Il faut chanter la vie à outrance ! »
… Parlaient-ils des ménétriers ou des noix rances ?
ou des bœufs clairs dressés hersant avant l’orage ?
ou de la tristesse du coucou dans les feuillages ?

— « Pas de pitié ! Pas de pitié ! » me disaient-ils.
… J’ai mis un hérisson blessé par un gamin
dans mon vieux pardessus et puis dans un jardin,
sans m’inquiéter davantage de leurs théories.


Je fais ce qui me fait plaisir, et ça m’ennuie
de penser pourquoi. Je me laisse aller simplement
comme dans le courant une tige de menthe.
J’ai demandé à un ami : Mais qui est Nietzsche ?

Il m’a dit : « C’est la philosophie des surhommes. »
— Et j’ai immédiatement pensé aux sureaux
dont le tiède parfum sucre le bord des eaux
et dont les ombres tout doucement dansent, flottent.

Ils m’ont dit : « Pourrais-tu objectiver davantage ? »
J’ai répondu : « Oui…peut-être… Je ne sais pas si je sais. »
Ils sont restés rêveurs devant tant d’ignorance,
et moi je m’étonnais de leur grande science.