Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/Les promeneurs
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LES PROMENEURS.
Pourquoi vous a-t-on mis ce casque sur la tête ?
Allez-vous à la guerre ou bien dans les tournois ?
Cet appareil grillé vous donne un air sournois.
Je vous ai vu moins laid dans nos jours de conquête… »
— « Mon Dieu ! » dit l’autre chien (c’était deux chiens errants,
Cherchant aux carrefours à distraire leur vie),
« Peut-on, quand on est chien, se mettre à son envie !
Tout maître a son caprice et nous sommes aux grands.
« Nous leur appartenons de la queue aux oreilles ;
Ce qu’ils en font, c’est triste, et vous n’avez qu’à voir.
Ils ont raison pourtant puisqu’ils ont le pouvoir.
N’avez-vous pas subi des justices pareilles ?
« On est gai de naissance ; eh bien, on ne rit plus.
Les sens ainsi gênés ne trouvent plus leurs voies ;
Étouffer notre souffle est une de leurs joies ;
Ces faits contre nature où les avions-nous lus ?
« Venez causer plus loin… je crois qu’on nous regarde.
Nos maîtres si hautains sont lâches par moment.
On pourrait nous traiter comme un rassemblement,
Et pour nous disperser faire venir la garde.
« Contre ce lourd bonnet qui n’est pas de mon goût
J’ai beaucoup aboyé, mais c’est comme qui chante.
Tout cadenas tient bon sous une main méchante !
Je ne peux plus toucher, mon frère, à rien du tout ! »
Durant cet entretien le plus libre s’arrête :
Un régal imprévu l’a séduit en marchant.
— « Voyez ! l’homme envers nous n’est pas toujours méchant ;
Il jette sur nos pas des vestiges de fête !
« Celui-ci, partagé, vous remettrait le cœur ;
Mais pour thésauriser nous n’avons point d’armoire.
Il faut vider les plats sans payer le mémoire ;
Nous sommes à la chasse et je me fais piqueur ! »
Il mourut, car la fête était empoisonnée.
Ô mémoire flottante ! Ô candeur des petits !
Ô perfides éveils d’incessants appétits !
Ô vie à tout propos dans ta fleur moissonnée !
L’empoisonneur sifflait, écorchant sans remords
Le chien, bon pour des gants. Sous son casque, et plus sombre,
L’autre disait tout bas, trottant seul et dans l’ombre :
« Heureux les muselés !… Mais plus heureux les morts ! »