Poésies diverses (Denne-Baron)/Gallus

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Signé : E. S. Denne-Baron et P. Denne-Baron ()
De l’imprimerie de Brasseur aîné (p. 13-16).


GALLUS,

ÉGLOGUE X, TRADUITE DE VIRGILE.




À ces derniers accords, souris belle Aréthuse ;
Obtiens pour mon Gallus quelques vers de ma muse :
Eh ! qui refuserait de chanter pour Gallus ?
Fais que de Lycoris ces vers même soient lus.
Aussi, quand tu te perds au sein des mers profondes,
Que l’amère Doris ne trouble point tes ondes,
Commence ; mes chevreaux tondent les bois naissans :
L’écho n’est point muet ; il redira nos chants.

Jeunes nymphes des eaux, vous, nymphes des bocages,
Vous ne parûtes point ; quels antres, quels ombrages,
Ou quels bords reculés eûtes-vous pour séjour
Quand Gallus périssait par un indigne amour ?
Vos pieds ne foulaient pas les cimes révérées
D’où l’Aganippe en paix roule ses eaux sacrées,
Quand, sur un mont désert, Gallus par ses douleurs
Aux myrtes, aux lauriers arrachait tant de pleurs.
Le Ménale en gémit : on dit que le Lycée
Sentit couler des pleurs sous son ombre glacée.

Ah ! du moins ton troupeau, comme toi malheureux,
À tes pieds étendu lève sur nous les yeux ;
Ne le méprise pas : tu sais, divin poète,
Que le bel Adonis a porté la houlette.
Les pasteurs de taureaux arrivent à pas lents,
Et Ménalque chargé d’une moisson de glands :
Ils t’interrogent tous. Vint le dieu du Permesse :
« Quel fol amour, Gallus ! l’objet de ta tendresse,
Ta Lycoris, dit-il, à travers les frimas,
Et dans l’horreur des camps, d’un autre suit les pas. »
Le vieux Sylvain paraît près du fils de Latone :
Sur sa tête il agite une agreste couronne
Où s’enlacent des lis aux férules en fleur.
Vint le dieu d’Arcadie : une ardente couleur[1]
Et le sang de la mûre avaient peint son visage ;
Nous l’entendîmes tous lui tenir ce langage :
« C’est trop gémir ; l’Amour se rit de tes douleurs,
Gallus ; ce dieu cruel se nourrit de nos pleurs,
Ainsi que du buissons la chèvre vagabonde,
L’abeille de cytise, et les gazons de l’onde. »

Lui, tout triste, répond : « Ah ! bergers de ces champs,
Arcadiens, qui seuls charmez par vos doux chants,
À vos monts, à vos bois vous conterez mes plaintes ;
Vos chansons de mon sort calmeront les atteintes.
Que mes os sous ces rocs dormiraient mollement
Si vos pipeaux un jour redisaient mon tourment !
Que ne suis-je un de vous, pasteur dans vos prairies,
Ou dépouillant vos ceps de leurs grappes mûries !
Du moins j’aurais brûlé pour Amynte ou Phyllis.
Amynte est brun ; qu’importe ; on cueille près du lis

La sombre violette et la noire hyacinthe.
Là, sous des pampres verts étendu près d’Amynte,
Je prêterais l’oreille à ses douces chansons,
Ou ma Phyllis de fleurs tresserait des festons.

Ici, ma Lycoris, sont de fertiles plaines ;
Ici sont des bois verts et de claires fontaines ;
À tes côtés ici je coulerais mes jours.
Maintenant, toute en proie à tes folles amours,
Tu vas du cruel Mars affronter la furie.
Puissé-je m’abuser ! bien loin de ta patrie,
Ah, cruelle ! sans moi tu franchis l’Apennin,
Et sa neige éternelle et les glaces du Rhin,
Des frimas rigoureux, ah ! songe à te défendre ;
Que la glace jamais ne blesse un pied si tendre !

Je fuis… Sur les pipeaux qui pleurèrent Daphnis
Je redirai les vers du chantre de Chalcis ;
J’irai dans les forêts, loin des traces humaines,
Sur les arbres naissans je graverai mes peines :
Tous les jours ils croîtront ; vous aussi, mes amours !
Et du Ménale aussi parcourant les détours,
De ses nymphes mes pas suivront la troupe errante,
Et ma meute ceindra les forêts d’Erymanthe.
Je m’élance avec elle à travers les glaçons ;
Dans la forêt bruyante, à la cime des monts,
Il me semble courir et courber l’arc sonore.
Inutile remède au feu qui me dévore ;
L’Amour par nos tourmens ne se peut adoucir !
Adieu, nymphes des bois ! adieu ! vous pouvez fuir ;
Les nymphes, les chansons n’ont plus pour moi de charmes !
Ce dieu serait toujours insensible à mes larmes
Quand j’irais près des monts, dans la Thrace entassés,
De l’Hèbre impétueux boire les flots glacés ;

Quand j’irais, à travers une arène brûlante,
Conduire des troupeaux sous cette zone ardente
Où l’orme desséché meurt sous les feux du jour.
L’Amour subjugue tout, et je cède à l’Amour. »

Assez, Muses ; ici se tait votre poète :
Tandis qu’une corbeille entre ses mains s’apprête,
Ah ! faites à Gallus valoir ces faibles chants,
Lui pour qui mon amour s’accroît à tous momens,
Ainsi qu’un jeune saule au souffle du Zéphyre !
Partons ; l’ombre aux chanteurs a coutume de nuire,
L’ombre nuit au genièvre, ainsi qu’à nos vergers :
Allez, chèvres ; Vesper luit aux yeux des bergers.


M. Denne Baron.
  1. Du vermillon.