Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/La Mère qui pleure

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Poésies inédites, Texte établi par Gustave RevilliodJules Fick (p. 105-107).


LA MÈRE QUI PLEURE.


J’ai presque perdu la vue
À suivre le jeune oiseau
Qui, du sommet d’un roseau,
S’est élancé vers la nue.

S’il ne doit plus revenir,
Pourquoi m’en ressouvenir ?

Bouquet vivant d’étincelles
Il descendit du soleil
Éblouissant mon réveil
Au battement de ses ailes.

S’il ne doit plus revenir,
Pourquoi m’en ressouvenir ?

Prompt comme un ramier sauvage,
Après l’hymne du bonheur,
Il s’envola de mon cœur,
Tant il craignait l’esclavage !


S’il ne doit plus revenir,
Pourquoi m’en ressouvenir ?

De tendresse et de mystère
Dès qu’il eut rempli ces lieux,
Il emporta vers les cieux
Tout mon espoir de la terre !

S’il ne doit plus revenir,
Pourquoi m’en ressouvenir ?

Son chant que ma voix prolonge
Plane encor sur ma raison,
Et dans ma triste maison,
Je n’entends chanter qu’un songe.

S’il ne doit plus revenir,
Pourquoi m’en ressouvenir ?

Le jour ne peut redescendre
Dans l’ombre où son vol a lui,
Et pour monter jusqu’à lui
Mes ailes ont trop de cendre.

S’il ne doit plus revenir,
Pourquoi m’en ressouvenir ?


Comme l’air qui va si vite,
Sois libre, ô mon jeune oiseau !
Mais que devient le roseau,
Quand son doux chanteur le quitte !

S’il ne doit plus revenir,
Pourquoi m’en ressouvenir ?


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