Poésies en patois/Texte entier

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Poésies en patois
Poésies en patois, Texte établi par Benjamin Rivière Voir et modifier les données sur Wikidata (p. T--).


POÉSIES
EN
PATOIS
DE
MARCELINE
DESBORDES-VALMORE
DOUAI
CHEZ TOUS LES LIBRAIRES
1896



NOTICE

Pourquoi cette statue, diront quelques-uns, et quelle est cette femme dont le nom, il y a quelques mois à peine, nous était inconnu. À ceux-là, peut-être trop nombreux, cette courte notice. Ils connaîtront la vie d’une femme, vie pleine de courage, de dévouement, de bonté, d’abnégation, que la poésie vint soutenir, aider et consoler dans ses longs jours d’épreuve.

Marceline Desbordes naquit à Douai, le 20 juin 1786, dans une humble maison de la rue Notre-Dame, no 32, (aujourd’hui rue de Valenciennes no 36). Nous ne pouvons mieux la faire connaître qu’en la laissant parler elle-même : « Mon père était peintre en armoiries ; il peignait des équipages, des ornements d’église. Sa maison tenait au cimetière de l’humble paroisse Notre-Dame, à Douai. Je la croyais grande, cette chère maison, l’ayant quittée à sept ans. Depuis, je l’ai revue, et c’est une des plus pauvres de la ville. C’est pourtant ce que j’aime le plus au monde, au fond de ce beau temps pleuré. — Je n’ai vu la paix et le bonheur que là. — Puis, une grande et profonde misère quand mon père n’eut plus à peindre d’équipages ni d’armoiries.

« J’avais quatre ans à l’époque de ce grand trouble en France (la Révolution de 1789). — Les grands-oncles de mon père, exilés autrefois en Hollande à la révocation de l’Édit de Nantes, offrirent à ma famille leur immense succession, si l’on voulait nous rendre à la religion protestante. Ces deux oncles étaient centenaires ; ils vivaient dans le célibat à Amsterdam, où ils avaient transporté et fondé une librairie. — J’ai des livres imprimés par eux.

« On fit une assemblée dans la maison. — Ma mère pleura beaucoup. Mon père était indécis et nous embrassait. — Enfin, on refusa la succession, dans la peur de vendre notre âme, et nous restâmes dans une misère qui s’accrut de mois en mois jusqu’à causer un déchirement d’intérieur où j’ai puisé toutes les tristesses de mon caractère.

« Ma mère, imprudente et courageuse, se laissa envahir par l’espérance de rétablir sa maison en allant en Amérique trouver une parente qui était devenue riche. De ses quatre enfants qui tremblaient de ce voyage, elle n’emmena que moi. Je l’avais bien voulu, mais je n’eus plus de gaîté après ce sacrifice. J’adorais mon père comme le bon Dieu même. Les rues, les villes, les ports de mer où il n’était pas, me causaient de l’épouvante ; et je me serrais contre les vêtements de ma mère comme dans mon seul asile.

« Arrivée en Amérique, elle trouva sa cousine veuve, chassée par les nègres de son habitation, la colonie révoltée, la fièvre jaune dans toute son horreur. Elle ne supporta pas ce coup. Son réveil ce fut de mourir à quarante-et-un ans ! Moi, j’expirais auprès d’elle ; on m’emmena en deuil de cette île dépeuplée à demi par la mort, et, de vaisseau en vaisseau, je fus rapportée au milieu de mes parents devenus tout à fait pauvres. »

Pour les faire sortir de cette misère profonde, Marceline entra au théâtre et débuta à Douai, le 21 novembre 1802. Puis, accompagnée de ses deux sœurs, elle partit pour Lille et passa successivement aux théâtres de Rouen, Paris et Bruxelles, dans lesquels elle remporta de grands succès comme chanteuse.

« À vingt ans, dit-elle, des peines profondes m’obligèrent de renoncer au chant, parce que ma voix me faisait pleurer ; mais la musique roulait dans ma tête malade, et une mesure toujours égale arrangeait mes idées, à l’insu de ma réflexion.

« Je fus forcé de les écrire pour me délivrer de ce frappement fièvreux, et l’on me dit que c’était une élégie. »

En renonçant au chant, Marceline Desbordes ne renonça pas au théâtre qui était sa seule ressource, et la comédie lui valut les mêmes succès que l’opéra-comique. En 1817, elle épousa Prosper Valmore (son vrai nom était Lanchantin), qui était aussi acteur, et elle continua à jouer jusqu’en 1823, époque à laquelle elle quitta définitivement le théâtre, pour se consacrer à sa famille. Il lui restait alors trois enfants : Hippolyte, Hyacinthe (appelée plus familièrement Ondine), et Inès.

Son premier volume de poésies parut en 1818, et deux éditions successives données en 1820 et 1822, la placèrent au premier rang des femmes poètes.

Toute l’existence de Marceline ne fut qu’une longue suite de peines, de misère au milieu desquelles elle ne cessa jamais d’espérer. Avec un courage et une force morale qui jamais ne se démentirent, elle fit face à toutes les dures nécessités d’une existence précaire, trouvant même dans sa détresse les moyens de soulager d’autres infortunes qui lui paraissaient plus misérables que la sienne.

Marceline Desbordes a écrit aussi un certain nombre d’ouvrages en prose, de valeur moindre, mais parmi lesquels nous signalerons les Contes pour les enfants, et surtout les Petits Flamands. Ceux-ci retracent son enfance, ses jeux avec ses compagnes dans le vieux cimetière Notre-Dame.

Elle mourut presque ignorée, à Paris, le 23 juillet 1859.

En élevant aujourd’hui le beau monument dû à nos compatriotes MM. Houssin et F. Dutert, la ville de Douai rend un public hommage à son enfant et acquitte une dette de la France entière.

B. R.

C’est dans la collection Berthoud, au Musée de Douai, que nous avons trouvé l’Amour partout et le Dialogue ; cette dernière pièce présente une lacune. Quant à l’Oraison pour la Crèche, elle a déjà paru en 1849 dans l’Indépendant.


AMOUR PARTOUT


À INÈS

T’es ma fille ! T’es ma poule !
T’es le petit cœur qui roule
Tout à l’entour de mon cœur !
T’es le p’tit Jésus d’ ta mère !
Tiens ! gnia pas d’ souffrance amère
Que ma fill’ n’en soit l’ vainqueur.

Gnia pas à dir’, faut qu’ tu manges ;
Quoiqu’ tu vienn’ d’avec les anges,
Faut manger pour bien grandir.
Mon enfant, j’ t’aim’ tant qu’ ça m’ lasse ;
C’est comme un’ cord’ qui m’enlace,
Qu’ çà finit par m’étourdir.

Qué qu’ ça m’ fait si m’ manqu’ queuqu’ chose,
Quand j’ vois ton p’tit nez tout rose,
Tes dents blanch’ comm’ des jasmins ;
J’ prends tes yeux pour mes étoiles,
Et quand j’ te sors de tes toiles
J’ tiens l’ bon Dieu dans mes deux mains !

T’es ma fille ! T’es ma poule !
T’es le petit cœur qui roule
Tout à l’entour de mon cœur !
T’es le p’tit Jésus d’ ta mère !
Tiens ! gnia pas d’ souffrance amère
Que ma fill’ n’en soit l’ vainqueur.


1827

DIALOGUE



LA FILLE

Pour à ch’co chi, Mèr’, chest asséi ;
Gnia trop d’escarbill’ intasséi :
Vlà l’timps v’nu, faut paier vô dette.

LA MÈRE

T’as toudis queuqu’ ogiau dins t’tiète.

LA FILLE

J’ai dix-neuf ans al’ Saint-Thômas.

LA MÈRE

Et quoich’ te veux dire aveuc châ ?

LA FILLE

Vous l’savez ben ; gnia point d’mystère :
À m’n ag’, vous parlot’ à min père.
Ainsin, j’veux dir’ qu’i m’faut mariei.

LA MÈRE

Est-ch’ que te m’prinds pour un curéi ?

LA FILLE

Vous allez quèr Saint Pierre à Rome.
Mon Diu ! J’vous dis qu’i m’faut un homme.

LA MÈRE

Ah ! ch’est un homm’ donc qu’il vous faut ?
Ch’est toudi eunn’ saquoi d’nouviau.
Un n’a point paié chell’ buresse
Qu’un do r’mett’ tout ch’ l’amoir in presse.
Gnia trâ s’mainn’ ch’est un écourcheu ;
Au lieu d’un inn’ n’a fallu deux.
V’là mamzell’ qu’alle est un peo brafe :

N’cros-tu point qu’l’or crôt din no’cafe ?

. . . . . . . . . . . . . . .

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LA FILLE

Ch’ l’infant vient : vite ! in s’met in leitte,
Tout sitôt un li donne el tette.
Un l’fait bager à sin mon père.
Tchit ! Tchit ! un’ tiot’ rise à s’mémère ;
Et, chin qu’ tout cha vous importeunne,
Un’ treuve à dir’ chent coss’ pour eunne.

LA MÈRE

T’arring’ ben tout cha, fichu’ gueusse !
Te pri’ l’ bon Diu d’êt’ malheureusse.
Te fil’ ras pour chés p’ tiots martyrs.

LA FILLE

Ta miu ! J’sais filer ; ch’ n’est point l’ pir’.

LA MÈRE

R’wette un peo l’fille ed’ no’ vogenne :
Un l’vo’ brair’ comme un’ pauv’ Mad’lenne.

LA FILLE

Bon ! bon ! n’ faut point tant ll’acoutéi ;
All’ a ses morciaux à plantéi.
Je ll’ intinds rire au fond de s’ n’ ame ;
Ch’ est si biau d’ s’appeléi no dame !

LA MÈRE

Et t’n homm’ qui s’ra à tin cotéi,
Qu’il intindra ch’s infons criéi.
Cha n’est mi tout pur in fin chuque.
Gnia toudi pu d’eunn’ coss’ qui buque.
T’as biau l’ chuchei pou l’ trovéi bon,
Gnia pu des trô quarts d’amidon.
Après qu’un a tant fait l’mam’zelle.
Un fond comm’ du bur all’ païelle.
Ch’ n’est bentôt qu’un ogiau pou ch’ ca.

LA FILLE

Vous n’in dit’ pu qu’un avôcât.

LA MÈRE

J’dis chou que j’sais ; je l’ prinds din m’poche,
J’vodros ben l’ cleuer din t’ caboche !
Duch’ qu’il est ch’ marieux qu’ t’in parl’ tant ?

LA FILLE

Je n’ n’ai po cor, mais gnien a tant.
Faut batt’ l’iau pou péchéi l’s anguill’ ;
Aveuc du fil un’ a d’s aiguill’ ;

LA MÈRE

Va t’ couquéi d’ su tin drôt cotéi ;
Les amoureux sont clairsemei.

LA FILLE

J’vos pu long in piquant m’ dintell’.
Par jour et par nuit cha m’ révell’.
Gnia pus d’amoureux qu’ vous n’ pinséi :
Avec un je n’ n’aurai asséi.
Vla no Rô qui n’est pu in guerre ;
J’aréi bentôt treuvé m’n affaire.
Comben n’ véions nous point d’ garchons.
Qui raccueurent din leu’ masons ?
Gnien a des biaux, des vius, des jonnes,

Rachmés fin ben à rouch’ maronnes,
Forts comm’ Gayant et Barabas ;
Avec leu galons su’ leu’ bras,
Et des grans plumés su leu’ tiett’,
Qu’ cha fait trenner quand un les r’wett’ !
Gnia point un tchien, n’y a point un câ
Qui n’ leu tir’ sin capiau in bâs.
Accoutéi l’ tambour su chell’ plache…
Si l’bon Dieu l’ veut, ch’est m’n homm’ qui passe.

LA MÈRE

Prinds tin coussin, va-t-in œuvréi,
Fau êt’ à deux pou s’ mariéi.




ORAISON POUR LA CRÈCHE




À TOUS LES BELLES NOS DAMES DE DOUAY

Riches et pauvres sont enfants de Gayant ;
Riches, donnez à vos frères…

Douq ! Douq ! ch’est pour chés p’tiots infans,
Rassennés din l’vill’ ed Gayant,
Comm’ des tiotes maguett’s din chés camps.

Si j’étos eunn’ saquoi tranquille,
J’viendros canter l’cloqué d’no’ ville ;
Mais ch’est fameus’mint difficile !

J’sus toudis comme un pauvre ogiau,
Les ailes in bas sur un lugiau,
Sans nid, sans mouron, sans tourtiau !

J’ai l’cœur poché plus gros que m’tiette,
Et j’intinds dir’, quand on me r’wiette :
« On diro que s’n’âm’ fait queuette. »

Pourtant, jusqu’au puits d’Saint-Morand,
Capab’ d’incainner Juif-Errant,
Ch’l’oraison s’in va tout courant,

Tout flottant sur un fil d’la Vierge,
Jusqu’à Noter-dam’ sainte auberge
Duch’ que chés femm’s brûl’t un blanc cierge.

Ch’l’oraison dit: Creatorum !
Jesus-Christous, Salve salvum !
M’nez-nous tertous à Te Deum !

Me v’la din Douay : Salut et gloire !
Que l’ sauveur vous tienn’ dins s’ mémoire,
Et much’ du pain plein vo armoire !

Douq ! Douq ! ch’est pour chés p’tiots infans,
Rassennés dins l’ vill’ ed Gayant,
Comm’ des tiot’s maguett’ dins chés camps !

Donnez chouq’ vous pouvez, no’ dame :
Du chuque et d’z’œux, du bur, del flamme[1]
Pour sauver vo’ corps et vo n’âme !

Donnez pour chés biaux innochins,
Pou leu mèr’ à trente-six pouchins ;
Ch’est vos frèr’ et vos p’tiots prochains.

Leu ma mèr’ ch’est l’ saint’ vierg’ Marie,
Soufflant s’n ame à s’n infant qui crie ;
Tout l’ jour all’ œuv’, tout l’ soir all’ prie,

Comme un doux carillon tremblé,
Comme un coulon piquant du blé,
Pour cheus qui n’ont pa cor parlé !

Et tant plus vous donn’rez d’ caignoles,
D’ lang’ ourlés, d’amiteuss’ paroles,
Tant plus vous arez d’auréoles.

Cha f’ra fin bin sur vos ch’veux blonds,
Qui gnien a null’ part des si longs,
Sayant jusqu’à vos blancs talons !

Tant plus vous fil’rez d’ lin et d’ toiles,
Plus vos yeux bleus à raies d’étoiles.
Brill’ront sous vos crol’s et vos voiles.

Ah ! mi ! j’ n’ai point gramint d’ bonheur,
Mais j’ai des prièr’ plein min cœur,
Pour vous, Mesdamm’, et not’ Seigneur !

À vous donc, d’ longs jours sans injures,
Les saluts, les mirlets d’eau pure,
Et jamais d’ rid’ à vos figures !

Grâce à vous, din des lits muchés,
Un vo chés p’tiots Jésus couchés,
Et les plus solents rapagés.

Honneur, à son d’ cloque et d’aubade,
Aux accueilleux de m’ n’inbassade,
À bouquett’ comme eun’ embrassade.

Les bonn’ dam’ ed Douai, j’ vous l’ dis,
Iront tout rade in paradis
Avec des couronn’ ed’ rubis.

Qui vivra l’ verra : no Madone
Priera tant Dieu, l’ seul qui pardonne,
Q’ nous n’ f’rons tertous qu’eunn’ grand’ couronne.

Par Noter-Dam’ des Affligés,
L’ z’orphelins n’ s’ront plus rencachés
Et chés pauv’ s’ront fin ben logés.

All’ coyette aux feux qu’on f’ra luire,
Gniara du café plein des buires
Et tant d’pain qu’on n’sara d’où l’cuire.

Dins ch’ temps là, tous chés p’tiots nounous,
F’ront leu communion à deux g’nous,
Pour vous bénir cor pus haut qu’ nous !

V’là m’ n’oraison d’ fleurs pour la crèche ;
Faut l’canter d’eunn’ voix jone et fraîche,
Qu’all’ mont’ dins l’ ciel drot comme un’ flêche !

Douq ! Douq ! Ch’est pour chés p’tiots infans,
Rassennés dins l’ vill’ ed’ Gayant ;
Comm’ des tiott’ maguett’ dins chés camps.

Parmi toutt’ vos révolutions,
Gnia jamais d’ sang din vos sillons
Pour abouter vos grands layons !

V’là l’ nœud dit l’ soyeux, v’là l’antienne !
Dieu command’ la paix ; faut qu’all’ vienne,
Et que l’ mond’ intier s’in souvienne !

Ô Noter-Dam’ ! v’nez su’ l’ grand qu’min,
Avec tous vos ang’ par la main
Pour qu’ la guerr’ s’en aille après-demain !

Adieu, min Douay, bell’ vill’ sans tache,
D’ vos gardins dû qu’ min cœur s’ rattache,
Gnia toudi quetcose qui m’ rincache.

  1. Del flamique.