Poésies fugitives (Parny)/Les Tableaux

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Poésies fugitiveschez Hardouin et Gattey (p. 51-69).
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LES TABLEAUX.

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TABLEAU PREMIER.

LA ROSE.


C’est l’âge qui touche à l’enfance ;
C’est Justine, c’est la candeur.
Déjà l’amour parle à son cœur.
Crédule comme l’innocence,
Elle écoute avec complaisance
Son langage souvent trompeur.
Son œil satisfait se repose
Sur un jeune homme à ses genoux,
Qui, d’un air suppliant et doux,
Lui présente une simple rose.
De cet amant passionné,

Justine, refusez l’offrande ;
Lorsqu’un amant donne, il demande,
Et beaucoup plus qu’il n’a donné.

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TABLEAU IIe.

LA MAIN.


Quand on aime bien, l’on oublie
Ces frivoles ménagemens
Que la raison ou la folie
Oppose au bonheur des amans.
On ne dit point : « La résistance
« Enflamme et fixe les désirs ;
« Reculons l’instant des plaisirs
« Que suit trop souvent l’inconstance. »
Ainsi parle un amour trompeur.
Et la coquette ainsi raisonne.
La tendre amante s’abandonne
À l’objet qui toucha son cœur ;
Et dans sa passion nouvelle,

Trop heureuse pour raisonner,
Elle est bien loin de soupçonner
Qu’un jour il peut être infidèle.

    Justine avoit reçu la fleur.
On exige alors de sa bouche
Cet aveu qui flatte et qui touche
Alors même qu’il est menteur.
Elle répond par sa rougeur ;
Puis avec un souris céleste,
Aux baisers de l’heureux Valsin
Justine abandonne sa main,
Et la main promet tout le reste.

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TABLEAU IIIe.

LE SONGE.


Le sommeil a touché ses yeux ;
Sous des pavots délicieux
Ils se ferment, et son cœur veille.
À l’erreur ses sens sont livrés.
Sur son visage par degrés
La rose devient plus vermeille ;
Sa main semble éloigner quelqu’un ;
Sur le duvet elle s’agite ;
Son sein impatient palpite,
Et repousse un voile importun.
Enfin, plus calme et plus paisible,
Elle retombe mollement ;
Et de sa bouche lentement

S’échappe un murmure insensible.
Ce murmure plein de douceur
Ressemble au souffle de Zéphire,
Quand il passe de fleur en fleur ;
C’est la volupté qui soupire ;
Oui, ce sont les gémissemens
D’une vierge de quatorze ans,
Qui dans un songe involontaire
Voit une bouche téméraire
Effleurer ses appas naissans,
Et qui dans ses bras caressans
Presse un époux imaginaire.

    Le sommeil doit être charmant,
Justine, avec un tel mensonge ;
Mais plus heureux encor l’amant
Qui peut causer un pareil songe !

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TABLEAU IVe.

LE SEIN.


Justine reçoit son ami
Dans un cabinet solitaire ;
Sans doute il sera téméraire ?
Oui, mais seulement à demi ;
On jouit alors qu’on diffère.
Il voit, il compte mille appas,
Et Justine étoit sans alarmes ;
Son ignorance ne sait pas
À quoi serviront tant de charmes.
Il soupire et lui tend les bras,
Elle y vole avec confiance ;
Simple encore et sans prévoyance,
Elle est aussi sans embarras.

Modérant l’ardeur qui le presse,
Valsin dévoile avec lenteur
Un sein dont l’aimable jeunesse
Venoit d’achever la rondeur ;
Sur des lis il y voit la rose ;
Il en suit le léger contour ;
Sa bouche avide s’y repose ;
Il l’échauffe de son amour ;
Et tout-à-coup sa main folâtre
Enveloppe un globe charmant,
Dont jamais les yeux d’un amant
N’avoient même entrevu l’albâtre.

    C’est ainsi qu’à la volupté
Valsin préparoit la beauté
Qui par lui se laissoit conduire ;
Il savoit prendre un long détour.
Heureux qui s’instruit en amour.
Et plus heureux qui peut instruire !

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TABLEAU Ve.

LE BAISER.


Ah ! Justine, qu’avez-vous fait ?
Quel nouveau trouble et quelle ivresse !
Quoi ! cette extase enchanteresse
D’un simple baiser est l’effet ?
Le baiser de celui qu’on aime
A son attrait et sa douceur ;
Mais le prélude du bonheur
Peut-il être le bonheur même ?
Oui, sans doute ; ce baiser-là
Est le premier, belle Justine ;
Sa puissance est toujours divine,
Et votre cœur s’en souviendra.
Votre ami murmure et s’étonne

Qu’il ait sur lui moins de pouvoir ;
Mais il jouit de ce qu’il donne,
C’est beaucoup plus que recevoir.

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TABLEAU VIe.

LES RIDEAUX.


Dans cette alcove solitaire
Sans doute habite le repos ;
Voyons. Mais ces doubles rideaux
Semblent fermés par le mystère ;
Et ces vêtemens étrangers,
Mêlés aux vêtemens légers
Qui couvroient Justine et ses charmes ;
Et ce chapeau sur un sopha,
Ce manteau plus loin, et ces armes,
Disent assez qu’Amour est là.
C’est lui-même ; je crois entendre
Le premier cri de la douleur,
Suivi d’un murmure plus tendre,
Et des soupirs de la langueur.


    Valsin, jamais ton inconstance
N’avoit connu la volupté ;
Savoure-la dans le silence.
Tu trompas toujours la beauté,
Mais sois fidèle à l’innocence.

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TABLEAU VIIe.

LE LENDEMAIN.


D’un air languissant et rêveur
Justine a repris son ouvrage ;
Elle brode ; mais le bonheur
Laissa sur son joli visage
L'étonnement et la pâleur.
Ses yeux qui se couvrent d’un voile
Au sommeil résistoient en vain ;
Sa main s’arrête sur la toile,
Et son front tombe sur sa main.
Dors, et fuis un monde malin.
Ta voix plus douce et moins sonore,
Ta bouche qui s’entr’ouvre encore,
Tes regards honteux ou distraits,

Ta démarche foible et gênée,
De cette nuit trop fortunée
Révéleroient tous les secrets.

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TABLEAU VIIIe.

L’INFIDÉLITÉ.


Un bosquet ; une jeune femme ;
À ses genoux un séducteur
Qui jure une éternelle flamme,
Et qu’elle écoute sans rigueur ;
C’est Valsin. Dans le même asile,
Justine crédule et tranquille
Venoit rêver à son amant ;
Elle entre ; que le peintre habile
Rende ce triple étonnement.

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TABLEAU IXe.

LES REGRETS.


Justine est seule et gémissante,
Et mes yeux avec intérêt
La suivent dans ce lieu secret
Où sa chute fut si touchante.
D’abord son tranquille chagrin
Garde un morne et profond silence ;
Mais des pleurs s’échappent enfin,
Et coulent avec abondance
De son visage sur son sein ;
Et ce sein formé par les grâces,
Dont le voluptueux satin
Du baiser conserve les traces,
Palpite encore pour Valsin.

Dans sa douleur elle contemple
Ce réduit ignoré du jour,
Cette alcove, qui fut un temple,
Et redit : Voilà donc l’amour !

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TABLEAU Xe. et dernier.

LE RETOUR.


Cependant Valsin infidèle
Ne cessa point d’être constant ;
Justine, aussi douce que belle,
Pardonna l’erreur d’un instant.
Elle est dans les bras du coupable.
Il lui parle de ses remords ;
Par un silence favorable
Elle répond à ses transports ;
Elle sourit à sa tendresse,
Et permet tout à ses désirs ;
Mais pour lui seul sont les plaisirs.
Elle conserve sa tristesse ;
Son amour n’est plus une ivresse.

Elle abandonne ses attraits,
Mais cependant elle soupire.
Et ses yeux alors sembloient dire :
Le charme est détruit pour jamais.

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