Poésies fugitives (Parny)/Léda

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Poésies fugitiveschez Hardouin et Gattey (p. 44-50).


LÉDA.


Vous ordonnez donc, jeune Hélène,
Que ma muse enfin vous apprenne
Pourquoi ces cygnes orgueilleux,
Dont vous aimez le beau plumage,
Des simples hôtes du bocage
N’ont point le chant mélodieux ?
Aux jeux frivoles de la fable
J’avois dit adieu sans retour,
Et ma lyre, plus raisonnable,
Étoit muette pour l’amour.
Obéir est une folie ;
Mais le moyen de refuser
Une bouche fraîche et jolie,
Qui demande par un baiser !


    Dans la forêt silencieuse
Où l’Eurotas parmi les fleurs
Roule son onde paresseuse,
Léda tranquille, mais rêveuse,
Du fleuve suivoit les erreurs.
Bientôt une eau fraîche et limpide
Va recevoir tous ses appas,
Et déjà ses pieds délicats
Effleurent le cristal humide.
Imprudente, sous les roseaux
Un Dieu se dérobe à ta vue ;
Tremble, te voilà presque nue,
Et l’Amour a touché ces eaux.
Léda, dans cette solitude,
Ne craignoit rien pour sa pudeur ;
Qui peut donc causer sa rougeur,
Et d’où vient son inquiétude ?
Mais de son dernier vêtement
Enfin elle se débarrasse,

Et sur le liquide élément
Ses bras, étendus avec grâce,
La font glisser légèrement.
Un cygne aussitôt se présente ;
Et sa blancheur éblouissante,
Et son cou dressé fièrement,
À l’imprudente qui l’admire
Causent un doux étonnement
Qu’elle exprime par un sourire.
Les cygnes chantoient autrefois ;
Virgile a daigné nous l’apprendre ;
Le nôtre à Léda fit entendre
Les accens flûtés de sa voix.
Tantôt, nageant avec vitesse,
Il s’égare en un long circuit ;
Tantôt sur le flot qui s’enfuit
Il se balance avec mollesse.
Souvent il plonge comme un trait ;
Caché sous l’onde il nage encore,

Et tout-à-coup il reparoît
Plus près de celle qu’il adore.
Léda, conduite par l’Amour,
S’assied sur les fleurs du rivage,
Et le cygne y vole à son tour.
Elle ose sur son beau plumage
Passer et repasser la main,
Et de ce fréquent badinage
Toujours un baiser est la fin.
Le chant devient alors plus tendre,
Chaque baiser devient plus doux,
De plus près on cherche à l’entendre,
Et le voilà sur les genoux.
Ce succès le rend téméraire ;
Léda se penche sur son bras ;
Un mouvement involontaire
Vient d’exposer tous ses appas ;
Le Dieu soudain change de place.
Elle murmure foiblement ;

À son cou penché mollement
Le cou du cygne s’entrelace ;
Sa bouche s’ouvre par degrés
Au bec amoureux qui la presse ;
Ses doigts lentement égarés
Flattent l’oiseau qui la caresse ;
L’aile qui cache ses attraits
Sous sa main aussitôt frissonne,
Et des charmes qu’elle abandonne
L’albâtre est touché de plus près.
Bientôt ses baisers moins timides
Sont échauffés par le désir ;
La volupté la fait gémir ;
Et le dernier cri du plaisir
Échappe à ses lèvres humides.

    Si vous trouvez de ce tableau
La couleur quelquefois trop vive,
Songez que la fable est naïve,

Et qu’elle conduit mon pinceau ;
Ce qu’elle a dit, je le répète.
Mais elle oublia d’ajouter
Que la médisance indiscrète
Se mit soudain à raconter
De Léda l’étrange défaite.
Vous pensez bien que ce récit
Enorgueillit le peuple cygne ;
Du même honneur il se crut digne,
Et plus d’un succès l’enhardit.
Les femmes sont capricieuses ;
Il n’étoit fleuve ni ruisseau
Où le chant du galant oiseau
N’attirât les jeunes baigneuses.
L’exemple étoit venu des cieux ;
À mal faire l’exemple invite ;
Mais ces vauriens qu’on nomme Dieux,
Ne veulent pas qu’on les imite.
Jupiter prévit d’un tel goût

La dangereuse conséquence ;
Au cygne il ôta l’éloquence ;
En la perdant, il perdit tout.

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