Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/Prière

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Poésies inédites, Texte établi par Gustave RevilliodJules Fick (p. 266-269).
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PRIÈRE

envoyée au Mont Carmel pour les prisonniers du Mont St-Michel.
1843.


Si porteuse d’ailes
Je pouvais monter
Où les hirondelles
Volent s’abriter ;
Si l’ardent cantique
Sorti de mon cœur,
Du Carmel antique
Allait au Seigneur :

Je n’y porterais pas une superbe aumône.
Je n’ai rien. Mais plus près de ce roi qui pardonne,
Je laisserais tomber les larmes de mes yeux
Pour qu’il ouvre un Carmel à de chers malheureux.

Si porteuse d’ailes
Je pouvais monter
Où les hirondelles
Volent s’abriter :


Sur les pieds du Seigneur je répandrais mon âme
Il n’a repoussé, lui, ni l’enfant, ni la femme ;
Et je lui montrerais n’ayant rameaux ni fleurs,
Du sombre Saint-Michel les stagnantes douleurs.

Si porteuse d’ailes
Je pouvais monter
Où les hirondelles
Volent s’abriter :

Des sinistres hauteurs de ce cloître rigide
Où la loi va suspendre un sursis homicide,
Épiant les cris sourds qui ne s’entendent pas,
J’en remplirais mon cœur pour les crier là-bas !

Si porteuse d’ailes
Je pouvais monter
Où les hirondelles
Volent s’abriter :

Des mères sans repos veuves de jeunes vies
À leurs chers désespoirs saintement asservies,
J’élèverais si haut les placets repoussés
Que j’obtiendrais l’oubli des orages passés.


Si porteuse d’ailes
Je pouvais monter
Où les hirondelles
Volent s’abriter :

J’irais, pour réchauffer ces cellules affreuses
Où s’éteignent sans jour tant d’âmes malheureuses,
J’irais, dans un amour à nul autre pareil,
Porter, même au coupable, un baiser du soleil !

Si porteuse d’ailes
Je pouvais monter
Où les hirondelles
Volent s’abriter :

Frère, à qui je confie une clameur timide,
Vous qui montez toujours, charitable intrépide,
Pèlerin tout chargé des trésors de la foi,
Pour relever ses murs vous n’iriez pas sans moi.

Si porteuse d’ailes
Je pouvais monter
Où les hirondelles
Montent s’abriter.


Allez donc prier Dieu de secouer la terre
Afin d’en rejeter cette bastille austère.
Oh ! comme il ouvrirait ses cachots étouffants !
Oh ! qu’il rendrait d’air pur à ses pâles enfants !

Si porteuse d’ailes
Je pouvais monter
Où les hirondelles
Montent s’abriter ;
Si l’ardent cantique
Sorti de mon cœur
Du Carmel antique
Allait au Seigneur !


On dit que le frère Charles d’Ognissanti, chargé de quêter pour l’achèvement du monastère hospitalier du Mont Carmel, vient d’être assassiné dans la montagne en reportant les aumônes qu’il avait recueillies avec tant de fatigues.

Le vrai chrétien est monté bien plus haut qu’au but de sa mission terrestre. Il est rentré bien jeune dans la divine patrie, l’âme encore émue des voix qui s’étaient réunies a Paris dans un concert sacré pour aider à l’œuvre de dévouement et de charité des solitaires de la Palestine.


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