Poésies inédites (Marceline Desbordes-Valmore)/Un Déserteur

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Poésies inédites, Texte établi par Gustave RevilliodJules Fick (p. 249-252).


UN DÉSERTEUR.


J’entends sonner dimanche,
Qu’ils sont heureux là-bas,
Devant l’église blanche,
Parlant haut, priant bas !
Quand tout se sent renaître
Au soleil doux et chaud,
C’est le bon Dieu peut-être
Qui dore mon cachot !…

Ma mère ! ma mère !
Qui priez là-bas,
Dans votre prière
Ne m’accusez pas !

De garde à la frontière,
Sur mon fusil penché,
J’écoutais sous la pierre
Un filet d’eau caché.
Puis, songeant à vos larmes
Au fond de vos yeux doux,

J’ai jeté là mes armes
Pour m’élancer vers vous !

Ma mère ! ma mère !
Qui priez là-bas,
Dans votre prière
Ne pleuriez-vous pas ?

Plus loin l’eau sans entrave
Appelait le nageur,
Et lassé d’être esclave
Je me fis voyageur.
Une senteur d’automne
Ouvrait mon souvenir.
Et le canon qui tonne
N’eût pu me retenir…

Ma mère ! ma mère !
Qui priez là-bas,
Dans votre prière
N’appeliez-vous pas ?

Les parfums du village
Troublent l’humble soldat ;
Moi, je n’eus de courage
Qu’aux périls du combat.

À mes plaisirs d’enfance
J’avais rêvé le soir,
Et, tout fiévreux d’absence,
J’ai couru vous revoir…

Ma mère ! ma mère !
Qui priez là-bas
Dans votre prière
N’attendiez-vous pas ?

Au fond de la nuit sombre,
M’excitant à marcher,
Comme un géant dans l’ombre
Se dressait mon clocher.
Et notre blanche église
M’attirait à genoux
Sous la croix où Louise
Est couchée avant nous.

Ma mère ! ma mère !
Qui priez là-bas,
Dans votre prière
N’y pensiez-vous pas ?

La mort donne quittance
Au soldat égaré,

Puisqu’après la sentence
Mes juges ont pleuré.
Paix ! voici la parade
Emplissant le chemin,
Et mon vieux camarade
Qui me tûra demain…

Ma mère ! ma mère !
Qui priez là-bas,
Dans votre prière
Ne m’attendez pas !

Musique militaire
Qui bondis sur mon cœur,
Atteindras-tu sous terre
Le pauvre déserteur ?…
Les cloches sur ma tête
Sont bonnes de courir…
Ce carillon de fête
M’encourage à mourir…

Ma mère ! ma mère !
Qui priez là-bas,
Dans votre prière
Ne m’oubliez pas !


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