Poésies diverses (de Maistre)

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Œuvres complètes de Xavier de Maistre, Texte établi par Paul LouisyFirmin-Didot et Cie (p. 435-446).



POÉSIES DIVERSES




POÉSIES DIVERSES



LE PRISONNIER ET LE PAPILLON.


Colon de la plaine éthérée,
Aimable et brillant papillon,
Comment de cet affreux donjon
As-tu su découvrir l’entrée ?
À peine entre ces noirs créneaux
Un faible rayon de lumière
Jusqu’à mon cachot solitaire
Pénètre à travers les barreaux.

As-tu reçu de la nature
Un cœur sensible à l’amitié ?
Viens-tu, conduit par la pitié,
Partager les maux que j’endure ?
Ah ! ton aspect de ma douleur
Suspend et calme la puissance ;
Tu me ramènes l’espérance,
Prête à s’éteindre dans mon cœur.

Doux ornement de la nature,
Viens me retracer sa beauté ;
Parle-moi de la liberté,
Des eaux, des fleurs, de la verdure.

Parle-moi du bruit des torrents,
Des lacs profonds, des frais ombrages,
Et du murmure des feuillages
Qu’agite l’haleine des vents.

As-tu vu les roses éclore ?
As-tu rencontré des amants ?
Dis-moi l’histoire du printemps
Et des nouvelles de l’aurore ;
Dis-moi si dans le fond des bois
Le rossignol, à ton passage,
Quand tu traversais le bocage,
Faisait ouïr sa douce voix ?

Le long de la muraille obscure
Tu cherches vainement des fleurs !
Chaque captif de ses malheurs
Y trace la vive peinture.
Loin du soleil et des zéphirs,
Entre ces voûtes souterraines,
Tu voltigeras sur des chaînes
Et n’entendras que des soupirs.

Léger enfant de la prairie,
Sors de ma lugubre prison ;
Tu n’existes qu’une saison :
Hâte-toi d’employer la vie.
Fuis ! tu n’auras, hors de ces lieux
Où l’existence est un supplice.
D’autres liens que ton caprice,
Ni d’autre prison que les cieux.

Peut-être un jour dans la campagne,
Conduit par tes goûts inconstants,
Tu rencontreras deux enfants
Qu’une mère triste accompagne :

Vole aussitôt la consoler ;
Dis-lui que son amant respire,
Que pour elle seule il soupire…
Mais, hélas ! tu ne peux parler.

Étale ta riche parure
Aux yeux de mes jeunes enfants ;
Témoin de leurs jeux innocents,
Plane autour d’eux sur la verdure.
Bientôt, vivement poursuivi,
Feins de vouloir te laisser prendre
De fleur en fleur va les attendre
Pour les conduire jusqu’ici.

Leur mère les suivra sans doute,
Triste compagne de leurs jeux ;
Vole alors gaîment devant eux,
Pour la distraire de la route.
D’un infortuné prisonnier
Ils sont la dernière espérance :
Les douces larmes de l’enfance
Pourront attendrir mon geôlier.

À l’épouse la plus fidèle
On rendra le plus tendre époux ;
Les portes d’airain, les verroux
S’ouvriront bientôt devant elle.
Mais, ah ! ciel, le bruit de mes fers
Détruit l’erreur qui me console ;
Hélas ! le papillon s’envole…
Le voilà perdu dans les airs !




L’AUTEUR ET LE VOLEUR.


FABLE[1].


    Aux enfers un célèbre Auteur
    Arrivait avec un Voleur.
La gloire du premier avait rempli le monde,
Et l’on vantait partout sa science profonde ;
Mais il avait caché dans des livres fameux
D’un venin corrupteur le charme insidieux.
Sous les dehors légers de la plaisanterie,
Attaquant de sang-froid la morale et les mœurs,
Son talent trop vanté prépara les malheurs
Qui devaient après lui désoler la patrie.
  Son compagnon, le long du grand chemin.
Aurait peut-être aussi mérité quelque gloire.
  Si du bourreau le lacet inhumain
N’avait trop brusquement terminé son histoire.
Le couple voyageur à peine est présenté
    Par les Parques inexorables
    Que son destin est arrêté :
Un regard de Minos a jugé les coupables.

    À son terrible tribunal,
Sans rien dire, on connaît et le bien et le mal ;
Et chaque criminel voit dans sa conscience
Son procès tout écrit ainsi que sa sentence.
De là sont à jamais bannis les avocats
    Et les discours et les débats.
    
    Au bout de deux chaînes pesantes
    Qu’elle accroche aux voûtes brûlantes,

    Mégère a bientôt suspendu
    Deux grands chaudrons de fer fondu,
Qu’à l’ordre de Minos, de leurs mains parricides.
    Remplissent d’eau les Danaïdes.
    Les nouveaux venus, stupéfaits,
Se regardent, et font une laide grimace,
    En voyant ces tristes apprêts.
Ils grimpent cependant, et vont prendre leur place.
    Sous le Voleur on allume aussitôt
Un grand tas de bois sec de deux toises de haut,
    Enduit de soufre et de bitume.
      Déjà le bûcher fume ;
Il pétille, et la flamme entoure le chaudron,
    Au grand déplaisir du larron,
Qui se repent d’avoir fureté sur la route.
Le tourbillon de feu monte jusqu’à la voûte.
  Notre écrivain était mieux partagé :
  Un petit feu prudemment ménagé
    Réchauffait doucement le sire,
Qui voyait sans pitié son camarade cuire.
Mais, quelque temps après, l’eau commence à frémir,
    Et le philosophe à gémir.
    L’impitoyable Tisiphone
Ajoute un peu de bois : voilà l’eau qui bouillonne,
    Le fond du pot devient brûlant.
L’Auteur soulève un pied, puis l’autre… Au même instant,
    Vaincu par la douleur extrême,
    Veut-il se plaindre, à chaque mot
    La Furie ajoute un fagot ;
Tant qu’à la fin il s’emporte, il blasphème,
    Et voit d’un œil plein de fureur
Le feu depuis longtemps éteint sous le Voleur.
« Eh quoi ! je subirai cet horrible supplice, »
Dit-il, « je brûlerai pendant l’éternité,

« Tandis que ce fripon prend un bain de santé !
« Des dieux (puisqu’il en est) où donc est la justice ? »
    Ainsi le ciel est gourmandé
    Par le philosophe échaudé,
Lorsque Alecton, pour venger cette injure,
Sort tout à coup de l’abîme profond :
Mille serpents composent de son front
    L’épouvantable chevelure ;
Elle parle, et l’Auteur, muet à son aspect,
Reconnaissant sa muse, écoute avec respect :

« Misérable, oses-tu blâmer la Providence,
    « Dont la juste vengeance
« Pour tes crimes passés te punit aujourd’hui ?
« Ceux de cet assassin ont fini comme lui,
    « Lorsqu’il a terminé sa vie.
« Mais le nombre des tiens croît et se multiplie
    « Avec tes coupables écrits,
« Qui vont de siècle en siècle égarer les esprits.
« Tes os depuis longtemps sont réduits en poussière,
« Et le soleil jamais ne rouvre sa carrière
« Sans éclairer encor mille crimes nouveaux,
« Fruits tardifs, mais constants, de tes affreux travaux,
« À tes contemporains trop dangereux exemple,
« Le fauteur tour à tour et l’ennemi des dieux,
« On te vit au théâtre être religieux
    « Et profanateur dans le temple,
« Tu remplis l’univers du germe des forfaits
    « Qui dans mille ans doivent éclore ;
« Et, lorsqu’ils auront vu leurs funestes effets,
    « On les verra renaître encore.
« Souffre donc, malheureux, les tourments des enfers !
« Souffre jusques au temps où, dans tout l’univers,
« Tes livres corrupteurs auront cessé de nuire,
« Et lorsque les humains cesseront de les lire ! »

À ces mots, Alecton plonge le mécréant
Au fond de l’eau bouillante, et de son bras puissant
Referme pour toujours, frémissant de colère,
Le couvercle de la chaudière.




L’AMITIÉ DES CHIENS.


FABLE.


Aux rayons du soleil, deux chiens de bonne mine,
    Couchés tout près de la cuisine,
    Reposaient amicalement
Et discouraient, au lieu d’aboyer au passant.
Un chien bien élevé n’est méchant qu’à la brune ;
De là vient le proverbe : Aboyer à la lune.
  Nos compagnons médisaient des humains
  À qui mieux mieux, parlaient du sort des chiens.
  Du cuisinier et de son avarice,
    De certains maîtres sans pitié,
  Du bien, du mal, enfin de l’amitié.
« Il n’est point, disait l’un, de mal que n’adoucisse
« Le tendre sentiment de deux cœurs bien unis ;
    « Tout est plaisir pour des amis :
« Le bonheur est doublé, la peine est partagée ;
« Sans rien dire on jouit, rien qu’à se regarder.
    « Mon âme serait soulagée,
  « Et mon emploi me semblerait léger,
« Si, par exemple, ici nous vivions de la sorte.
« Destinés à garder tous deux la même porte,
« Affables l’un pour l’autre, empressés, généreux,
« Nous pourrions dans la paix couler des jours heureux ;

    « Ils le sont tous lorsque l’on s’aime !
« Qu’en penses-tu, Barbet ?
                           — Mais j’y songe moi-même, »
  Reprit le camarade ; « au lieu de grommeler,
  « De nous battre sans cesse et de nous quereller,
  « Soyons amis, Briffaut, c’est moi qui t’en convie.
  « Nous vivrons sans aigreur comme sans jalousie,
  « Et nous ne verrons pas comment passe le temps ;
  « Nous irons côte à côte attaquer les manants ;
  « Ensemble on nous verra dormir et nous repaître,
  « Jouer innocemment, caresser notre maître.
  « Je me sens tout ému quand je pense à cela.
  « Donne la patte, allons.
                            — J’y consens : la voilà.
  « Je suis tout prêt moi-même à pleurer de tendresse. »
    Et nos amis de s’embrasser,
  De battre de la queue et de se caresser.
  Mais, comme ils en étaient à hurler d’allégresse,
    Le marmiton leur jette un os.
  La trêve est expirée, adieu les bons propos !
  Oreste furieux s’élance sur Pylade :
    Il ne s’agit plus d’embrassade,
    Nos deux amis jouant des dents ;
  Avec peine un seau d’eau calme les combattants.

  D’une telle amitié l’exemple chez les hommes
  Se rencontre souvent dans le siècle où nous sommes,
  Et cette fable au vrai nous peint beaucoup de gens.
  Ils sont tout feu, tout flammes : on dirait des amants ;
  Leur amitié sincère en proverbe est passée.
  Mais jetez-leur un os, vous verrez leur pensée :
  Tous leurs bons sentiments feront place aussitôt
      À la tendresse de Briffaut.




VERS ADRESSÉS À LA PRINCESSE H. G.,

QUI SAVAIT FAIRE LA BARBE.

Aimable Hélène, quel caprice
A pu de vous faire un barbier ?
Je crois démêler l’artifice
Qui vous fit prendre ce métier.
En vous appliquant à l’étude
Du bel art que vous cultivez,
Vous voulez prendre l’habitude
De mener les gens par le nez.
Hier, de votre apprentissage,
J’ai fait l’essai sans avoir peur :
Je craignais peu pour mon visage,
Mais je craignais tout pour mon cœur.
Votre heureux talent à Cythère
Paraîtrait dans un plus beau jour,
Car dans l’art d’aimer et de plaire
Vous feriez la barbe à l’Amour.

FIN.
  1. Traduite, ou plutôt imitée, ainsi que la suivante, du célèbre poète russe Kryloff.