Poëme sur les victoires du Roi, traduit de latin en françois par P. Corneille

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Poëme sur les victoires du Roi, traduit de latin en françois par P. Corneille
Poésies diverses, Texte établi par Charles Marty-LaveauxHachettetome X (p. 192-217).

LXIX

Poëme sur les victoires du Roi, traduit de latin en françois par P. Corneille.

C’est sous ce titre que ce poëme a paru pour la première fois. On lit sur le frontispice de l’exemplaire de la Bibliothèque impériale : À Paris, chez Thomas Iolly, au Palais, en la Salle des Merciers, à la Palme et aux Armes d’Hollande. M.DC.LXVII. Avec Privilège du Roy ; mais on peut le rencontrer avec d’autres adresses, car c’est à Guillaume de Luyne que le privilége a été « donné à Paris, le vingt-huitième Novembre 1667, » et il en a fait part « aux sieurs Iolly et Billaine. » L’« Achevé d’imprimer pour la première fois » est du « quinzième Décembre 1667. » Le volume, de petit format in-8o, contient 38 pages et un feuillet de privilège.

À la page 3 se trouve l’avis de Corneille au Lecteur.

À la page 4 commence, sous le titre de Regi Epinicion[trad 1], le poëme latin du P. de la Rue, dont celui de Corneille est une traduction.

À la page 5 commence, en regard, la traduction de Corneille sous ce titre : les Victoires du Roy en l’année 1667.

À la page 30 : Traductions et imitations de l’Épigramme Latine de Monsieur de Montmor

À la page 31 : Au Roy, sur son retour de Flandre.

À la page 35 : Remercîment présenté au Roy en l’année 1663.

Granet (Œuvres diverses, p. 11) mentionne une réimpression de 1669 (in-12) ; et la Bibliothèque des écrivains de la compagnie de Jésus (1re série, p. 659), une édition portant le titre latin : de Victoriis Regis Christianissimi Ludovici XIV. Poema à Clarissimo viro Petro Corneille versibus gallicis redditum. Parisiis, apud Sebastianum Mabre Cramoisy, 1667, in-8o. On retrouve plus tard notre poëme LXIX aux pages 19-29 des Idyllia du P. de la Rue (Rouen, 1669) et aux pages 99-108 de ses Carmina (Paris, 1688). Dans le premier de ces recueils les vers de Corneille sont intitulés : les Victoires du Roy en l’année M.DC.LXVII. De la traduction de M. Corneille ; dans le second : les Victoires du Roy en Flandre. De la traduction de P. Corneille. Ils suivent, dans l’un et dans l’autre, le texte latin du P. de la Rue, ayant pour titre : Regi post Belgicam expeditionem (dans l’édition de 1688 : Ludovico magno post expeditionem Belgicam) anni M.DC.LXVII. Epinicium. Le volume des Idyllia commence par une sorte d’épître dédicatoire en vers latins, intitulée : Ad clarissimum virum P. Cornelium, tragicorum principem, et datée : Rothomagi kal. jun. M.DC.LXIX. On trouve à la page 51 : Ad clarissimum virum Petrum Cornelium in obitu Caroli filii. Nous donnons ces deux pièces de vers, ci-après, dans l’Appendice. Elles sont reproduites dans les Carmina de 1688, aux pages 146 et 161.

Au sujet de ces poëmes de Corneille et du P. de la Rue sur les victoires de 1667, nous lisons dans un Éloge de ce dernier, extrait d’une lettre écrite de Paris le 6 juin 1725, et inséré dans le Mercure de juin de cette même année (le P. de la Rue, né en 1643, mourut en 1725) : « Il fit en 1667 un poëme sur les conquêtes du Roi, que le fameux P. Corneille se fit un honneur de traduire en vers françois. Il dit même à Sa Majesté, en lui présentant sa traduction, qu’elle n’égaloit point l’original du jeune jésuite, qu’il lui nomma. Ce fut là le commencement de cette estime dont le feu Roi honora depuis le P. de la Rue. »




Au lecteur.

Quelque favorable accueil que Sa Majesté ait daigné faire à cet ouvrage, et quelques applaudissements que la cour lui ait prodigués, je n’en dois pas faire grande vanité, puisque je n’en suis que le traducteur. Mais dans une si belle occasion de faire éclater la gloire du Roi, je n’ai point considéré la mienne : mon zèle est plus fort que mon ambition ; et pourvu que je puisse satisfaire en quelque sorte aux devoirs d’un sujet fidèle et passionné, il m’importe peu du reste. Le public m’aura du moins l’obligation d’avoir déterré ce trésor, qui, sans moi, seroit demeuré enseveli sous la poussière d’un collège ; et j’ai été bien aise de pouvoir donner par là quelque marque de reconnoissance aux soins que les pères jésuites ont pris d’instruire ma jeunesse et celle de mes enfants, et à l’amitié particulière dont m’honore l’auteur de ce panégyrique. Je ne l’ai pas traduit si fidèlement, que je ne me sois enhardi plus d’une fois à étendre ou resserrer ses pensées : comme les grâces des deux langues sont différentes, j’ai cru à propos de prendre cette liberté, afin que ce qui étoit excellent en latin ne devînt pas insupportable[1] en françois. Vous en jugerez, et ne serez pas fâché que j’y aye fait joindre quelques autres pièces, que vous avez déjà vues, sur le même sujet[2]. L’amour naturel que nous avons tous pour les productions de notre esprit m’a fait espérer qu’elles se pourroient ainsi conserver l’une par l’autre, ou périr un peu plus tard.




Les victoires du Roi en l’année 1667.

Mânes des grands Bourbons, brillants foudres de guerre.
Qui fûtes et l’exemple et l’effroi de la terre,
Et qu’un climat fécond en glorieux exploits
Pour le soutien des lis vit sortir de ses rois,
Ne sovez point jaloux qu’un roi de votre race 5
Égale tout d’un coup votre plus noble audace.

Vos grands noms dans le sien revivent aujourd’hui :
Toutes les fois qu’il vainc, vous triomphez en lui ;
Et ces hautes vertus que de vous il hérite
Vous donnent votre part aux encens qu’il mérite. 10
C’est par cette valeur qu’il tient de votre sang
Que le lion belgique[3] a vu percer son flanc ;
Il en frémit de rage, et devenu timide,
Il met bas cet orgueil contre vous intrépide,
Comme si sa fierté, qui vous sut résister, 15
Attendoit ce héros pour se laisser dompter !
Aussi cette fierté, par le nombre alarmée,
Voit en un chef si grand encor plus d’une armée,
Dont par le seul aspect ce vieil orgueil brisé
Court au-devant du joug si longtemps refusé. 20
De là ces feux de joie et ces chants de victoire
Qui font briller partout et retentir sa gloire ;
Et bien que la déesse aux cent voix et cent yeux
L’ait publiée en terre et fait redire aux cieux,
Qu’il ne soit pas besoin d’aucune autre trompette, 25

Le cœur paroît ingrat quand la bouche est muette,
Et d’un nom que partout la vertu fait voier
C’est crime de se taire où tout semble parler.
Mais n’attends pas, grand Roi, que mes ardeurs sincères
Appellent au secours l’Apollon de nos pères : 30
À mes foibles efforts daigne servir d’appui,
Et tu me tiendras lieu des Muses et de lui.
Toi seul y peux suffire, et dans toutes les âmes
Allumer de toi seul les plus célestes flammes,
Tel qu’épand le soleil sa lumière sur nous, 35
Unique dans le monde, et qui suffit à tous[4].
Par l’ordre de son roi, les armes de la France
De la triste Hongrie avoient pris la défense,
Sauvé du Turc vainqueur un peuple gémissant,
Fait trembler son Asie et rougir son croissant[5] ; 40
Par son ordre on voyoit d’invincibles courages,

D’Alger et de Tunis arrêter les pillages[6],
Affranchir nos vaisseaux de ces tyrans des mers,
Et leur faire à leur tour appréhender nos fers.
L’Anglois même avoit vu jusque dans l’Amérique 45
Ce que c’est qu’avec nous rompre la foi publique,
Et sur terre et sur mer reçu le digne prix
De l’infidélité qui nous avoit surpris[7].
Enfin du grand Louis aux trois parts de la terre
Le nom se faisoit craindre à l’égal du tonnerre. 50
L’Espagnol s’en émeut, et gêné de remords,
Après de tels succès il craint pour tous ses bords :
L’injure d’une paix à la fraude enchaînée[8],
Les dures pactions d’un royal hyménée[9],

Tremblent sous les raisons et la facilité 55
Qu’aura de s’en venger un roi si redouté.
Louis s’en aperçoit, et tandis qu’il s’apprête
À joindre à tant de droits celui de la conquête,
Pour éblouir l’Espagne et son raisonnement,
Il tourne ses apprêts en divertissement[10] : 60
Il s’en fait un plaisir, où par un long prélude
L’image de la guerre en affermit l’étude,
Et ses passe-temps même instruisant ses soldats
Préparent un triomphe où l’on ne pense pas.
Il se met à leur tête aux plus ardentes plaines, 65
Fait en se promenant leçon aux capitaines,
Se délasse à courir de quartier en quartier,

Endurcit et soi-même et les siens au métier,
Les forme à ce qu’il faut que chacun cherche ou craigne,
Et par de feints combats apprend l’art qu’il enseigne. 70
Il leur montre à doubler leurs files et leurs rangs,
À changer tôt de face aux ordres différents,
Tourner à droite, à gauche, attaquer et défendre,
Enfoncer, soutenir, caracoler, surprendre ;
Tantôt marcher en corps, et tantôt défiler, 75
Pousser à toute bride, attendre, reculer,
Tirer à coups perdus, et par toute l’armée
Faire l’oreille au bruit et l’œil à la fumée.
Ce héros va plus outre ; il leur montre à camper :
À la tente, à la hutte on les voit s’occuper. 80
Sa présence aux travaux mêle de si doux charmes,
Qu’ils apprennent sans peine à dormir sous les armes ;
Et comme s’ils étoient en pays dangereux,
L’ombre de Saint-Germain est un bivouac pour eux[12].

Achève, grand Monarque, achève, et pars sans crainte : 85
Si tu t’es fait un jeu de cette guerre feinte,
Accoutumé par elle à la poussière, au feu,
La véritable ailleurs ne te sera qu’un jeu.
Tes guerriers t’y suivront sans y voir rien de rude,
Combattront par plaisir, vaincront par habitude ; 90
Et la Victoire, instruite à prendre ici ta loi,
Dans les champs ennemis n’obéira qu’à toi.
L’Espagne cependant, qui voit des Pyrénées
Donner ce grand spectacle aux dames étonnées,
Loin de craindre pour soi, regarde avec mépris, 95
Dans un camp si pompeux, des guerriers si bien mis,
Tant d’habits, comme au bal, chargés de broderie,
Et parmi des canons tant de galanterie.
« Quoi ? l’on se joue en France, et ce roi si puissant
Croit m’effrayer, dit-elle, en se divertissant ? » 100

Il est vrai qu’il se joue, Espagne, et tu devines ;
Mais tu mettras au jeu plus que tu l’imagines[13],
Et de ton dernier vol si tu ne te repens[14],
Tu ne verras finir ce jeu qu’à tes dépens.
Son père et son aïeul t’ont fait voir que sa France[15] 105
Sait trop, quand il lui plaît, dompter ton arrogance :
Tant d’escadrons rompus, tant de murs emportés,
T’ont réduite souvent au secours des traités.
Ces disgrâces alors te donnoient peu d’alarmes,
Tes conseils réparoient la honte de tes armes ; 110
Mais le ciel réservoit à notre auguste roi
D’avoir plus de conduite et plus de cœur que toi.
Rien plus ne le retarde, et déjà ses trompettes
Aux confins de l’Artois lui servent d’interprètes[16] :

C’est de là, c’est par là qu’il s’explique assez haut. 115
Il entre dans la Flandre et rase le Hainaut.
Le François court et vole, une mâle assurance
Le fait à chaque pas triompher par avance ;
Le désordre est partout, et l’approche du Roi
Remplit l’air de clameurs et la terre d’effroi. 120
Jusqu’au fond du climat[17] ses lions en rugissent,
Leur vue en étincelle, et leurs crins s’en hérissent ;
Les antres et les bois, par de longs hurlements,
Servent d’affreux échos à leurs rugissements ;
Et les fleuves mal sûrs dans leurs grottes profondes 125
Hâtent vers l’Océan la fuite de leurs ondes ;
Incertains de la marche, ils tremblent tous pour eux.
Songe encor, songe, Espagne, à mépriser nos jeux !
Ainsi, quand le courroux du maître de la terre
Pour en punir l’orgueil prépare son tonnerre, 130
Qu’un orage imprévu qui roule dans les airs
Se fait connoître au bruit et voir par les éclairs,

Ces foudres, dont la route est pour nous inconnue,
Paroissent quelque temps se jouer dans la nue,
Et ce feu qui s’échappe et brille à tout moment[18], 135
Semble prêter aux cieux un nouvel ornement ;
Mais enfin le coup tombe ; et ce moment horrible,
À force de tarder devenu plus terrible,
Étale aux yeux surpris des hommes écrasés,
Une plaine fumante, et des rochers brisés. 140
Telle on voit le Flamand présumer ta venue,
Grand Roi ! Pour fuir ta foudre il cherche à fuir ta vue,
Et de tes justes lois ignorant la douceur,
Il abandonne aux tiens des murs sans défenseur[19].
La Bassée, Armentière, aussitôt sont désertes[20] ; 145

Charleroi[21], qui t’attend, mais à portes ouvertes,
À forts démantelés, à travaux démolis[22],
Sur le nom de son roi[23] laisse arborer tes lis.
C’est là le prompt effet de la frayeur commune ;
C’est ce que font sans toi ton nom et ta fortune. 150
Heureux tous nos Flamands, si l’exemple suivi
Eût partout à tes droits fait justice à l’envi !
Furne n’auroit point vu ses portes enfoncées ;
Bergue n’auroit point vu ses murailles forcées[24] ;

Et Tournai, de tout temps tout françois dans le cœur, 155
T’eût reçu comme maître, et non comme vainqueur[25] ;
Les Muses[26] à Douai n’auroient point pris les armes
Pour coûter à son peuple et du sang et des larmes ;
Courtrai, sans en verser, eût changé de destin ;
Ce refuge orgueilleux de l’Espagnol mutin, 160
Alost, n’eût point fourni de matière à ta gloire ;
Audenarde jamais n’eût pleuré ta victoire.
Que dirai-je de Lisle[27], où tant et tant de tours,
De forts, de bastions n’ont tenu que dix jours[28] ?
Ces murs si rechantés, dont la noble ruine 165

De tant de nations flatte encor l’origine,
Ces remparts que la Grèce et tant de dieux ligués
En deux lustres à peine ont pu voir subjugués,
Eurent moins de défense, et l’art en leur structure
Avoit moins secouru l’effort de la nature ; 170
Et ton bras en dix jours a plus fait à nos yeux
Que la fable en dix ans n’a fait faire à ses dieux.
Ainsi, par des succès que nous n’osions attendre,
Ton État voit sa borne au milieu de la Flandre ;
Et la Flandre, qui craint de plus grands changements, 175
Voit ses fleuves captifs[29] diviser ses Flamands.
C’est là ton pur ouvrage, et ce qu’en vain ta France
Elle-même a tenté sous une autre puissance[30] ;
Ce que sembloit le ciel défendre à nos souhaits,
Ce qu’on n’a jamais vu, qu’on ne verra jamais, 180
Ce que tout l’avenir à peine voudra croire…

Mais de quel front osé-je ébaucher tant de gloire,
Moi dont le style foible et le vers mal suivi
Ne sauroient même atteindre à ceux qui t’ont servi ?
Souffre-moi toutefois de tâcher à portraire 185
D’un roi tout merveilleux l’incomparable frère[31] :
Sa libéralité pareille à sa valeur ;
À l’espoir du combat ce qu’il sent de chaleur ;
Ce que lui fait oser l’inexorable envie
D’affronter les périls au mépris de sa vie, 190
Lorsque de sa grandeur il peut se démêler,
Et trompe autour de lui tant d’yeux pour y voler.
Les tristes champs de Bruge en rendront témoignage :
Ce fut là que pour suite il n’eut que son courage ;
Il fuyoit tous les siens pour courir sur tes pas, 195
Marcin[32] ; et ta déroute eût signalé son bras,

Si le destin jaloux, qui l’avoit arrêtée,
Pour en croître l’affront ne l’eût précipitée,
Et sur ton nom fameux déployé sa rigueur
Jusques à t’envier un si noble vainqueur. 200
Anguien[33] le suit de près, et n’est pas moins avide
De ces occasions où l’honneur sert de guide.
L’Escaut épouvanté voit ses premiers efforts
Le couronner de gloire au travers de cent morts,
Donner sur l’embuscade, en pousser la retraite, 205
Triompher des périls où sa valeur le jette,
Et montrer dans un cœur aussi haut que son rang
De l’illustre Condé le véritable sang.
Saint-Paul, de qui l’ardeur prévient ce qu’on espère,
De son côté Dunois, et Condé par sa mère[34], 210
À l’un et l’autre nom répond si dignement,

Que des plus vaillants même il est l’étonnement.
Des armes qu’il arrache aux mains qui le combattent
Il commence un trophée où ses vertus éclatent ;
Et pour forcer la Flandre à prendre un joug plus doux, 215
Les pals les plus serrés font passage à ses coups[35].
Mais où va m’emporter un zèle téméraire ?
À quoi m’expose t-il ? et que prétends-je faire,
Lorsque tant de grands noms, tant d’illustres exploits,
Tant de héros enfin s’offrent tous à la fois ? 220
Magnanimes guerriers, dont les hautes merveilles
Lasseroient tout l’effort des plus savantes veilles,
Bien que votre valeur étonne l’univers,
Qu’elle mette vos noms au-dessus de mes vers,
Vos miracles pourtant ne sont point des miracles : 225
L’exemple de Louis vous lève tous obstacles.
Marchez dessus ses pas, fixez sur lui vos yeux,
Vous n’avez qu’à le voir, qu’à le suivre en tous lieux,
Qu’à laisser faire en vous l’ardeur qu’il vous inspire,
Pour vous faire admirer plus qu’on ne vous admire. 230
Cette ardeur, qui des chefs passe aux moindres soldats,
Anime tous les cœurs, fait agir tous les bras :
Tout est beau, tout est doux sous de si grands auspices,

La peine a ses plaisirs, la mort a ses délices[36] ;
Et de tant de travaux qu’il aime à partager, 235
On n’en voit que la gloire et non pas le danger.
Il n’est pas de ces rois qui loin du bruit des armes,
Sous des lambris dorés donnent ordre aux alarmes,
Et traçant en repos d’ambitieux projets,
Prodiguent, à couvert, le sang de leurs sujets. 240
Il veut de sa main propre enfler sa renommée,
Voir de ses propres yeux l’état de son armée,
Se fait à tout son camp reconnoître à la voix,
Visite la tranchée, y fait suivre ses lois.
S’il faut des assiégés repousser les sorties, 245
S’il faut livrer assaut aux places investies,
Il montre à voir la mort, à la braver de près,
À mépriser partout la grêle des mousquets,
Et lui-même essuyant leur plus noire tempête,

Par ses propres périls achète sa conquête. 250
Tel le grand saint Louis, la tige des Bourbons,
Lui-même du Soldan[37] forçoit les bataillons.
Tel son aïeul Philippe acquit le nom d’Auguste
Dans les fameux hasards d’une guerre aussi juste ;
Avec le même front, avec la même ardeur 255
Il terrassa d’Othon[38] la superbe grandeur,
Couvrit devant ses yeux la Flandre de ruines,
Et du sang allemand fit ruisseler Bovines.
Tel enfin, grand Monarque, aux campagnes d’Yvry,
Tel en mille autres lieux l’invincible Henry, 260
De la Ligue obstinée enfonçant les cohortes,
Te conquit de sa main le sceptre que tu portes[39].
Vous, ses premiers sujets, qu’attache à son côté
La splendeur de la race ou de la dignité,
Vous, dignes commandants, vous, dextres aguerries, 265
Troupes aux champs de Mars dès le berceau nourries,

Dites-moi de quels yeux vous vîtes ce grand roi,
Après avoir rangé tant de murs sous sa loi,
Descendre parmi vous de son char de victoire,
Pour vous donner à tous votre part à sa gloire. 270
De quels yeux vîtes-vous son auguste fierté
Unir tant de tendresse à tant de majesté,
Honorer la valeur, estimer le service,
Aux belles actions rendre prompte justice,
Secourir les blessés, consoler les mourants, 275
Et pour vous applaudir passer dans tous vos rangs ?
Parlez, nouveaux François, qui venez de connoître
Quel est votre bonheur d’avoir changé de maître :
Vous qui ne voyiez plus vos princes qu’en portrait,
Sujets en apparence, esclaves en effet, 280
Pouvez-vous regretter ces démarches pompeuses,
Ces fastueux dehors, ces grandeurs sourcilleuses,
Ces gouverneurs enfin envoyés de si loin,

Tous-puissants en parade, impuissants au besoin,
Qui ne montrant jamais qu’un œil farouche et sombre 285
À peine vous jugeoient dignes de voir leur ombre ?
Nos rois n’exigent point cet odieux respect :
Chacun peut chaque jour jouir de leur aspect ;
On leur parle, on reçoit d’eux-mêmes le salaire
Des services rendus, ou du zèle à leur plaire ; 290
Et l’amoureux attrait qui règne en leurs bontés
Leur gagne d’un coup d’œil toutes les volontés.
Pourriez-vous en vouloir[40] une plus sûre marque,
Belges ? Vous le voyez, cet illustre monarque,
À vos temples ouverts conduire ses vainqueurs 295
Pour y bénir le ciel de vos propres bonheurs[41].
Est-il environné de ces pompes cruelles
Dont à Rome éclatoient les victoires nouvelles,
Quand tout autour d’un char elle voyoit traînés

Des peuples soupirants et des rois enchaînés, 300
Qu’elle admiroit l’amas des afireux brigandages
D’où tiroient leurs grands noms ses plus grands personnages,
Et des fleuves domptés les simulacres vains
Qui sous des flots de bronze adoroient ses Romains ?
Il n’y fait point porter les dépouilles des villes, 305
Comme ses Marius, ses Métels, ses Émiles[42],
Et ce reste insolent d’avides conquérants,
Grands héros dans ses murs, partout ailleurs tyrans.
Il entre avec éclat, mais votre populace
Ne voit point sur son front de fast[43] ni de menace ; 310
Il entre, mais d’un air qui ravit tous les cœurs,
En père des vaincus, en maître des vainqueurs[44].
Peuples, repentez-vous de votre résistance ;
Il ramène en vos murs la joie et l’abondance ;

Votre défaite en chasse un sort plus rigoureux : 315
Si vous aviez vaincu, vous seriez moins heureux.
On m’en croit, on l’aborde, on lui porte des plaintes ;
Il écoute, il prononce, il fait des lois plus saintes ;
Chacun reste charmé d’un si facile accès,
Chacun des maux passés goûte le doux succès[45], 320
Jure avec l’Espagnol un éternel divorce,
Et porte avec amour un joug reçu par force.
C’est ainsi que la terre, au retour du printemps[46],

Des grâces du soleil se défend quelque temps,
De ses premiers rayons refuit les avantages, 325
Et pour les repousser élève cent nuages :
Le soleil plus puissant dissipe ces vapeurs,
S’empare de son sein, y fait naître des fleurs,
Y fait germer des fruits, et la terre, à leur vue
Se trouvant enrichie aussitôt que vaincue, 330
Ouvre à ce conquérant jusques au fond du cœur,
Et pleine de ses dons, adore son vainqueur.
Poursuis, grand Roi, poursuis : c’est par là qu’on s’assure
Un respect immortel chez la race future ;
C’est par là que le ciel prépare ton Dauphin 335

À remplir hautement son illustre destin :
Il y répond sans peine, et son jeune courage
Accuse incessamment la paresse de l’âge ;
Toute son âme vole après tes étendards,
Brûle de partager ta gloire et tes hasards, 340
D’aller ainsi que toi de conquête en conquête[47].
Conservez, justes cieux, et l’une et l’autre tête ;
Modérez mieux l’ardeur d’un roi si généreux :
Faites-le souvenir qu’il fait seul tous nos vœux,
Que tout notre destin s’attache à sa personne, 345
Qu’il feroit d’un faux pas chanceler sa couronne ;
Et puisque ses périls nous forcent de trembler,
Du moins n’en souffrez point qui nous puisse accabler.


  1.  
    REGI EPINICION.

    Illustres animæ, Divum genus, inclyta bello
    Nomina, Borbonidæ, grandi quos Gallia partu,
    Victores populorum, et regum exempla, creavit :
    Si nunc magnanimi decus immortale nepotis
    Surgit in immensum, et vestris se laudibus æquat,
    Non tamen indidiæ vobis locus, ille parentum

    Quando refert factis animisque et robore dotes ;
    Vestraque, dum vincit, pars est quoque magna triumphi.
    Belgicus hos animos et inexsuperabile robur
    Nequicquam infrendens sensit Leo ; quique priores
    Luserat ante minas, vestrisque interritus armis
    Obluctari ultro gaudebat et obvius ire,
    Ille ducum seriem egregiam collectaque cernens
    Agmina, et immensam Lodoici in pectore gentem,
    Horret ad aspectum, nec jam ausus sistere contra,
    Indociles iras et colla ferocia subdit.
    Lætior hinc regni facies, hinc festa per urbes
    Pompa ; triumphales hinc templa per omnia cantus ;
    Et quariquam cum fama volat, cura maximus orbis
    Solvitur in plausus, et plausibus accinit æther,

    Nil præcone opus est, scelus est tamen alta silere
    Victoris decora, indictamque relinquere laudem.
    At neque Castalias mihi cura vocare sorores,
    Nec veteri fuerit præcordia pandere Phœbo.
    Tu mihi, tu regum Rex optime, maxime regum,
    Numen eris, Lodoice, mihique in carmina sacrum
    Ardorem, et dignos cœptis ingentibus ignes
    Adjicies, magnus lucis pater, unicus uni
    Qui satis es mundo, nec sis quoque pluribus impar.
    Jam procul hungaricos tutatus milite fines,
    Lunigeras acies Lodoicus et impia signa
    Fuderat, extremasque Asiæ tremefecerat oras.

    Jam quoque et infestum Libycis prædonibus æquor
    Solverat, et priscis America incognita sæclis,
    Fœderis immemores Anglos, opibusque feroces,
    Et sociis Gallum meditantes pellere terris,
    Viderat ejectos laceris fluitare per undas
    Puppibus, aut cæsis insternere littora turmis.
    His super attonitum dolor anxius urit Iberum,
    Ingentesque premunt curæ : quippe ultima longe
    Terrarum, et Phœbo sub utroque jacentia cernens
    Regna metu trepidare, pari quoque corda moveri
    Sentit et ipse metu, quoties probrosa recursat
    Fraus innexa toro, rigidæque injuria pacis,

    Junctaque crudeli regum connubia pacto.
    Hunc adeo suspensum animi, rebusque timentem
    Agnovit Lodoicus, et ardua mente volutans
    Consilia, invictis ut conjugis ultor in armis
    Hannonios tractus brabantinosque reposcat.
    Ne tamen, ut quondam, solito sibi callidus astu
    Consuleret, Martemque dolo præverteret hostis,
    Objicit insuetas Hispanis artibus artes,
    Occultumque struit belli sub imagine bellum.
    Ergo viros ad signa vocat : concurritur, oti[11]
    Emicat impatiens et corripit arma juventus.
    Ipse palatinas acies prætoriaque inter
    Vexilla, et lituum sonitus, fremitusque tubarum,

    Sole sub ardenti, planisque in vallibus, heros
    Informat resides animos, discitque docendo
    Durum opus, et ficto mentem certamine pascit.
    Nunc jubet effusis aciem decurrere campis,
    Nunc stare, aut junctis glomeratam incedere turmis ;
    Nunc spatiis mixtos equites concordibus ire,
    Aut flexos sinuare orbes, gradibusve repressis
    Exsultare solo, aut subitos obvertere vultus ;
    Mox quoque direptis per prona, per alta volare
    Ensibus, aut certas tubulis explodere mortes,
    Pæecipitesque rapi, cursuque lacessere nimbos.
    Inde locum fossis munire, et cingere vallo
    Castrorum juvat in morem ; juvat addere castris
    Excubias, vigilesque solo traducere noctes,
    Aut duro tenues in cespite carpere somnos.

    Macte istis, Lodoice, animis, perge omine tanto
    Et tibi, et optatas Gallis portendere lauros.
    Nunc veteres pompas ludorum in prælia mutas,
    Et rigidum inducis læta in spectacula Martem :
    Mox quoque cum fines Morinos, et Nervia vero
    Mœnia Marte petes, fortemque urgebis Iberum,
    Sic bellum tibi ludus erit, facilesque sequetur,
    Quo tuleris te cumque, comes victoria nutus.
    Audiit ex alto Pyrenes vertice festos
    Ludentum strepitus, pompamque Hispania vidit ;
    Defixisque oculis mirata, tot horrida pilis
    Agmina, tot cristas galeis fluitare comantes,
    Tot rutilis phaleras vestesque nitere lapillis,
    Tot lætos in equis juvenes : « Et luditur, inquit ;
    Hæc sibi depositis Gallus facit otia curis. »

    Luditur, at magnos parient hæc otia motus ;
    Nec vanum, ludi pars magna, fatebere ludum.
    Sæpe manu virtus quid Gallica posset et armis,
    Te Justus, Justique parens ter maximus olim
    Henricus docuere : tamen licet hactenus æquo
    Te non Marte parem clades non una probasset,
    Jamdudum instantem potuisti avertere casum,
    Consilio melior. Lodoico scilicet uni
    Laus fuit hæc servanda, et magnis debita fatis,
    Consilioque manuque tuos contundere fastus.
    Nec mora, jam litui, jam rauco tympana pulsu
    Insonuere : volat spe fervidus, arvaque Gallus

    Flandrica, et Hannonias ruit improvisus in arces.
    Jamque adeo ingenti fremere undique visa tumultu
    Belgica, jam patrii circum rugire leones,
    Arrectisque horrere jubis : simul alta fragore
    Misceri nemora, et tristes ululare cavernæ,
    Flandrigenumque procul Scaldis regnator aquarum
    In mare præcipites urgere fugacior undas.
    I modo, regales, Hispania, despice ludos.
    Sic, trifidos ignes et ineluctabile telum
    Si quando iratus mundi arbiter, humida rumpens
    Nubila, subjectas hominum molitur in arces,

    Ipse prius tremulis densa in caligine ludit
    Fulguribus, volucrique polum circumvolat auro ;
    Mox rutilum per iter, rapidisque micantia flammis
    Erumpit spatia, et magno ruit impete fulmen ;
    Vim tamen haud minuit splendor, nec inania jactat
    Murmura : gens longe tremit omnis, et ardua fumant
    Silvarum, ac subito dissultant saxa fragore.
    Talis ades, talem te præcipit omne timetque
    Vulgus, et insueta fugiunt formidine cives.
    Passim solæ arces, passim indefensa patescunt
    Oppida : tuque adeo, Bassæa, ingentibus olim,
    Mœnia dum starent, repetita laboribus ; et tu
    Dives agro, dives pecorum, Armentaria, cultu ;

    Tu quoque tu Carli de nomine dicta, novoque
    Arx fabricata opere, et valido molimine structa :
    Te, quanquam aggeribus vallatam et flumine circum
    Defensam gemino tela omnia et omnia contra
    Fulmina Gallorum, nil fulminis indiga telive
    Una nec aspecti Regis fortuna subegit.
    Atque utinam hunc morem et vestra hæc exempla secutæ
    Cessissent reliquæ, nec justa in sceptra rebelles
    Indignum hoc propria nomen sibi clade parassent.
    At procul ejectos vallis Furnensibus hostes,
    Et domita video fractos excedere Berga.

    Tornacique arces, Musisque dicata Duaci
    Mœnia, et antiquis Curtracum nobile bellis ;
    Aldenaram, cultæque caput regionis Alostum
    Borbonium eversis victorem admittere portis.
    Insuper et victo captivum flumine Lisam,
    Mœrentemque Sabin nequicquam, injectaque Scaldi
    Vincula, perruptosque aditus, et in intima facto

    Limite divisos per mille pericula Belgas.
    Teque adeo denos vix expugnanda per annos,
    Ilios ut quondam, Superum labor, acribus intus
    Fœta viris pariter, largoque interrita cinctu
    Insula, te decimus transmissam in Gallica vidit
    Jura dies, et plura ingens hic præstitit heros
    Quam potuit junctis affingere fabula Divis.
    Hæc rerum series, nullique parata priorum
    Gloria, nec seris æquanda nepotibus olim :
    Indomitum Flandros genus, et firmissima claustris
    Oppida, quæ nec opum vis magna, operumve ducumve,
    Nec proavi domuere, nec excita finibus omnis
    Gallia adhuc, non mille rates, non mille carinæ,
    Frænare imperiis, armisque metuque subacta
    Præcipiti ad nutum sibi posse adjungere bello,
    Herois labor ille fuit. Sed nec mihi cuncta

    Fas canere, aut meritas procerum decurrere laudes,
    Nec magnos modulis æquare jacentibus ausus.
    Nam quid ego egregiam virtutem et digna Philippi
    Cœpta loquar ? Quid prima inter discrimina, lucis
    Contemptorem animum ? Quid apertam in dona, paremque
    Muneribusque armisque manum ? tum si qua vocarent
    Prælia, si qua sonum procul auribus æra dedissent,
    Quam stare indocilis, quam se subducere tardis
    Callidus agminibus sociorum, avidusque negata
    Protinus effræno tentare pericula cursu ?
    Talis in effusas Brugensi limite turmas
    Infestum per iter sese incomitatus agebat,
    Victrici impatiens sibi tempora cingere lauro ;
    Cinxissetque adeo, tantæ nisi cladis honorem
    Victoremque tibi tantum, Marcine, negassent,

    Et conjuratam properassent fata ruinam.
    Quid memorem reliquos ? pulchræque cupidine famæ
    Flagrantem assidue, et non inferiora sequentem
    Enguineum, fervens et inexsaturabile pectus ?
    Ut belli exsultans fremitu, rapidumque fatigans
    Alipedem, mediis in cædibus, asperaque inter
    Tela, necem stricto Belgasque lacesseret ense ?
    Ut fractæ fugerent acies, dextraque tonantem
    Fulminea, procul arma super lateque jacentum
    Corporaque et calido spumantes sanguine cristas,
    Bellicus immissis impelleret ardor habenis,
    Et patrem soboles invictum invicta referret ?
    Quid nunc ut paribus Longavillæa propago

    Carolus incensus stimulis, et utroque parentum
    Sanguine, spem gestis, sensu præverterit annos,
    Exsequar ? utque manu prostrato ex hoste tropæa
    Vi raperet, raptisque viam sibi rumperet armis ?
    Sed neque tot procerum virtus insueta ducumve,
    Sive senum labor et Martis constantior usus,
    Seu juvenum Lodoici animis audacia certet.
    Scilicet ex illo vigor omnibus, omnibus idem

    Impetus, una omnis simili succenditur igne
    Miles, et in medias tanto mit auspice mortes.
    Nempe alii, castris procul armorumque tumultu,
    Secessu in placido atque aulæ penetralibus aureis
    Bella gerant reges, lentique ingloria ducant
    Otia, pugnarum docti describere leges,
    Et sedare suas alieno sanguine rixas.
    Juverit hoc alios. Tibi famam extendere factis,
    Exemplo resides urgere, offerre pruinis
    Ardorique caput, rigido sudare sub ære,
    Insomnes vigilare inter tentoria noctes,
    Aut vallum lustrare in equo ; tum, sicubi portis
    Ingruit, aut subitis petitur conatibus hostis,
    Crebra licet cædes, licet undique plurima telis
    Affluat, et volucri mors grandine verberet aures,
    Impavidum volitare, animos accendere dictis,

    Mercarique tuas proprio discrimine lauros :
    Hic tibi mos fuerit, Lodoice. His artibus omne
    Borbonidum genus : et generis caput, additus aris,
    Bisque Arabum quondam domitor, Lodoicus, et ingens
    Augusti titulo ac belli virtute Philippus
    Floruit. His oculis, hoc vultu, hoc impete fertur
    Suetus in adversas aciem deducere gentes,
    Oppida dum quateret Flandrorum, aut sanguine tinctus,
    Illustres faceret Germana clade Bovinas.
    Vos mihi nunc, Franci proceres, assuetaque regi
    Pectora, vos omni fortes ex ordine turmæ,

    Dicite, quis menti sensus fuit, aut quibus illum
    Spectastis victorem oculis, cum culmine ab alto
    Cederet immixtus turbæ, communibus omnes
    Vocibus affari, atque operum laudare laborem,
    Vulneraque et sævos dictis mulcere dolores,
    Officiis certare, alios et vincere lætus ?
    Vos modo felices, tanto victore subacti,
    Flandrigenæ, quibus ipsa minus victoria clade
    Profuerat, longamque ferent hæc bella salutem.
    En erit ut, vestras postquam Bellona per urbes
    Sæviit, et patrio longum satiata cruore est,
    Curarum expertem liceat decurrere vitam,
    Et sperare aditus, et principis ora tueri.
    Non ita quos vobis peregrino e littore mittit
    Hispanus dominos : non hanc sibi fingere mores
    Ad speciem soliti, similesque capescere ritus ;
    At secum assidue veterum decora alta parentum
    Et grandes titulos magni versare sub umbra

    Nominis ; aut sese communi prodere luci
    Sicubi contigerit, truculento incedere vultu,
    Cuncta supercilio suspendere, torva tueri,
    Et populo præbere sui spectacula gressus.
    Sed rigor hic tandem tumidique ferocia fastus
    Regis ad aspectum tenues vanescit in auras.
    Hunc adeo effuso devicta per oppida plausu
    Sæpe incedentem vidistis, et ordine longo
    Ad sacra ducentem victrices templa catervas.
    Non illum, laurisque gravem Tyrioque superbum
    Murice, purpurei compta cervice jugales
    Quadrijugo in curru duxere, nec agmina pone
    Captiva implexis visa hic evincta catenis
    Horrendos inter ferri reptare sonores.

    Non titulos, captasque urbes, non diruta ferro
    Mœnia, non victis mœrentia flumina ripis,
    Fusaque squalenti rerum simulacra metallo ;
    At neque prædam oculis ingentem, aurique talenta,
    Spiculaque, et clypeos, ensesque, aggestaque signa,
    Et rigidis appensa ducum spolia aurea truncis,
    Ostentare labor. Veteres hæc pompa Metellos,
    Hæc Paulos deceat, Mariosve, et quotquot iniquo
    Roma duces plausu celsa ad Capitolia duxit,
    Prædatrix populorum. Alio se more videndum,
    Cultu alio gentis decuit præbere parentem.
    Ergo animos placido visus sibi subdere vultu,
    Indignaque novos formidine solvere cives.

    Undique festivo fremit omnis Belgica pubes
    Murmure : composito pars labra natantia risu,
    Pars lætos oculorum ignes, et utrinque fluentem
    Erecta cervice comam ; pars ardua frontis
    Miratur decora, et cultu sub simplice laudat
    Regales habitus, majestatemque serenam ;
    Cuncti animum flecti facilem plebisque patentem
    Questibus, et recta librantem singula lance,
    Et memorant ultro, et tanto sibi vindice gaudent.
    Sic, ubi post longas hiemes insanaque Cauri

    Flamina, et excussos gelidis e nubibus imbres,
    Sol nostrum radiis afflat propioribus orbem,
    Ipsa licet primo tellus animata calore
    Æstuet in nebulas, reducique obsistere Phœbo,
    Et lucem undanti tentet prohibere vapore,
    Sol tamen obstructas densa caligine nubes
    Discutit erumpens, et amico lumine vernas
    Undique spargit opes : donis tum victa recludit
    Terra sinus, et amat quos ante refugerat ignes,
    Victoremque volens, vel dum superatur, adorat.
    Perge, age, sic victas, regum fortissime, gentes
    Adjicere imperio, sic magnum in sæcula nomen
    Mittere, sic teneram virtutis imagine prolem

    Excolere, inque alias crescentem accendere lauros.
    Ipse in cuncta puer jam nunc comes ire pericla,
    Et propriis Belgas tibi subdere miles in armis
    Gestiret : pudor est, castris dum tota juventus
    Emicat, imbelli lentum nutricis in umbra
    Indecores ludos, et inania ludere bella ;
    Necdum æquas animis vires, annosque morantes
    Increpat. Ah quantus Martis quondam ibit in artes,
    Quantus honos tibi, Galle, tibi quot, Ibere, labores,
    Cum firmata parem genitori hunc fecerit ætas,
    Gallicaque immensis implebit fata triumphis !
    Vos superi prolemque patri prolique parentem
    Servate interea ; neve hunc, dum jura tuetur,
    Et pleno invadit leti discrimina passu,
    Invida sors nobis, aut bellicus auferat ardor.

    Carolus de la Rue, Soc. Jesu.


  1. Si insupportable, mais à tort, dans l’édition de Lefèvre et dans quelques autres.
  2. Voyez ci-dessus (p. 175 et 186) les pièces LXV et LXVIII, et la notice qui précède le présent avis au Lecteur.
  3. Le lion est, comme on sait, l’emblème héraldique de la Belgique. Aujourd’hui le mot belgique n’est plus adjectif. Voyez le Lexique.
  4. Traduction des devises de Louis XIV : unicus uni et nec pluribus impar, insérées textuellement dans les vers du P. de la Rue.
  5. Le 1er août 1664, les Allemands, commandés par Montecuculli, remportèrent sur les Turcs la victoire décisive de Saint-Gothard, à laquelle six mille Français, sous les ordres de la Feuillade, prirent une très-grande part.
  6. Le duc de Beaufort battit deux fois la flotte des corsaires barbaresques, et s’empara, le 22 juillet 1664, de Gigeri dans la régence d’Alger.
  7. Le 26 janvier 1666, Louis XIV déclare, à titre d’allié des Hollandais, la guerre à l’Angleterre. Le 20 avril les Français battent les Anglais dans l’île de Saint-Christophe (une des Antilles), et le 9 mai M. de la Barre défait la flotte anglaise qui tenait l’île bloquée. Cette guerre se termine par la paix signée à Bréda le 31 juillet 1667.
  8. La paix des Pyrénées, conclue le 7 novembre 1659.
  9. Allusion à la renonciation de Marie-Thérèse à tous biens et successions de Leurs Majestés catholiques, renonciation qui n’avait été stipulée que sous condition d’une dot de cinq cent mille écus dont les trois termes fixés par le contrat étaient plus qu’échus, ce qui faisait dire : « Point de payement, point de renonciation. »
  10. Il s’agit ici des revues et exercices militaires de l’an 1666 et du commencement de l’an 1667, auxquels Corneille a aussi fait allusion dans sa tragédie d’Attila (acte II, scène v), qui est, comme le poëme des Victoires, de l’année 1667. Voyez tome VII, p. 131 et 132.
  11. L’édition de 1667, que nous suivons, et celle de 1669 donnent ici omnis ; mais nous n’hésitons pas à y substituer la leçon de 1688 : oti pour otii ; l’adjectif impatiens du vers suivant a besoin d’être déterminé par un régime.
  12. Au sujet d’un de ces campements, nous lisons dans la Gazette du 23 avril 1667 : « Le Roi, qui par un continuel exercice entretient ses troupes en un état qui les puisse rendre capables de servir Sa Majesté dans les occasions, ayant donné les ordres nécessaires pour les faire camper dans la plaine d’Ouilles, entre Maisons et ce château (de Saint-Germain-en-Laye), s’y rendit hier, accompagné de quantité de seigneurs. »
  13. Var. Mais tu mettras au jeu plus que tu n’imagines.
    (Caroli de la Rue ldyllia, 1669. — Œuvres diverses publiées par Granet.)
  14. Var. Et de ce dernier vol si tu ne te repens.
    (Ruæi Carmina, 1688.)
  15. Var. Son père et son aïeul t’ont fait voir que la France.
    (Carmina, 1688.)
  16. Le Roi partit de Saint-Germain avec la Reine le 16 mai 1667 et arriva le 20 à Amiens. Voyez la Relation de la guerre de Flandres en l’année 1667, à Paris, chez. Claude Barbin, M.DC.LXVIII. Le privilége nous apprend que cet ouvrage est « de la composition du sieur de Vandeuvres. »
  17. Climat, dans le sens de région, contrée. — Ce qui est dit ici des lions se rapporte encore aux armes de la Flandre, au « lion belgique, » comme Corneille s’est exprimé plus haut (vers 12). Dans les vers latins du P. de la Rue, il y a patrii…leones.
  18. Var. Et ce feu qui s’échappe et brille à tous moments,
    Semble prêter au ciel de nouveaux ornements.
    (Idyllia, 1669). — Œuvres diverses.)

  19. Var. Il abandonne aux tiens ses murs sans défenseur.
    (Carmina, 1688.)
  20. On lit dans la Gazette du 4 juin 1667, sous la rubrique d’Arras, le 30 mai 1667 : « Le 12 de ce mois, les sieurs d’Artagnan et des Fourneaux arrivèrent ici… Le lendemain ils décampèrent avant le jour, et marchèrent du côté d’Armentières pour favoriser les troupes commandées de ce côté-là, avec ordre de se saisir de cette place : ce qu’ils exécutèrent le 24, sans aucune résistance de la garnison, qui étoit de soixante hommes, lesquels se sauvèrent, à la réserve de leur commandant, qui fut fait prisonnier : les Espagnols ayant commencé de la démolir, ainsi que la Bassée, Condé, Saint-Guilhain, et plusieurs autres places, qu’ils ont abandonnées pour s’appliquer mieux à la défense des plus importantes. »
  21. Charleroi se rendit à Turenne le 2 juin.
  22. « Avec des mines il (Castel Rodrigo, qui commandait à Charleroi) fit sauter tout le corps de la place, et on la trouva mieux rasée que peut-être jamais forteresse l’ait été, à l’exception toutefois des dehors qui demeurèrent entiers, et qui parurent encore si beaux aux yeux du Roi qu’il vouloit la faire rétablir. » (Relation de la guerre de Flandres, p. 33.)
  23. Charleroi devait son nom à Charles II, roi d’Espagne, frère de Marie-Thérèse.
  24. Bergues-Saint-Vinox, en flamand Berghen, fut pris le 6 juin 1667, et Furnes seulement le 12. La Rue et Corneille suivent assez bien l’ordre des temps, non pourtant, on le voit, au point d’encourir le reproche de Boileau, qui a précisément en vue les poëtes qui chantèrent les victoires de 1667 et 1668, lorsqu’il dit dans l’Art poétique (chant II, vers 73 et suivants) :

    Loin ces rimeurs craintifs dont l’esprit phlegmatique
    Garde dans ses fureurs un ordre didactique ;
    Qui chantant d’un héros les progrès éclatants,
    Maigres historiens, suivront l’ordre des temps.
    Ils n’osent un moment perdre un sujet de vue :
    Pour prendre Dole, il faut que Lille soit rendue ;
    Et que leur vers exact ainsi que Mézerai,
    Ait déjà fait tomber les remparts de Courtrai.

  25. Tournai fut pris le 26 juin 1667. Douai se rendit le 6 juillet ; Courtrai, le 18 ; Audenarde, ou plutôt Oudenarde, le 31 ; Alost, le lendemain 1er août.
  26. Il y avait à Douai une célèbre université, fondée en 1572 par Philippe II, roi d’Espagne. Cet endroit est plus clair dans le P. de la Rue, qui dit : Musisque dicata Duaci Mœnia.
  27. Telle est l’orthographe des Idyllia et des Carmina ; l’édition de 1667 porte : l’Isle.
  28. Lille se rendit au Roi en personne le 27 août 1667.
  29. Le P. de la Rue a nommé un peu plus haut la Sambre et l’Escaut (Sabis, Scaldis).
  30. Philippe le Bel conquit le comté de Flandre, puis le perdit. Voyez aussi ce qui est dit plus loin de Philippe Auguste, aux vers 253-258.
  31. Philippe d’Orléans, chef de la seconde maison d’Orléans-Bourbon, frère unique de Louis XIV, né en 1640 à Saint-Germain-en-Laye, mort en 1701.
  32. Le comte de Marsin et le prince de Ligne, qui venaient au secours de Lille, furent battus par Créquy et Bellefonds.
  33. Henri-Jules, duc d’Enghien, né en 1645, mort en 1709, fils du grand Condé.
  34. Charles-Paris d’Orléans, né en 1649, d’abord comte de Saint-Paul et en 1671 duc de Longueville, fut tué au passage du Rhin en 1672 (voyez pièce LXXXI, vers 346-350). Il était fils de la célèbre duchesse de Longueville, sœur du grand Condé. Par son père il descendait du fameux Dunois, bâtard d’Orléans.
  35. On lit dans la Relation (p. 210 et 211), à la date du 23 août : « Il y eut quelques volontaires blessés… entre autres le comte de Saint-Paul au bras… mais…assez légèrement. »
  36. Voltaire a dit au IVe chant de la Henriade, vers 128 :
    La peine a ses plaisirs, le péril à ses charmes.
  37. Ainsi dans les éditions originales. On trouve dans le Dictionnaire françois-anglois de Cotgrave, publié en 1611, les trois formes : Soldan, souldan et soudan. Granet a mis Soudan.
  38. Othon IV, de Brunswick, empereur d’Allemagne, vaincu par Philippe Auguste à Bouvines (entre Lille et Tournai), le 27 juillet 1214.
  39. Ces quatre vers sur Henri IV sont une addition de Corneille. Il n’est pas ici parlé de lui dans la pièce latine.
  40. Dans les Œuvres diverses : « Pourriez-vous en avoir. »
  41. « Le Roi… marcha dès le dimanche (28 août) après midi, n’ayant fait que passer au travers de Lille, et n’y étant demeuré qu’autant de temps qu’il en fallut pour chanter le Te Deum. » (Relation, p. 137.)
  42. Var. Comme les Marius, les Métels, les Émiles.
    (Ruæi Carmina, 1688.)
  43. Voyez ci-dessus, p. 102, vers 6 ; tome IV, p. 75, vers 1155 ; tome VIII, p. 473, vers 4390 ; et le Lexique.
  44. Ce n’est pas ici la traduction du latin du P. de la Rue, c’est la reproduction presque textuelle d’un vers des Triomphes de Louis le Juste, qui, ainsi que nous l’avons remarqué ci-dessus, p. 108, note 3, était lui-même un souvenir d’un vers latin de Corneille.
  45. Le succès, l’issue. Voyez le Lexique.
  46. Les onze vers latins qui correspondent aux vers 323-332 se trouvent aux pages 5 et 6 du tome III de la troisième édition des Œuvres de Santeul publiée en 1729. Ils sont intitulés : In hæc verba S. Augustini Deum alloquentis : « Quis mihi dabit acquiescere in te ? Quis mihi dabit ut venias in cor meum, et inebries illud, ut obliviscar mala mea, et unum bonum meum amplectar te ? » (Augustini Confesslones, lib. I, cap. v.) Ensuite viennent les vers français avec ce titre : Sur la conversion de S. Augustin. Sur ces paroles de S. Augustin (au premier livre de ses Confessions, chapitre v), traduction par Pierre Corneille : « Qui me fera la grâce, Seigneur, de me reposer en vous ? Qui me fera la grâce de vous voir venir dans mon cœur, et l’enivrer du vin céleste de votre amour ? afin que je perde le souvenir de mes maux, et que je vous embrasse de toutes les puissances de mon âme, comme mon seul et unique bien. » — Santeul est-il le véritable auteur des onze vers latins, et le P. de la Rue les a-t-il insérés plus tard dans son poëme, ou bien, ce qui est beaucoup plus vraisemblable, a-t-on trouvé dans les papiers de Santeul un simple rapprochement entre ces vers du P. de la Rue et le passage de saint Augustin, rapprochement qui a causé cette confusion ? Cela demeure incertain et n’importe guère d’ailleurs pour l’histoire du texte de Corneille. Contentons-nous de signaler ici les différences que présentent dans l’édition de Santeul les dix vers de notre poëte, différences qui, comme on va le voir, sont plutôt des fautes que des variantes. On lit au vers 325 : revoit, au lieu de refait ; au vers 326 : ses nuages, au lieu de cent nuages ; au vers 327 : ses vapeurs, au lieu de ces vapeurs ; au vers 329 : les fruits, au lieu de des fruits ; enfin au vers 330 : se voyant aussi-tôt enrichie, au lieu de se trouvant enrichie aussitôt. Les vers latins offrent quelques différences du même genre, qu’il n’entre point dans notre plan de relever.
  47. Voyez les portraits de Louis XIV et du Dauphin faits en 1667 par Corneille, sous les noms de Mérovée et de son fils, dans la tragédie déjà citée d’Atiila, tome VII, p. 131 et 132.