Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/Le faneur et l’enfant

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LE FANEUR ET L’ENFANT.


Le faneur.

Eh ! pourquoi pleures-tu ? ta colombe était vieille…

L’enfant.

Vieille !

Le faneur.

Elle allait perdant les ailes et les yeux ;
Elle ne trouvait plus son chemin vers les cieux,
Ni le froment de sa corbeille.
Il fallait la porter dans l’arbre au grand soleil,
Lui puiser l’eau du jour, la nourrir graine à graine ;
Elle avait toujours froid et se traînait à peine
De l’hiver à l’été vermeil.

L’enfant.

Ma colombe !…

Le faneur.

Ma colombe !… Ah ! ma foi, ta colombe est guérie.
Elle nous rendait sourds à force de gémir.

Elle avait fait son temps. Toi, tu pourras dormir.
Ou gambader par la prairie.
Va courir, va ! Sèche tes pleurs !

L’enfant.

Hier elle essayait de me tendre les ailes.

Le faneur.

Hier n’est plus. L’air bleu fourmille d’étincelles,
Et les buissons sentent les fleurs.

L’enfant.

Le monde est tout changé !

Le faneur.

Le monde est tout changé ! Le monde va de même ;
Pourquoi ne prends-tu pas ce qu’il met devant toi ?
Pourquoi lui demander ce qu’il n’a plus ? Pourquoi
Pleurer un vieil oiseau !

L’enfant.

Pleurer un vieil oiseau ! Je l’aime.

Le faneur.

Viens en chercher un autre ; il en pleut dans les blés.
On marche sur des nids, puis on en trouve encore.

Dieu le veut : des oiseaux sont toujours près d’éclore
Quand les oiseaux sont envolés.
Viens voir dans les sillons !…

L’enfant.

Viens voir dans les sillons !… Non, j’attends ma colombe.
Ma colombe viendra tous les soirs, tous les jours.
Elle était ma colombe, et je la veux toujours !
Vois-tu ce tas de fleurs ? c’est sa petite tombe ;
J’y reste.

Le faneur.

J’y reste. Pourquoi faire ?

L’enfant.

J’y reste. Pourquoi faire ? Oh ! pour la voir venir !
Faneur, ne sais-tu pas que rien ne doit mourir ?

Le faneur.

Ce serait beau, mais quoi !…

L’enfant.

Ce serait beau, mais quoi !… Sois en sûr ! c’est mon père
Qui me dit de le croire et qui veut que j’espère.

Le faneur.

J’en vois voler vers nous…

L’enfant.

J’en vois voler vers nous… Adieu, faneur, adieu.

Le faneur.

Tu ne veux pas les prendre ?

L’enfant (qui s’en va).

Tu ne veux pas les prendre ? Ô ma colombe ! ô Dieu !


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