Poissons d’eau douce du Canada/Poissons

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C. O. Beauchemin & Fils (p. 1-38).

DES POISSONS




DESCRIPTION GÉNÉRALE


Les poissons proprement dits sont des animaux organisés pour vivre exclusivement dans l’eau. Ils occupent le dernier rang dans la classe des vertébrés : ils ont des nageoires au lieu de membres ; ils sont ovipares, et présentent toutefois une circulation double ; leur respiration ne s’opère que par l’intermédiaire de l’eau.

Le squelette, osseux chez la plupart, est mou ou cartilagineux chez certaines espèces : la raie, l’esturgeon, la lamproie. C’est ainsi, qu’en histoire naturelle, on passe graduellement des animaux qui ont un squelette à ceux qui n’en ont pas, des vertébrés aux invertébrés. Chez les poissons, la tête et le corps forment une ligne continue.

Les nageoires sont en quelque sorte des rames avec lesquelles le poisson se meut dans l’eau. Ces nageoires, chez les acanthoptérygiens, consistent en une charpente osseuse recouverte de peau.

Le poisson vient d’un œuf.

Les œufs des poissons sont dépourvus de coquilles. La reproduction de ces animaux, par les œufs, les rapproche des reptiles ; mais il existe chez ces derniers, une supériorité par la forme de l’œuf et par le mode de fécondation.

Les poissons n’ont que la moitié droite du cœur des mammifères et des oiseaux, la moitié à sang veineux, c’est-à-dire le ventricule droit et l’oreillette droite. Chassé par le cœur, le sang se rend dans les branchies, d’où il revient par un tronc artériel placé sous l’épine dorsale, lequel faisant office du ventricule gauche du cœur des animaux à sang chaud, envoie le sang dans toutes les parties du corps, d’où les veines le ramènent au cœur.

De chaque côté de la tête des poissons existe une ouverture nommée ouïe, recouverte par une sorte de couvercle ou opercule : c’est là que se trouvent les branchies, espèce de crible en feuillets arqués ou en lames minces formées d’un tissu de vaisseaux remplis du sang envoyé par le cœur. L’eau avalée par le poisson passe à travers les branchies, et sort par les ouïes. L’air, dissous dans l’eau, vient ainsi se mettre en contact avec le sang. Donc, bien que vivant dans l’eau, les poissons respirent de l’air. Si l’on place un poisson dans une eau qui a bouilli, et qui, par conséquent, est purgée d’air, il meurt. Mais, comment se fait-il qu’il meure, au sortir de l’eau, lorsqu’il a de l’air ? C’est que les branchies ont besoin d’humidité pour fonctionner, et lorsqu’elles sont sèches, le poisson ressemble à une personne sans poumons.


DE LEUR REPRODUCTION


Tout poisson naît d’un œuf, mais tous les œufs des poissons n’arrivent pas à maturité ; et c’est bien heureux, car la mer et les eaux douces en seraient infestées, leur nombre se comptant par des mille et des millions.

Les œufs sont jetés par les femelles à certaines époques de l’année variant parfois beaucoup, suivant les espèces de poissons, et quelque peu, parmi les mêmes espèces, suivant la latitude, le climat, les accidents des saisons, la fonte des neiges, le charroi des glaces, les orages, les surprises causées par des obstacles, des chemins interrompus, des cours d’eau déviés, des ombrages disparus, et d’autres circonstances qui déguisent à leurs yeux la patrie, le berceau, et leur font renoncer à la parturition destinée à assurer la perpétuité de leur race.

Les ovaires des femelles ont une position et une forme analogues à celles des laites chez les mâles : ils se remplissent périodiquement d’œufs presque ronds, qui, en grossissant, compriment les organes qui les contiennent ; les femelles cherchent alors à s’en débarrasser, et se frottent ordinairement le ventre contre les pierres et le fond de l’eau, pour faciliter leur sortie : de là viennent, dit-on, les expressions de frai, frayer (fricare, frotter). La ponte achevée, les mâles, attirés sans doute par l’odeur ou la saveur des œufs, viennent les féconder, en répandant dessus leur laite.

La Nature, prévoyante en tout, a donné aux poissons qui fraient en hiver, des œufs plus lourds que l’eau, afin qu’ils puissent aller au fond chercher une température égale et un abri contre les glaces et les crues. Au contraire, les œufs des poissons qui fraient en été surnagent la rivière, sont portés au loin sur les eaux libres de glaçons, et s’attachent aux rivages, aux herbes qui poussent à ce moment, et y reçoivent l’influence de l’air, et de la lumière surtout, qui accélère le moment de l’éclosion.

Les œufs sont entourés d’une enveloppe mucilagineuse extrêmement mince et presque invisible. En quelques secondes, cette enveloppe se gonfle au contact de l’eau, et les spermatozoïdes de la laitance ne peuvent plus parvenir à la substance de l’œuf. La fécondation, en ce cas, n’a pas lieu. Dès que la matière gluante qui enveloppe les œufs est gonflée par l’eau, la fécondation ne s’opère plus. C’est grâce à l’instinct particulier qui pousse, à l’époque du frai, les mâles à suivre les femelles, que la race des poissons ne disparaît pas du monde. Cependant, des œufs recueillis dans le ventre d’une truite, morte depuis trente-six heures, ont été favorablement fécondés, par la méthode artificielle, bien entendu.

En réunissant un certain nombre d’œufs, les pressant jusqu’à les briser, en les arrosant de laitance, au moment propice, on est arrivé à produire des petits monstres curieux et intéressants au possible, à deux, trois et quatre têtes, des croisés se tenant par le ventre, ayant deux têtes et deux queues, des jumeaux en forme d’équerre, d’hélice, ayant vie et force, mais fatalement impuissants à se reproduire. Le cyprin doré de la Chine, le poisson de la Pompadour, nous en fournit de fréquents exemples, à Montréal même, dans les vitrines de nos apothicaires.


Fig. 1. — Œufs et alevin du saumon, avec vésicule ombilicale.


Au moment où l’œuf vient d’être fécondé, son contenu se trouble et devient plus opaque ; mais peu à peu la transparence primitive reparaît, et il reste à l’intérieur une petite tache circulaire qui n’y était point avant la fécondation. Cette marque n’est cependant pas un signe absolu de la fertilisation de l’œuf, car elle se développe aussi, mais plus tardivement, dans ceux qui sont restés stériles.

Bientôt, une ligne arquée se fait voir dans l’œuf fécondé, c’est le cœur du petit poisson en germe, dont on distingue très bien, à la loupe, la tête avec ses petits yeux noirs, et la queue. Les mouvements de la queue sont très visibles et servent à déchirer l’enveloppe quand le jeune animal a acquis les forces voulues pour cela.

À ce moment, l’alevin est muni d’une vésicule ombilicale, et sort enveloppé d’une membrane qu’il brise pour être tout à fait libre.

La vésicule ombilicale des poissons naissants est quelquefois intérieure, dans l’abdomen, comme chez la carpe ; quelquefois extérieure, comme chez la truite. Cette petite vessie fournit à l’animal la nourriture nécessaire à la vie, pendant un temps variable, d’après les espèces : ainsi la carpe absorbe en 15 ou 20 jours sa nourriture ombilicale, tandis qu’il en faut de 35 à 50 à la truite et au saumon pour arriver à cette résorption.

Il est probable que, même pendant le temps de résorption, le poisson absorbe les animalcules microscopiques que charrie l’eau dans laquelle il est plongé.

Le temps qui s’écoule entre la fécondation de l’œuf et le moment où le petit poisson brise sa dernière enveloppe protectrice, varie suivant les espèces, de 8 jours à 30, 40, 50 et même 60 jours.

L’époque de la reproduction est un moment de perturbation dans les habitudes des poissons ; ceux qui vivent dans les eaux profondes se rapprochent des rivages, afin que leurs œufs jouissent de l’influence bienfaisante de la lumière et de la chaleur. Plusieurs espèces marines remontent très haut les cours d’eau, sans doute dans le même but ; d’autres, enfin, qui habitent constamment les eaux douces, quittent les courants, et vont chercher dans les lacs et les étangs une plus grande tranquillité.


LE TEMPS DU FRAI


Au point de vue purement scientifique, le temps du frai des poissons n’est qu’une simple question de curiosité ; mais, du moment que la prohibition de la pêche en certaines saisons devient un principe admis dans nos lois, cette question revêt une importance économique assez sérieuse. Il importe d’établir, d’après des observations locales, à quelle date approximative les poissons que la loi entend protéger, dans l’intérêt général, commencent à faire leur ponte, et à quelle date ils la finissent. C’est une chose difficile à déterminer dans notre pays du Canada, où nos grands cours d’eau, nos rivières, nos lacs ont été livrés à la navigation, à l’industrie, à de multiples exploitations agricoles, forestières, minières et de transport, qui, de toute nécessité, ont dû modifier les habitudes des poissons familiers, les détourner des eaux natales, et amoindrir des sources de production naturelle, d’une manière imprévue. Encore faut-il essayer de savoir à quoi s’en tenir à ce sujet, afin de rattraper une partie de ce que nous avons perdu, et semer ailleurs, dans des eaux nouvelles, pour y récolter de quoi compenser nos pertes, avec des chances de plus grands profits. Nous pourrons ainsi tirer avantageusement parti des innombrables lacs et cours d’eau disséminés dans les Laurentides et au delà, dont une protection intelligente et une culture éclairée feraient une source de richesse publique inépuisable. Bien connaître la nature du fond, la profondeur des eaux d’un lac, le nombre des cours d’eau, des ruisseaux qui s’y déversent, les ombrages qui l’entourent, est chose de première nécessité pour y semer les espèces qui pourront y prospérer. Une fois le lac peuplé comme il convient, le temps du frai devient l’objet d’une étude attentive pour chaque lac, suivant sa latitude, son altitude, l’exposition, la température de ses eaux. Un lac alimenté par des rivières de cours lent et long conservera ses eaux froides plus longtemps qu’un lac qui ne reçoit que de petits cours d’eau. Le plus ou moins de profondeur de la masse des eaux exerce une influence analogue. D’autres circonstances qui ne peuvent être connues que par des observations répétées expliqueront, tantôt la hâtivité, tantôt le retardement de la ponte et de l’éclosion des œufs. Prenez pour exemple un poisson de valeur, et bien connu, l’achigan. Ce poisson dépose ses œufs dans un nid de gravier, en forme d’assiette, à une profondeur variant de trois pieds à un pied et demi ; les œufs déposés à la plus faible profondeur éclosent invariablement les premiers. Dans le même lac, il y aura une différence de plusieurs jours dans l’éclosion, suivant l’exposition des œufs à la lumière et à la chaleur du soleil. Les vieux couples seront plus réguliers et plus hâtifs dans leur ponte, que les jeunes à leur première parturition. En sorte qu’il importe de s’enquérir minutieusement des circonstances de lieux, de latitude, de hauteurs, de la condition des eaux, de la taille et des mœurs d’un poisson, avant de fixer l’époque du frai dans un but de protection effective.

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TABLEAU GÉNÉRAL DES CIRCONSTANCES DU FRAI
des principaux poissons d’eau douce de la province de Québec.
NOMS des POISSONS. FRAI. ŒUFS. OBSERVATIONS.
ÉPOQUE. LIEU DU DÉPOT
DES ŒUFS.
NOMBRE. COULEUR ET
GROSSEUR.
ABLETTE commune mai et juin Sur plantes aquatiques, en eau douce. Prodigieux et mêlé : de là des mulets Blancs translucides, très petits
ACHIGAN fin juin et juillet. Dans le gravier à peu de profondeur de 15 à 20,000 œufs. Petits et jaunes
ALOSE commune fin mai et juin Fleuve et rivières. Très nombreux Forts petits
ANGUILLE commune mars et avril Mers et rivières. Énorme. Forts petits Venant de la mer, les petits remontent les rivières par masses gélatineuses connues sous le nom de montée
APRON mars et avril Eau douce. ……… Petits et blanchâtres
BARS avril, mai et juin. Plages sableuses des cours d’eau. De 500,000 à 2,000,000 Vert pâle La plus grande partie du frai sert de pâture aux poissons littoraux et aux parents.
BRÊME commune mai et juin. Sur roseaux et plantes du rivage, eau douce. De 100 à 140 000 Blancs transparents Les grosses frayent avant les petites ; on remarque trois époques du frai, 8 à 10 jours d’incubation
BRÊME-ROSSE mai et juin. Sous les herbes des rivages, eaux calmes dans les rivières pourtant tagageuses. 100 000
BROCHET mai et juin. Sous les plantes aquatiques d’endroits déserts et retirés : eaux douces 150 000 Verdâtres Fraye par couples. Les œufs éclosent en 8 à 10 jours, au soleil, 15 à 18 à l’ombre.
CHEVESNE 10 au 20 mai, huit jours, pas plus Dans les petits fonds, l’eau vive des rivières Énorme Jaune, grosseur d’une graine de pavot.
CHONDROSTÔME - NASE ou MEUNIER mai et juin Sur les pierres du fond, en masses compactes, agglutinés au contact de l’eau Rivières ……… ………
CYPRINIDÉ Printemps Rochers nus dans les courants rapides ……… Jaune Œufs gros comme graine de pavot.
ÉPERLAN mars et commen-
cement d’avril.
Rivières, eaux saumâtres. Petits, et blanc-jaune De 5 à 10 jours d’incubation
ESTURGEON juin et juillet. Fleuves et rivières. 150 lbs dans les grands individus. Développement très rapide : les petits atteignent 8 pouces quinze jours après l’éclosion
GASTÉREOSTE, ÉPINOCHE
(petit poisson Castor).
mai et juin. Eaux douces et en mer, car ils habitent les deux ……… Blancs, transparents. Remontent vers les eaux vives des sources.
HUANANICHE De fin d’octobre à novembre. Gravier des petits cours d’eau. De 5 à 10,000 œufs. Jaune ambré, grosseur d’une lentille.
LAMPROIE FLUVIATILE juin. Eaux douces. ……… ……… S’accouplent par paires ou par nids, en grande réunion
LOTTE commune décembre et janvier. Bords plats des eaux coulant sur le gravier et à rivages escarpés. Eaux douces et salées De 150 à 200 000 Blancs et microscopique Frai malfaisant sinon vénéneux
MEUNIER 10 au 20 mai, 8 jours pas plus Dans les petits fonds d’eau douce. Énorme Jaune, gros comme une graine de pavot
MEUNIER argenté
(Vaudoise)
juin-juillet. Eau vive et limpide, parmi les herbages. …… Blanchâtres, très petits.
MORUE (petite ou Tommy Cod.) décembre et janvier En rivière Œufs en nombre immense.
MOXOSTOME DORÉ mai et juin. Eau douce
MULET
(poisson blanc de mer)
juillet. En mer En août les petits remontent à l’eau douce, sans aller bien au-dessus des eaux saumâtre.
PERCHE de RIVIÈRE mai et juin. Endroits peu profonds, eaux douces et calmes ; les œufs sont attachés à un corps quelconque et forment un cordon de deux à trois mètres, flottant à la surface de l’eau De 300 000 à 900 000 Gros comme une graine de pavot. Friande de ses propres œufs ; fraye à 3 ans : 8-14 jours d’incubation
SANDRE (doré) avril. Sur le sable dans les eaux tranquilles, vives et profondes des rivières. 200,000 et plus. Jaune clair. Dévore son propre frai.
SAUMON commun De novembre à février. Entre les graviers et les cailloux : eaux courantes, douces 10 000, pour une femelle de 10 lbs. Rouge, safran pâle Les œufs mettent 40 jours à éclore ; frayent de 4 à 5 ans, et dès l’état de grilse
SILURE juin - juillet Eaux douces et stagnantes, vase et boue …… …… 12 à 14 jours (Kauffm) 4 semaines (Schev.)
TRUITE commune septembre - mars, très variée, suivant température Dans les cavités ménagées avec son museau dans le gravier. Eaux douces. 1000, par chaque 2 lbs de la femelle Gros et ambrés Éclot au bout de 57-58 jours.
TRUITE DES LACS (Grey trout) Namaycush septembre, novembre. Gravier des courants les plus rapides des montagnes. Même proportion. ……… ………
TRUITE saumonée novembre, février Fonds de sable et cailloux des eaux vives et courantes. Eaux douces. Même proportion. Plus foncés. ………
VAIRON lisse juin-juillet Eaux douces. Énorme Fraye à l’age de 4 ans.


LA TAILLE ET LA FORME DES POISSONS


Si nous envisageons en traits généraux la taille des poissons, nous la verrons varier presqu’autant que celle des mammifères, et nous ne constaterons pas plus de différence entre le rat des champs et l’éléphant qu’entre l’épinochette et l’esturgeon ou les grands squales dont le requin est le tambour-major.

Quant à la forme qu’ils affectent, il est impossible de trouver dans la Nature une famille dont les membres divers offrent des différences plus tranchées comme aspect, et cependant, une plus admirable conformation commune pour vivre dans l’élément qui leur a été assigné. Le corps est plus ou moins fusiforme, plus ou moins comprimé ; le cou manquant, la tête est directement unie au tronc et en présente la continuation ; l’absence du cou est peut-être le caractère le plus universel dans la famille naturelle des poissons, et le seul devant lequel se soit arrêtée la fécondité inépuisable de formes que produit la Nature.

Tous les poissons, à peu près, ont le corps pourvu de nageoires ou de membranes dilatées et soutenues par des rayons, de forme, de grandeur et de nombre différents ; mais leur figure générale varie tellement, que pour la faire comprendre, il faut prendre des types qui réunissent les plus extrêmes dissemblances.

Le doré (sandre), le saumon, le maquereau donnent bien l’idée de la forme fusiforme, la plus ordinaire des poissons ; et cependant, chez quelques espèces toutes voisines de celles-ci, les variations sont déjà si grandes, que le corps très haut et tout à fait comprimé semble appartenir à une autre figure générique ; témoin, la brème si voisine du moxostôme doré (notre pseudo-carpe de France), le pomotis vulgaris — ou crapet mondoux, cousin germain du doré.

Il existe des poissons dont le corps se raccourcit tellement que la hauteur devient beaucoup plus considérable que la longueur ; d’autres sont tout en longueur, comme l’anguille, ou si minces, que desséchés sur une feuille de papier, ils ressemblent à un ruban ; d’autres prennent la forme sphérique, cubique, trièdre, ou à cinq ou six faces. Il y en a de plats et de ronds, de carrés et de pointus ; les uns ont des ailes, les autres des cornes ; ceux-ci, des épées en avant du museau, ceux-là, des glaives en arrière. On en trouve de serpentiformes, d’autres polygonaux ; les uns à peau lisse, les autres avec des écailles énormes, et ces appendices varient par toutes les formes et les couleurs imaginables ; enfin, nous avons les poissons déprimés, comme les raies, dont la forme dessine les lignes les plus capricieuses, et les pleuronectes, à corps comprimé, dont les yeux sont d’un seul côté de la tête, comme le flétan, la plie, et autres.


SQUELETTE DES POISSONS


Le squelette des poissons est osseux ou cartilagineux : il devient même quelquefois tellement mou qu’il se distingue à peine des parties environnantes : aussi, certains de ces animaux forment-ils le passage insensible des vertébrés aux invertébrés.

Les os du corps, même les plus volumineux, n’ont jamais de canal médullaire. Quant aux os petits et allongés, ils prennent le nom d’arêtes — du mot latin arista, barbe d’épi. La colonne vertébrale n’a pas de région cervicale ni de sacrum ; les vertèbres sont toutes articulées, et présentent, sur les deux faces, une cavité conique qui les perfore souvent d’outre en outre.

Les apophyses épineuses sont longues, et les apophyses transverses généralement moins développées. Les côtes manquent quelquefois ; le plus ordinairement elles entourent tout l’abdomen, mais ne se réunissent que rarement en dessous à un os qui représenterait le sternum. De petits stylets qui pénètrent dans les muscles partent souvent des vertèbres et des côtes, de sorte que les poissons, suivant les espèces, ont plus ou moins d’arêtes. Sur la ligne médiane du corps on remarque d’autres petits os appelés os interépineux qui sont placés à l’extrémité des apophyses et servent de base à l’articulation des rayons des nageoires ; ces rayons se distinguent en rayons épineux, formés d’un os unique ou aiguillon ; en rayons mous, composés d’une grande quantité d’articulations mobiles ; ces derniers se ramifient souvent à l’extrémité.

On est généralement loin de se douter du nombre énorme de parties osseuses qui composent le squelette des poissons. Variable, suivant les espèces et les familles, ce nombre est tel, que la carpe vulgaire renferme dans son corps 4, 386 pièces osseuses.

Il n’est pas sans intérêt de se rendre compte du nom et de la position des différents os qui composent la charpente osseuse des poissons. Nous avons choisi un exemple — en reproduisant dans la figure No 2 le squelette d’une perchaude — l’un des poissons les plus communs de nos eaux douces.


Fig. 2 — Squelette de la perche. — 1, os frontaux. — 2, os pariétal. — 3, os intermaxillaire. — 3’, os nasal. — 4, os maxillaire supérieur. — 5 et 6, pièces de l’os maxillaire supérieur. — 7, rayons brachiostèges. — 8, préopercule. — 9, interopercule. — 10, os qui rattache l’épaule au crane — 11, 12, 13, os de l’épaule et du bras. — 14, nageoire pectorale. — 15, os du bassin. — 16, nageoire ventrale. — 17, côtes. — 18, nageoire anale. — 19, vertèbres caudales. — 20, nageoire caudale — 21, nageoire dorsale à rayons mous. — 22, nageoire dorsale à rayons épineux. — 0, orbite.


DE LA TÊTE DES POISSONS


La tête des poissons se compose presque toujours du même nombre d’os que celle des autres ovipares, quoique la forme en diffère beaucoup, que les os ne se soudent pas entre eux, et que la mâchoire supérieure reste immobile comme l’inférieure pour la mastication. Chez certaines espèces, les dents sont nombreuses et multiformes, chez d’autres, elles sont remplacées par des os pharyngiens.

De chaque côté, et en arrière de la tête, se trouve un appareil osseux destiné à soutenir et à protéger les organes de la respiration. Il se compose des rayons branchiostèges complétant les parois de la cavité branchiale ; des arcs branchiaux qui supportent les branchies, et des préopercules, opercules, inter-opercules et sous-opercules, espèces de plaques osseuses généralement mobiles dont les noms indiquent assez les positions relatives.


Fig. 3. — Tête de perche. C, crâne. — O, orbite. — V, vomer (dans la perche il est armé de dents). IN, mâchoire supérieure. — IM, mâchoire inférieure. — DP, dents implantées dans l’arcade palatine. — L, os lingual. — B, branches latérales de l’appareil hyoïdien. — S, stylet servant à suspendre les branches B à la face interne des cloisons jugales. R, rayons branchiostèges. — A, arcs branchiaux. — PH, pharyngiens supérieurs. — OH, ceinture osseuse supportant la nageoire pectorale. — P, nageoire pectorale, O, O’, omoplate composée de 2 os. — H, humérus AB, os de l’avant-bras. — CA, os du carpe. — CO, os coracoïdien.

Comme chez tous les animaux vertébrés, la tête comprend la bouche et les dents, les organes de la vue, de l’ouïe et de l’odorat.

Des dents. — Le mécanisme dentaire des poissons mérite une attention spéciale, par sa bizarrerie, autant que par sa variété. Il peut y avoir des dents implantées sur tous les os qui soutiennent la cavité buccale : à l’intermaxillaire, au maxillaire, à la mâchoire inférieure, au vomer, au palatin, aux arceaux des branchies, et jusque sur les os situés en arrière de ces arceaux, et nommés os pharyngiens. La langue elle-même porte quelquefois des dents.

Les dents du poisson peuvent être rangées en trois grandes divisions, selon leur forme : 1o les molaires, qui sont plates, et destinées à broyer ou à concasser des corps durs ; 2o les incisives, qui ont partie saillante, coupante, pour trancher et diviser ; 3o les laniaires, qui sont allongées, pointues, souvent recourbées en arrière et destinées à accrocher, retenir, déchirer la proie atteinte par le poisson. Cette dernière forme de dents est de beaucoup la plus commune.

Lorsque les dents sont fines comme des cheveux, minces et serrées les unes contre les autres, on les appelle dents en velours ; plus longues et encore douces, dents ciliées ; plus longues et plus raides, sétiformes ou en brosse. Dès qu’elles arrivent à être plus dures et un peu courbées, elles deviennent des dents en carde, et quand elles sont encore plus grosses, on les nomme dents en râpe ou raduliformes.

Des yeux. — Les yeux des poissons sont grands en raison du peu de lumière répandue dans l’élément où vivent ces animaux. Dans les eaux où la lumière ne pénètre pas les poissons n’ont pas d’yeux. Plutôt fixes que mobiles, les yeux sont dépourvus de glandes lacrymales et de vraies paupières ; la cornée en est très aplatie, mais, par compensation, le cristallin en est presque sphérique ; enfin, une peau passe devant ces organes et y devient transparente pour y laisser arriver la lumière.

Certains poissons ont les yeux placés du même côté de la tête, d’autres ont quatre yeux au lieu de deux ; quant à leur position par rapport à la ligne centrale du corps, peu d’animaux, offrent autant de dissemblances, peu également en offrent autant pour les dimensions relatives de ces organes. Tantôt très voisins, tantôt très écartés, en dessus et en dessous de la tête, immobiles ou mobiles, ensemble ou séparément, plats, convexes, à peine visibles ou énormes, excessivement variables comme couleur, d’une espèce à l’autre.

Les fibres de la rétine, c’est-à-dire, les plus petits rameaux du nerf optique, sont, d’après Lacépède, dans plusieurs poissons, 1,166,400 fois plus fins qu’un cheveu. Quel merveilleux architecte a construit de pareilles machines !

De l’odorat. — Les narines des poissons sont placées au-dessus de la bouche, mais ne servent point à la respiration. Comment ces animaux perçoivent-ils les odeurs ?

L’appareil de l’olfaction réside dans deux cavités creusées à la partie antérieure de la tête, en avant des yeux, au-dessus de la mâchoire supérieure (voir fig. 16). Ces cavités sont tapissées par une membrane pituitaire très plissée : l’orifice externe est souvent double et pourvu d’appendices ou espèces d’opercules encore peu étudiés.

Cet appareil olfactif diffère surtout de l’organe analogue des animaux terrestres, en ce qu’il ne communique pas avec l’arrière-bouche et n’est pas traversé par le fluide dissolvant les particules odorantes. Quoi qu’il en soit, il est hors de doute que les poissons perçoivent les odeurs, et de très loin ; mais comme elles ne peuvent, en définitive, leur parvenir qu’en dissolution dans l’eau ou dans l’air que l’eau contient, on est plutôt fondé à les appeler saveurs, et à considérer l’organe de l’odorat comme un véritable appareil de gustation.

Cependant, il n’en faut pas moins considérer ce sens comme le premier par ordre d’importance chez ces animaux ; la nature l’indique par les précautions qu’elle a prises pour assurer la perception des plus fugitives sensations. Les nerfs qui aboutissent à ces appareils partent immédiatement du cerveau, sont très épais, et se distribuent en un très grand nombre de ramifications dans chacun de ces organes géminés. En multipliant ainsi les surfaces de la substance sensitive, ils la rendent susceptible de ressentir des ébranlements excessivement faibles.

Ajoutons que ces ramifications s’étendent sur des membranes très nombreuses placées sur deux rangs dans les poissons cartilagineux, disposées en rayons dans les poissons osseux, et garnissant, chez tous, l’intérieur des deux cavités olfactives.

L’eau pénètre dans ces cavités chargée de particules odorantes ; elle y circule et en est expulsée à volonté par des contractions que l’animal peut opérer, dans chacune des membranes olfactives, admirable mécanisme qui remplace le transit de l’air à travers les organes analogues des animaux plus élevés dans l’échelle des êtres. Il est probable même, que le double orifice de chaque narine, chez plusieurs espèces, est destiné à faire naître un courant entrant par l’une et sortant par l’autre, apportant ainsi les molécules odorantes et se renouvelant sans cesse.

Des oreilles. — L’oreille, chez les poissons, est presque toujours logée tout entière dans la cavité du crâne, sur les côtés du cerveau, et ne consiste guère qu’en un vestibule surmonté de trois canaux semi-circulaires, avec un, deux ou trois osselets de consistance pierreuse.

Les ondes sonores ne peuvent arriver à cet organe qu’après avoir mis en vibration les téguments communs et les os du crâne, et cependant la sensibilité est grande, même quelquefois remarquable. Cette conformation de l’oreille manquant des organes extérieurs est commune à presque tous les animaux qui vivent dans l’eau.

Plus simples dans leur construction que les oreilles des mammifères, les oreilles des poissons présentent cependant plusieurs sièges de l’ouïe évidents dans les trois petits sacs membraneux et élastiques contenus dans le vestibule de chaque organe et remplis d’une gelée que tapissent des nerfs très déliés, mais sans doute très sensibles.

Les sensations auditives sont transmises au cerveau par un rameau de la cinquième paire de nerfs, qui forme, dans le poisson, le véritable nerf acoustique ; mais l’organe est très près du cerveau, et par conséquent, peut facilement transmettre à celui-ci l’impression des plus faibles ondes sonores.

Les oreilles occupent toujours, dans le crâne des poissons, l’angle le plus éloigné du museau.

Une admirable découverte a été faite récemment (1892).

Un certain colonel Bartlett, grand amateur de pisciculture, vient, à la suite de laborieuses recherches, d’acquérir la certitude que les poissons étaient de fervents mélomanes, ou, pour parler le langage de la science, savaient distinguer un « son « d’un « bruit. »

Chacun sait que le sens de l’ouïe chez les animaux aquatiques est extrêmement développé ; mais il paraît que le moindre « bruit » les fait fuir ; le « son » au contraire, principalement celui produit par une voix humaine, les attire. Ils s’arrêtent alors subitement dans leur course. Afin de mener à bien cette expérience concluante, M. Bartlett s’était embarqué, un matin, sur le lac de Genève, alors qu’aucun bruit ne se faisait encore entendre, accompagné d’un de ses amis doué d’une belle voix de basse, et, il a pu, au moyen d’un aquascope, étudier « de visu » les curieux phénomènes dont nous venons de parler.

Pêcheurs, vous voilà prévenus : si vous voulez attirer le poisson, transformez-vous en sirènes !…


DES NAGEOIRES DES POISSONS


Les nageoires sont les organes locomoteurs des poissons ; elles sont pour le poisson ce que les ailes et la queue sont pour l’oiseau. Leur position relative sur le corps de l’animal est un des caractères les plus tranchés qui divisent les groupes de poissons d’un même ordre. Tous les poissons n’ont pas le même nombre de nageoires, et suivant les espèces, ils les portent différemment, sans que pour cela aucune famille renonce à la mode du temps passé ou en invente de nouvelles. Il est même des poissons qui sont entièrement dépourvus de nageoires.

Les nageoires tirent leur nom de la partie du corps où elles sont fixées. Ainsi, les nageoires pectorales sont celles qui sont situées vers la poitrine ou auprès de la tête des poissons, et les ventrales, plus ou moins en arrière, suivant les familles. Il y a peu d’exceptions à cette disposition de ventrales. Ces deux systèmes d’organes sont pairs. La position des nageoires ventrales vis-à-vis des pectorales est très variable. Placées en arrière des pectorales, elles distinguent avant tout les poissons abdominaux. Placées en dessous, près des pectorales, elles déterminent le groupe des subraciens ou thoraciques. Quelquefois, elles sont en avant des pectorales, et alors, elles sont dites jugulaires.

« Les nageoires impaires sont situées sur la ligne médiane du corps : ce sont les dorsales, dont le nombre varie, l’anale, près de l’anus, à l’extrémité de l’abdomen, et la caudale, qui termine le corps du poisson.

« Les nageoires des poissons sont mues par un ensemble de soixante-neuf muscles. C’est à la complication de cet ensemble que l’animal doit sa flexibilité et ses mouvements variés et souples.

« En considérant les nageoires des poissons d’une manière générale, on reconnaît qu’elles ont différents emplois, et qu’elles peuvent se classer en plusieurs divisions, comme :

« Organes de propulsion et de direction placés à l’arrière — Caudale.

« Organes de transportation, placés à l’avant et en dessous de l’animal : — Pectorales et ventrales.

« Organes d’équilibre (supérieur et inférieur) : — Dorsale, anale.

« Organes de station terrestre : — Pectorales, ventrales et caudale.

« Organes de station liquide : — Dorsale. »

La membrane charnue qui forme les nageoires des poissons est supportée par un certain nombre de rayons, les uns épineux, chez les acanthoptérygiens, les autres mous, chez les malacoptérygiens. Le nombre de ces rayons ne saurait être adopté comme un critérium infaillible de classification ; d’abord, parce que le comptage en est difficile, et ensuite, parce que ces organes présentent souvent des avortements ou des superfétations qui déroutent la science.


LES ÉCAILLES DES POISSONS


Fig. 4. — Écaille de chondrostôme nase, prise sur les flancs. Fig. 5. — Écaille de chondrostôme nase, prise dans la ligne latérale.

Les écailles qui couvrent la peau des poissons varient énormément, et comme forme et comme couleur. Quelquefois, elles ont la forme de grains rudes, de tubercules très gros et de plaques osseuses, épaisses ; mais, en général, ce sont des lamelles fort minces se recouvrant comme des tuiles, enchâssées dans les replis du derme et désignées d’après leur forme, comme elles se voient dans les gravures accompagnantes.

La matière argentée qui leur donne souvent un éclat métallique si remarquable est sécrétée par le derme, et se compose d’une multitude de très petites lames polies.

L’adhérence des écailles à la peau est excessivement variable d’une espèce à l’autre ; la grandeur de l’écaille n’est même pas une raison de sa plus ou moins grande adhérence ; car il y a des poissons à grandes écailles qui tiennent fort bien, et d’autres à très petites ne tenant point, et l’inverse a lieu également.

Quant aux couleurs dont elles peuvent être ornées, elles étonnent par leur variété et leur éclat ; tantôt elles ne doivent être comparées qu’à l’or et à l’argent, tantôt ce sont les teintes les plus riches du vert, du bleu, du rouge ou du noir.

Fig. 6. — Écaille de perche commune, prise sur les flancs. Fig. 7. — Écaille de perche commune. Ligne latérale.

Il y a des écailles de formes très diverses ; il y en a de rondes, de carrées, de crénelées, d’osseuses, de flexibles. Plus les poissons sont destinés à approcher des rivages, plus les écailles, proportionnellement à leur taille, sont grande et épaisses : il leur faut une cuirasse pour les préserver des chocs auxquels les expose le voisinage des rochers.

Plus, au contraire, le poisson est destiné à vivre dans la vase, plus les écailles sont petites et recouvertes par la peau.

Fig. 8. — Écaille du rotengle, prise sur les flancs. Fig. 9. — Écaille du rotengle, prise sur la ligne latérale.

Par leur nature et par la matière qui les produit, les écailles se rapprochent absolument des ongles, des poils et des plumes qui couvrent les autres animaux, peu corruptibles comme ces matières : brûlées, elles répandent la même odeur. Décomposées, ce sont les mêmes éléments ; enfin, elles sont sécrétées sur la peau par des vaisseaux spéciaux et des ramifications artérielles. Dernier rapprochement, de même que sur les membranes intérieures de quelques quadrupèdes, on trouve quelquefois des vestiges de poils, de même, sur les intestins de certains poissons on remarque une couche de matière brillante, nacrée, analogue aux écailles. En général, la partie des écailles qui n’est pas recouverte par les voisines est plus foncée que l’autre, et revêtue de plus belles couleurs.

On ne sait pas encore quelle partie du corps des poissons secrète les écailles ; il est certain qu’elles croissent par juxtaposition de couches qui augmentent de grandeur avec l’âge de l’animal, ou même avec l’âge de l’écaille ; dans tous les cas, quand elles sont enlevées, elles se régénèrent avec une extrême lenteur, au moins sur les poissons d’eau douce. La plaie, dans une eau très vive, se cicatrise et reste souvent vive. Dans une eau dormante ou moins pure, la place privée d’écailles se couvre de mucosités qui se revêtent de mousses parasites semblables aux moisissures blanches, et l’animal meurt au bout d’un temps plus ou moins long, suivant la quantité plus ou moins grande d’écailles enlevées. Dans la majeure partie des poissons, l’écaille est couverte, en portions du moins, par une membrane transparente excessivement mince et résistante, qui la retient dans le follicule qui lui a donné naissance.

Fig. 10. — Écaille de la tanche commune, prise sur les flancs. Fig. 11. — Écaille de la tanche commune, prise ligne latérale.

En parlant des écailles des poissons, n’oublions pas la ligne latérale, plus ou moins courte en dessus et en dessous, interrompue ou capricieuse. Bien peu de personnes savent apprécier l’importance du rôle que joue dans l’économie physiologique du poisson cette double ligne tracée sur ses flancs.

« Les poissons, dit de Kay, présentent sur la surface de leur corps diverses ouvertures servant à répandre une liqueur visqueuse analogue à l’huile ou à la gélatine, et qui, en enduisant tout l’extérieur de l’animal, empêche l’eau de filtrer au travers de ses téguments, et donne à ses mouvements la souplesse et le glissement, dans l’eau, d’une surface que l’eau ne peut mouiller.

Fig. 12. — Écaille cycloïde. Fig. 13. — Écaille cténoïde.


« Le nombre, la forme et la position des canaux qui apportent à l’extérieur cette matière élaborée dans des organes spéciaux, sont différents suivant les espèces. Ces organes sécréteurs sont souvent distribués dans différentes parties de la tête, chez le brochet par exemple, au-dessus et tout autour des mâchoires inférieures. Mais ces orifices forment, surtout chez les poissons revêtus d’écailles visibles, une ligne sur chaque côté du corps, appelée ligne latérale, et partant de la tête pour se rendre jusqu’à la caudale. Les écailles qui tracent cette ligne varient comme position, comme couleur et comme grandeur, suivant les espèces. Dans les poissons munis

Fig. 14. — Écaille ganoïde. Fig. 15. — Écaille placoïde.
d’écailles facilement visibles, l’organe se compose, outre les pores sécréteurs, d’un canal formé d’autant de petits tuyaux qu’il y a d’écailles sur ces orifices, et creusé dans l’épaisseur même de ces écailles. »


DES ORGANES DE LA RESPIRATION


L’appareil de la respiration chez les poissons est formé par les branchies ; ce sont des membranes lamelleuses de forme analogue aux dents d’un peigne, attachées deux à deux aux arcs branchiaux, qui sont ordinairement au nombre de quatre de chaque côté de la tête : l’eau avalée par le poisson passe entre les fentes formées par ces arcs branchiaux,

Branchies.
Cavité d’olfaction.
Fig. 16. Disposition des nerfs olfactifs chez les poissons.


baigne la surface des branchies sur lesquelles rampe l’extrémité des vaisseaux de l’artère pulmonaire, et cède l’oxygène qu’elle tient en dissolution, au sang veineux qui devient ainsi artériel ; elle s’échappe alors par les ouïes, et, chassée d’avant en arrière, sert en outre à faciliter la progression du poisson.

Certains poissons cartilagineux ont l’opercule fixe : dans ce cas, il y a pour la sortie de l’eau, autant de trous chaque côté de la tête que d’espaces interbranchiaux, comme cela se voit d’une façon frappante dans la lamproie.

Les branchies des animaux inférieurs sont quelquefois libres à l’extérieur, à l’état de houppes, de panaches, de franges, de feuillets, comme chez le lézard d’eau douce ou ménobranche.


Fig. 17. — Lézard d’eau douce, ou ménobranche.


Dans les poissons, les branchies sont toujours placées, quel qu’en soit le nombre (les raies et squales en ont 5, 6, et 7), la grandeur et la forme, dans une cavité, de chaque côté de la tête, cavité qui n’est qu’un prolongement de la bouche, par laquelle l’eau est avalée.

Outre l’air que le poisson trouve en dissolution dans l’eau, beaucoup d’espèces viennent encore à la surface, de temps à autre, pour humer l’air directement. Mais ce procédé ne semble concourir en rien à la respiration proprement dite.

La mort de ces animaux, lorsqu’on les sort de leur élément, est une sorte d’asphyxie : leurs lamelles s’affaissent, se dessèchent au contact de l’air, et ne laissent plus circuler le sang ; aussi, les poissons qui vivent le plus longtemps hors de l’eau, sont-ils ceux dont les ouïes ont la plus petite ouverture et ne permettent qu’un léger accès de l’air atmosphérique sur l’organe respiratoire.


CIRCULATION DU SANG CHEZ LES POISSONS


Je cite ici textuellement le professeur Langlebert, dont l’enseignement me paraît clair et complet, quoique concis : « Chez les mammifères, les oiseaux et les reptiles, la circulation est double, ce qui veut dire que le sang artérialisé dans le poumon revient au cœur pour être ensuite distribué aux divers organes. Chez les poissons, la circulation est simple, en ce sens que le sang artérialisé dans l’appareil respiratoire se rend directement aux organes, sans revenir au cœur.

Le système circulatoire des poissons se compose, en effet, d’un cœur à une seule oreillette et un seul ventricule. Ce cœur correspond, par conséquent, au cœur droit des mammifères et des oiseaux. Le sang veineux, qui revient de toutes les parties du corps, arrive dans l’oreillette et passe ensuite dans le ventricule, lequel, en se contractant, le chasse dans les branchies ou organes respiratoires par une artère nommée artère branchiale. En traversant ces organes, le sang veineux se transforme en sang artériel ; mais, au lieu de retourner au cœur, il se rend directement dans une artère volumineuse et contractile (l’aorte) qui le distribue dans tout le corps, et ainsi de suite. On voit que chez les poissons le sang ne parcourt qu’un seul cercle en allant des organes au cœur, du cœur aux branchies, et des branchies aux organes ; tandis que chez les mammifères et les oiseaux, la circulation se compose toujours de deux cercles distincts et indépendants. »


Fig. 18.Figure théorique représentant le mode de circulation chez les reptiles. Fig. 19.Figure théorique représentant le mode de circulation chez les poissons.

1. Oreillette droite. — 2. Oreillette gauche. — 3. Ventricule unique. — 4. Aorte. — 5. Veine cave. — 6. Artère pulmonaire. — 7. Veine pulmonaire.

(Chez les batraciens la cloison qui sépare les deux oreillettes 1 et 2 est perforée.)

1. Ventricule unique — 2. Oreillette unique. — 3. Artère branchiale. — 4. Branchies. — 5. Aorte partant des branchies et portant le sang artériel dans toutes les parties du corps. — 6. Veine cave ramenant le sang veineux au cœur.


DE LA VESSIE NATATOIRE


Outre la vessie qui sert de réceptacle à l’urine, la plus abondante de leurs secrétions, les poissons en ont une autre, dite vessie natatoire, qui est une espèce de poche membraneuse, placée dans l’abdomen, sous l’épine dorsale : elle communique à l’estomac ou à l’œsophage par un conduit qui lui permet de se vider de l’air qu’elle contient et qui paraît être une sécrétion de ses parois.

Dans tous les poissons où elle existe, si, au moyen d’une aiguille, on vient à la percer, sans blesser trop l’animal, on enlève à celui-ci la possibilité de s’élever dans l’eau, à moins qu’il ne soit doué de nageoires fortes et très étendues ; mais encore, dans ce cas, il n’y reste pas longtemps, et l’on voit combien cette position lui devient pénible et fatigante.

Aucun organe des poissons n’est plus variable de forme, de taille, de position dans le corps, d’une espèce à une autre. Dans les espèces voisines, l’une a une vessie, l’autre n’en a point : le maquereau n’en a point, pendant que ses cousins germains, les sébastes, en sont pourvus.

On a pensé, dit de Humboldt, que la compression plus ou moins grande des côtes réagissait sur cet organe, et sans changer sensiblement le poids absolu du poisson, lui faisait acquérir un volume différent ; sa pesanteur spécifique étant ainsi sujette à varier, lui donnait la facilité de descendre et de monter dans l’eau. Mais si l’on examine, dans un poisson d’eau douce quelconque, l’articulation des côtes sur la colonne vertébrale et la disposition des muscles, on verra que la cavité abdominale ne peut pas changer de forme par l’élévation ou l’abaissement des côtes : la vessie ne peut pas plus se comprimer qu’elle ne peut se dilater. Ce qui le prouve, c’est qu’on peut enlever la vessie natatoire d’une tanche, et qu’elle nage aussi bien et aussi facilement après l’opération qu’avant. On peut vider la vessie d’un goujon, d’un gardon, et ils continuent à se tenir en équilibre dans l’eau, exactement comme les individus de la même espèce dont la vessie est remplie de gaz : ce qu’il faut attribuer à la force vitale de l’animal.


MUTATIONS DE COULEUR CHEZ LES POISSONS


Qu’il nous soit permis de citer quelques faits curieux en rapport avec cette question, avant de donner notre avis au mérite.

« Quand j’étais enfant, dit J. Franklin, au nombre de mes favoris, étaient des vérons que je conservais dans un bassin blanc et que je nourrissais chaque jour avec des vers et des croûtes de pain. Ayant pris un autre de ces poissons, je l’apportai à la maison dans une coquille d’huître, et l’ajoutai à ma collection. L’étranger était d’une couleur plus foncée que mes anciens vérons. Son beau dos rayé de noir le distinguait parmi les autres petits poissons pâles et presque transparents qui occupaient déjà le bassin depuis plusieurs jours.

« Le lendemain matin, quand je portai à mes hôtes la provision de nourriture accoutumée, le véron noir avait disparu : je fis une enquête, mais chacun se défendit d’avoir touché au bassin. Je comptai mes poissons, et je trouvai alors qu’il n’en manquait point. Le nombre étant le même qu’il était la veille, mon nouveau venu, mon noir, ne pouvait avoir sauté hors de l’eau. C’était un vrai mystère, lorsque les expériences remarquables de M. J. Stark vinrent me donner le mot de l’énigme.

« M. Stark avait conservé dans l’eau un certain nombre de vérons ; ayant un jour transporté quelques-uns d’entre eux dans un bassin blanc, avec l’intention de changer l’eau dans un vase de verre où il les tenait d’abord, notre observateur fut frappé d’un fait, c’est que leurs couleurs étaient moins vives que d’habitude. Les taches et les bandes noires étaient aussi beaucoup plus pâles qu’à l’ordinaire. Une réflexion se présente à son esprit : de même que les végétaux blanchissent lorsqu’ils se trouvent abrités de la lumière, ainsi les animaux ne pouvaient-ils point subir, dans certaines conditions, des changements analogues de couleur ?

« Il fit une série d’expériences sur le véron, l’épinoche, la loche et la perche. En plaçant ces poissons dans des vases de différentes couleurs, et en variant la lumière qui tombait sur ces réservoirs, il trouva qu’en effet les couleurs des poissons se montraient susceptibles de grandes modifications. Ce n’est pas tout ! Après que les changements de nuances les plus décidés avaient eu lieu, les couleurs pouvaient aisément, et en un temps très court, être restituées à leur éclat et a leur beauté originelle.

« Le 26 juin, deux vérous furent placés dans une aiguière de faïence blanche. Leurs couleurs étaient très vives, le dos était d’un brun noir, la partie supérieure des côtes était marquée de bandes noires sur un champ d’argent, avec des reflets violets et dorés. Le lendemain, il trouva les poissons presque incolores ; le dos était d’une légère teinte de sable, les barres sur les côtes avaient entièrement disparu, les flancs et le ventre étaient presque d’une seule couleur, son blanc argenté avait une légère nuance de bleu.

« Le 28, le corps des poissons parut légèrement translucide, de sorte qu’on pouvait distinguer clairement sur le dos les racines du muscle, aussi bien que le vaisseau qui les intersectait. Le museau et le sommet de la tête étaient aussi transparents qu’à l’ordinaire. Le lendemain, ils furent replacés dans le vase en verre, autour duquel M. Stark avait étendu un mouchoir de soie noire.

« Le 30, il enleva ce mouchoir, plaça le globe sur un drap noir et l’exposa à la lumière, mais non à portée des rayons du soleil. Après avoir été exposé quelques heures à l’action du jour, les poissons avaient repris beaucoup de leur couleur originelle. M. Stark les remit alors dans l’aiguière blanche : quelques heures après ils avaient reperdu leurs couleurs, ils étaient entièrement pâles et d’une teinte sablonneuse ; ils restèrent dans cet état, sans aucune variation, environ une semaine ; l’aiguière était tenue tout le temps dans un coin obscur de l’appartement.

« Le 17 juillet, les vérons furent transvasés dans une jarre de terre vernie. En cinq minutes, les taches noires commencèrent à reparaître sur le dos, et, en moins de quinze minutes, les poissons avaient perdu leur transparence. Cinq heures après, les vérons se montraient d’un gris marbré et d’une couleur brune, avec les nageoires d’une teinte bleue. Le 18, les nuances du dos tournaient au noir, si bien qu’on les distinguait difficilement de la couleur de la jarre ; les nageoires pourprées inclinaient vers le bleu. On laissa les vérons tranquilles jusqu’au 21 : alors on couvrit intérieurement le fond de la jarre et les côtés, à la hauteur de 2 pouces, avec des feuilles d’étain ; puis on replaça les poissons dans la jarre, et on les laissa, comme auparavant, dans l’ombre.

« Le lendemain on observa qu’un des vérons, qui s’était tenu au fond du vase près des feuilles d’étain, avait beaucoup perdu de sa couleur noire. Son dos se montrait d’une couleur bleuâtre qui passait à l’argent sur les côtés, sans aucune apparence de bandes obscures. L’autre véron, qui s’était tenu en haut sur le côté de la jarre qui n’était point recouvert d’étain avait, au contraire, conservé sa couleur et ses marques originelles. On enleva alors les plaques d’étain, et en quelques heures les deux poissons se montrèrent, comme auparavant, colorés l’un et l’autre en noir.

« On laissa les deux vérons dans cet état jusqu’au 3 août, époque à laquelle on jeta dans la jarre d’autres poissons de la même espèce ; ils étaient tous de couleur uniforme, noirs sur le dos, avec des bigarrures noires et des reflets dorés sur les côtés ; les mêmes changements que nous venons de décrire se succédèrent sur ces nouveaux venus, mais dans tous les cas le ventre retint son aspect argenté.

« Toutes ces expériences avaient été faites dans un coin obscur de la chambre ; on en répéta de semblables dans une autre partie de l’appartement, parfaitement éclairée, mais non exposée aux rayons du soleil : enfin, on transporta le théâtre des observations sous les rayons du soleil.

« Dans tous les cas, les résultats furent les mêmes, à savoir : que ces animaux prenaient la couleur du vaisseau dans lequel ils étaient placés. Dans les vases en verre exposés à la lumière, peu de changements de couleur eurent lieu, quoique, aux différentes périodes du jour, et chez des individus différents, on observât à un certain degré des modifications dans l’éclat des nuances.

« N’est-ce point là un fait merveilleux, que de voir des animaux subir un tel changement chaque fois qu’ils passent d’un milieu dans un autre, et cela avec une telle rapidité, en quelques heures, quelquefois même en quelques minutes ! »

On sait qu’un grand nombre d’animaux, surtout parmi les oiseaux, changent de couleur à certains moments de l’année. Tout le monde sait que ce moment correspond à celui des amours, à l’édification du nid et à l’éducation de la jeune couvée. Linné a donné à ce changement d’habit, quelquefois fort brillant, le poétique nom de plumage ou de costume de noces.

Eh bien ! toutes ces modifications si intéressantes et encore si peu étudiées de la couleur propre du corps, se retrouvent chez les poissons d’une manière prononcée. Plus riches en cela que toutes les autres classes d’animaux, ils ont tout à la fois la parure de noces et l’adaptation de couleurs, sans négliger de disputer aux oiseaux le privilège de faire porter une livrée aux jeunes de leur race. De même que les petits de toutes les espèces d’oiseaux revêtent dans leur enfance un plumage qu’ils ne conserveront pas et qui les rapproche tous des femelles, de même, chez nombre de poissons, et pour n’en citer qu’une famille — prenons celle des salmonidées — les alevins revêtent soit une livrée terne et analogue à celle de la femelle, soit — ce qui arrive le plus souvent — un système de coloration par taches ou par bandes absolument différent de celui de l’adulte : il en sera question à l’article du saumon.

Les truites ont, depuis de longues années, été étudiées au même point de vue de la coloration, et toutes les expériences ont conduit à cette démonstration : que la robe était mutable dans cette espèce, et que la couleur plus ou moins foncée, plus ou moins jaune de la robe, s’assortissait à la couleur des eaux, des fonds, et surtout à l’importance du couvert. Dans les ruisseaux des montagnes qui coulent sous les sombres massifs du feuillage, la truite commune devient la truite noire, ses taches s’oblitèrent, sa couleur est uniformément brune et enfumée. Dans les torrents ouverts aux rayons du soleil, le même poisson devient, en quelques générations, la truite blanche, la truite jaune, la truite dorée, etc., etc.

Lacépède a fait une étude spéciale de la coloration des poissons. Après avoir mêlé, avec une prestigieuse manipulation, l’eau de source, l’eau de mer, la goutte de rosée, le suc des plantes, des aliments du poisson, de l’huile, du sang, aux fluides ambiants, à la lumière, aux rayons du soleil, aux réfractions des glaces polaires, à la transparence des mers tropicales, pour en faire une teinture pénétrante, aux tons les plus chauds, les plus vifs dont il revêt les poissons dans une armure plus chatoyante que les plus belles toisons, plus éclatante que les plus beaux plumages, le grand naturaliste conclut :

« Pendant que le poisson jouit, au milieu du fluide qu’il préfère, de toute l’activité dont il peut être doué, ses teintes offrent aussi quelquefois des changements fréquents et rapides, soit dans leurs nuances, soit dans leur ton, soit dans l’espace sur lequel elles sont étendues. Des mouvements violents, des sentiments plus ou moins puissants, tels que la crainte ou la colère, des sensations soudaines de froid ou de chaud, peuvent faire naître ces altérations de couleur très analogues à celles que nous avons remarquées dans le caméléon ainsi que dans plusieurs autres animaux ; mais il est aisé de voir que ces changements ne peuvent avoir lieu que dans les teintes produites, en tout ou en partie, par le sang et les autres liquides susceptibles d’être pressés ou ralentis dans leur cours. »

Mais la mort arrive, et Lacépède en décrit les effets sur le poisson, dans le même style abondant et animé :

« Lorsque le poisson est hors du fluide qui lui est propre, ses forces diminuent, sa vie s’affaiblit, ses mouvements se ralentissent, ses couleurs se fanent, le suc visqueux se dessèche, les écailles n’étant plus ramollies par cette substance huileuse ni humectées par l’eau, s’altèrent ; les vaisseaux destinés à les réparer s’obstruent, et les nuances dues aux écailles ou au corps même de l’animal changent et souvent disparaissent, sans qu’aucune nouvelle teinte indique la place qu’elles occupaient. »

C’est Agassiz qui a le mieux apprécié et décrit les changements que la coloration subit chez les salmonidés. L’habile naturaliste a reconnu, non seulement la puissance des milieux, mais surtout celle de l’âge et du sexe ; ses tableaux, tracés de main de maître, sont demeurés inimitables.

Parmi les poissons de mer nous avons observé le cotte-scorpion ou crapaud de mer, qui prend la teinte grise, brune, tachetée, bleuâtre ou verdâtre, suivant le fond qu’il habite : les mêmes effets de coloration se manifestent chez les étoiles de mer, les oursins et autres crustacés de ce genre.

Outre la truite commune, nous avons remarqué dans nos eaux douces, le sandre, la perche, plusieurs variétés de cyprins et surtout de l’achigan dont les couleurs sont empruntées aux milieux où ils vivent et aux effets de lumière et d’ombre. N’y a-t-il pas des dorés gris, verdâtres, tachetés (les charbonniers), mouchetés, à ventre blanc, à ventre jaune ? Et cependant, ils appartiennent tous à la même espèce, qui ne compte que deux variétés. Ce phénomène de mutation de couleurs est particulièrement sensible chez l’achigan, qui passe en un instant du vert au noir et vice versa, suivant qu’il est exposé au soleil ou tapis dans l’ombre : ses couleurs s’effacent comme avec la main ; ils changent également de couleur après la mort : c’est-à-dire que les verts deviennent d’un jaune sale, avec des taches noires persistantes.

D’après ces observations, il paraît évident qu’un grand nombre de poissons possèdent la faculté d’accommoder leurs couleurs à la couleur du lit des eaux dans lesquelles ils vivent. Comment ne pas chercher maintenant la raison de ce fait ?

Ces créatures trouvent, dans la propriété qu’elles ont de s’ajuster à l’aspect de leur habitation, de s’assimiler à la couleur des lieux, une protection contre les attaques de leurs ennemis. Quoique ce phénomène ne soit pas encore expliqué, il se produit sans doute sous l’action de la même cause qui détermine les changements de couleur chez le caméléon, lequel ne peut, dit-on, être découvert quand il rampe sur les feuilles des plantes, parce qu’il est alors d’une nuance semblable à celle de ces feuilles elles-mêmes.

Notre lièvre n’est-il pas blanc comme neige en hiver, et couleur feuille morte en été ? Il en est à peu près ainsi de la belette — et du lagopode ou perdrix blanche, de notre ortolan ou oiseau-blanc, — et de bien d’autres animaux qu’il serait oiseux d’énumérer ici.


ENGOURDISSEMENT DES POISSONS DURANT L’HIVER


Durant la belle saison, surtout vers le soir des jours chauds de l’été un grand nombre de poissons d’eau douce viennent à la surface, soit pour happer la manne tombant du ciel comme des flocons de neige, soit pour fuir un ennemi acharné à leur poursuite ; mais dès que la température baisse, que les cours d’eau commencent à se couvrir chaque matin d’une légère vapeur, les poissons descendent petit à petit dans des couches plus profondes, jusqu’à ce que, l’hiver venu, les glaces étant prises, ils se tiennent au fond, les uns immobiles sur la vase, sous des crônes, les autres rasant lentement le lit de la rivière en quête d’une proie de plus en plus rare.

La perche, le doré, la truite commune, la truite grise rôdent durant tout l’hiver : on les prend avec des minnuces ou des vers rouges bien en vie.

Certaines variétés d’ablettes se montrent excessivement sensibles à l’abaissement de la température : elles disparaissent comme par enchantement, vers le milieu de septembre, pour reparaître soudainement, au mois de juin suivant, avec une affluence telle qu’on croirait à une invasion. Dès qu’elles se remontrent au soleil, la surface de certains lacs apparaît comme argentée : truites, achigans, dorés, brochets et maskinongés de faire ripaille de cette masse vivante inoffensive. En quelques minutes, ils sont repus, gorgés, et vont faire leur sieste, tapis sous des cailloux, des troncs d’arbres, des herbes touffues. Après la digestion revient l’appétit, et avec l’appétit le festin recommence, pour durer des semaines et des mois. Ces gourmands sont alors gras à fendre avec l’ongle, mais ils dédaignent vos amorces et vos appâts, ils échappent aux tentations des plus habiles pêcheurs.

Le brochet chasse tard, à l’automne, à travers les algues, les fucus où se réfugient les perchaudes et les crapets, en quête d’écrevisses ou de larves collées aux cailloux du rivage.

Il est un proverbe canadien qui veut « que la première gelée casse la gueule au bars ; » cependant on le capture, en hiver, au filet, sous les glaces du lac Saint-Pierre. C’est ainsi que se prend l’achigan au fond de fosses profondes, dans les grands lacs du bassin de l’Ottawa.

Le chevesne, l’ide, faussement appelé le mulet, persiste, durant tout l’hiver, à chercher sa nourriture sur les fonds unis du sable, à une profondeur de 25 à 30 pieds. On le prend alors en amorçant avec de la pâte mêlée de laine teinte en rouge.

On sait que l’anguille s’engourdit dès les premiers froids, et qu’elle se laisse choir dans des trous vaseux où elle passe l’hiver sans bouger, pelotonnée en paquets de cinq à dix pièces ; que l’esturgeon se réunit par troupes sur des fonds de vase et qu’il s’y nourrit des mucosités que sécrètent leurs corps.

Les saumons (ils sont en petit nombre) qui hivernent dans nos rivières, conservent presque toute leur vivacité après le temps du frai, mais ils ne mordent à aucune esche : d’aucuns prétendent même, pour avoir trouvé leur estomac toujours vide, qu’ils y vivent sans manger.

Pendant longtemps, on a cru que les harengs se plongeaient dans les profondeurs ou gagnaient vers les mers du nord, aux approches de l’hiver ; mais on prend maintenant de ce poisson en grandes quantités, durant tout l’hiver, sur les côtes de Terre-Neuve, du Labrador, et le long des rives du golfe Saint-Laurent.


DURÉE DE LA VIE CHEZ LES POISSONS


La plupart des poissons ont la vie très longue : malheureusement la science n’a pas beaucoup de données authentiques sur ce sujet : il ne faut pas oublier les carpes de Fontainebleau, qui datent du temps de François Ier (1515), vingt ans avant la découverte du Canada. C’est bien le lieu de dire qu’elles sont vieilles comme les pierres. Ces carpes sont devenues énormes, couvertes de mousse et presque blanches ; mais avouons qu’on blanchirait à moins. Elles sont excessivement familières, et viennent prendre leur nourriture dans la main des enfants, parmi lesquels elles ont toujours des favoris. Les carpes de Chantilly et de Pontchartrain sont contemporaines du grand Condé ; celles qui habitent le jardin royal de Charlottenburg, près de Berlin, ont plus de deux cents ans. Il est constant que les individus dont parlent certains ichtyologistes et qui avaient 1.50 mètre de long et un poids que l’on n’ose pas mentionner, n’étaient pas d’une jeunesse beaucoup plus tendre. Le brochet de Frédéric Barberousse, pêché dans le lac Kaiserlautern, voisin de Manheim, avait environ 300 ans. Nous en reparlerons plus tard, à l’article brochet. [1]

Bary de Saint-Victor cite de grêles poissons rouges qui ont vécu, sans grossir, onze ans dans un même bocal, et qui, sortis de là, doublaient de taille en moins d’un an. L’esturgeon, pour atteindre sa taille maxima de 6 à 7 mètres, en se nourrissant de vers et de mollusques mous qu’il fouille dans les vases, doit employer un certain nombre de printemps. Des anguilles qui ont été vues ayant la grosseur d’un congre de près de 50 livres, avaient mis certainement plusieurs siècles à en arriver là.

Il faut probablement attribuer cette longévité au peu de force que les poissons doivent dépenser pour se mouvoir, dans un liquide de densité presque égale à celle de leur corps : au peu d’énergie de leurs sensations, à leur sang froid, à la température du milieu où ils vivent, dont les variations ne sont pas brusques comme celles de l’air ; enfin, à l’indépendance assez grande de leurs organes, qui fait que l’un d’eux peut être attaqué gravement, sans que les autres en souffrent. Ce dernier motif rend compte du peu de danger de la castration que l’on fait subir à ces animaux, lorsqu’on veut les engraisser dans des réservoirs.


LA VOIX DES POISSONS


Le proverbe qui dit « muet comme un poisson » n’est peut-être pas aussi vrai qu’on le pense. Sans qu’il soit besoin de recourir à la fable avec ses sirènes, il est assez facile d’établir que certains poissons produisent des sons distincts, et quelquefois forts et prolongés. Peut-on considérer ces sons comme étant ceux d’une voix ? Évidemment non ; car, chez les poissons, l’air est avalé en même temps que l’eau où il est dissous ; cet air passe entre les lames des branchies et est expulsé par le mouvement spasmodique de celles-ci, en même temps que l’eau. La respiration se fait par déglutition et non par aspiration ; il n’existe donc pas de larynx chez ces animaux, par conséquent, point de voix.

Le bruit plus ou moins remarquable que quelques-uns font entendre tient sans doute à des mucosités placées soit dans les ouïes, soit dans la bouche, soit au gonflement et au dégonflement de la vessie natatoire… on ne sait rien de bien fixe à cet égard, pas même si l’émission du bruit est réelle pour tous les poissons auxquels on l’attribue.

Cuvier et Valenciennes ont observé que des cyprins produisaient un son guttural très prononcé, dans les baquets où on les mettait après la pêche. Ces poissons produisent ce son dans l’eau, remarquent les célèbres naturalistes, et, dans ce cas, aucune bulle d’air ne s’échappe ni de leur ouïe ni de leur bouche. Ils avouent ne pas connaître le moyen que l’animal emploie pour produire ce bruit, et le rapprochent de celui des trigles, des cottes, etc.

La sardine crie comme la souris, en mourant ; le hareng pousse un gémissement que les Anglais appellent squeak.

Les loches d’étang font toutes entendre un bruit distinct quand on les prend. Les Allemands les ont appelées, de ce fait, pfeister, de pfeifer, qui veut dire siffleur.

Le bruit sourd que le maigre (poisson de mer ressemblant au bars) produit sous l’eau, ainsi que l’assurent aujourd’hui beaucoup de pêcheurs, et que Alain, docteur en médecine, compare au mugissement des taureaux, épouvante vraisemblablement les autres poissons. C’est de là qu’il a reçu le surnom de roi des sardines, sur quelques points de la côte occidentale de France. Telle était en effet l’opinion des pêcheurs dans des temps d’ignorance, qu’ils croyaient que les mugissements de ce poisson exprimaient ses ordres qu’au premier signal ses sujets s’éloignaient de lui, que ses moindres volontés étaient exécutées avec promptitude et soumission. « Le maigre commande, disaient-ils, et les sardines obéissent. » On sait aujourd’hui que ce prétendu roi — couronné par l’amour du merveilleux et l’erreur de l’opinion — est un véritable ennemi des sardines, et donne la chasse à toutes les espèces de petits poissons. Il ne règne dans l’Océan que par la terreur qu’il inspire et la dévastation qu’il exerce autour de lui.

Les maquereaux et les donzelles produisent également des sons particuliers. Pendant un voyage scientifique que fit M. Lemesle au Cambodge, en 1804, il a trouvé des poissons chantants, dans un grand lac du pays.

— Va !… Pourvu que ce ne soient pas des grenouilles !

Mais en 1866, M. A. Moreau a constaté, sur ce point, des faits curieux et intéressants qui méritent une attention sérieuse. Il s’agit surtout de trois espèces de poissons sonores, sinon musiciens — ou harmonieux — à savoir, les trigles, surnommés grondins, l’organo et la lura (lyre, mentionnée par Aristote), dont il explique la faculté phonétique par des dispositions anatomiques que la science est forcée de reconnaître — en dépit qu’elle en ait.

Dans sa remarquable description du royaume de Siam, Mgr Pellegoix parle d’un poisson nommé langue-de-chien qui ressemble beaucoup à la sole et qui jouit de facultés assez extraordinaires. Il s’attache au-dessous des barques, et fait entendre un bruit très sonore, et même harmonieux ; ce qui est encore bien plus frappant lorsque cinq ou six de ces animaux sont collés à la barque.

Il paraît que ces poissons merveilleux ne sont pas particuliers au royaume de Siam. Dans un voyage assez ancien déjà, exécuté au centre de l’Amérique (1879), don Henrique, vicomte Onfroy de Thoron, parle d’une autre espèce de poissons par lui découverts dans la baie du Prailon (république de l’Équateur). Ce voyageur longeait la plage, lorsque tout à coup un son étrange, extrêmement grave et prolongé, résonna à ses oreilles. Il avança encore, et entendit une multitude de voix qui lui parurent se rapprocher des sons des orgues d’église. Ne voyant rien autour de lui, il interrogea les aborigènes qui conduisaient sa pirogue, et qui lui répondirent : les uns, que c’étaient des poissons chanteurs, les autres, les esprits de ceux qui n’étaient plus.

M. de Thoron entendit les mêmes concerts sur les bords de la rivière Matajé. Il put ainsi remarquer que ces poissons vivent dans l’eau douce aussi bien que dans l’eau salée. Ils n’ont pas plus de dix pouces (anglais) de longueur. Leur conformation antérieure n’a rien de particulier. Leur couleur est blanche, avec quelques taches bleuâtres sur le dos. C’est vers le coucher du soleil que ces poissons commencent à se faire entendre ; ils continuent leurs chants sans s’inquiéter des bruits extérieurs, et cela pendant plusieurs heures, et sans se montrer à la surface de l’eau. « La vibration de leur chant, dit le voyageur, produit un son aérien qui semble tenir du mystère. »

Le Sheepshead ou malachigan de l’Amérique du nord équivalant au maigre des eaux douces, en Amérique, donne fréquemment des fêtes aux moules, dans nos grands lacs, au son du tambourin. Nous le décrirons bientôt.


INTELLIGENCE DES POISSONS


Grand nombre d’auteurs ont écrit sur l’esprit des bêtes : presque tous ont oublié de faire valoir l’intelligence des poissons. Il est des bêtes douées d’un merveilleux instinct qui leur fait exécuter des travaux étonnants : tels sont certains oiseaux dont les nids sont de vrais palais suspendus sur des chaînes de verdure et de fleurs : les abeilles, les thermites, qui bâtissent des villes plus belles, autrement grandioses et ordonnées que Palmyre ou Thèbes aux cent portes ; les plus habiles ouvriers trouveraient ici des maîtres : tels sont encore les castors, à la fois ouvriers, maçons, hydrographes, ingénieurs des ponts et chaussées, et architectes incomparables.

Et pourtant, ces bêtes-là, quoique possédant d’admirables facultés, sont moins susceptibles d’éducation que d’autres qui leur paraissent inférieures par leurs travaux. Un oiseau qui apprend la musique, un cheval de manège ou de cirque qui obéit au geste, à la voix de son maître, un chien qui paraît deviner sa pensée, qui se fait esclave ou tyran, gourmet de caresses fines ou suppliant sous le fouet, chasseur avec Endymion, sauveteur avec les Pères du mont Saint-Bernard ; un éléphant qui se laisse conduire par un fil, qui va racoler ses frères dans les jungles pour les amener en servitude, qui se fait bûcheron à Ceylan, ont un tout autre mérite. Ces bêtes-là apprennent quelque chose tous les jours ; partant, on peut les considérer comme des bêtes d’esprit.

Que l’homme acquière de l’empire sur les oiseaux, les chevaux, les chiens, les éléphants, les singes, les lions, les tigres mêmes, on ne s’en étonne pas, parce que ces animaux vivent sur terre ou dans l’air ; qu’ils sont à sa portée, qu’il peut s’en servir, les capturer, les plier à sa volonté, soit par la force, les privations, les châtiments, soit par la douceur, les caresses ou la satisfaction de leurs appétits. Avec de l’esprit d’observation, de l’énergie, de la patience, on peut réussir à dompter les serpents, les grizzlys, voire même la panthère noire. On nous citait dernièrement des chats qui valsaient en cadence au son du biniou. Quel fut leur professeur de danse ? Vous allez croire que ce fut quelque vieille fille ? Pardon, ce fut un vieux garçon.

Mais lorsqu’on vient nous dire que les poissons qui habitent les eaux, le plus souvent hors de notre portée, de nos atteintes, de notre voix, peuvent être familiarisés au point de manifester leurs affections, reconnaître leurs amis, répondre à leur nom, se prêter à leurs caresses, venir manger dans leurs mains, un sourire d’incrédulité distend nos lèvres malgré nous. Et pourtant, depuis Pline l’Ancien jusqu’au docteur Warwick[2], depuis le serranus anthias de la Méditerranée jusqu’aux carpes de Fontainebleau, contemporaines de François Ier, et qui vivent encore, les faits se multiplient pour attester de l’intelligence et de la sensibilité affectueuse des poissons. Citons-en plutôt quelques extraits, en commençant par l’autorité de Pline.

« Un pêcheur toujours vêtu du même habit, dit le naturaliste romain se promenait dans une petite barque pendant plusieurs jours de suite, et chaque jour, à la même heure, dans un espace déterminé, auprès des îles et des écueils des côtes de l’Asie Mineure, il jetait aux anthias, très communs en ces endroits, quelques-uns des aliments qu’ils préfèrent. Pendant quelque temps, cette nourriture était suspecte à des animaux qui, armés pour se défendre bien plutôt que pour attaquer, doivent être plus timides, plus réservés, plus précautionnés, plus rusés que les autres habitants des mers.

« Cependant, au bout de quelques jours, un de ces poissons se hasardait à saisir quelques parcelles de la pâture qui lui était offerte : le pêcheur l’examinait avec attention comme l’auteur de son espoir et de ses succès, et l’observait assez pour le reconnaître facilement. L’exemple de l’individu plus hardi que les autres, n’avait pas d’abord d’imitateurs ; mais au bout de quelque temps, il ne paraissait qu’avec des compagnons dont le nombre augmentait peu à peu, et enfin, il ne se montrait qu’avec une troupe nombreuse d’anthias qui se familiarisaient bientôt avec le pêcheur, et s’accoutumaient à recevoir leur nourriture de sa main.

« Ce même pêcheur, cachant alors un hameçon dans l’aliment qu’il présentait à ces animaux trompés, les retenait, les enlevait, les jetait avec vitesse et facilité dans son petit bateau ; mais il avait le plus grand soin de ne pas saisir l’anthias imprudent auquel il devait la bonté de sa pêche, et dont la prise aurait à l’instant mis en fuite tous ceux qui ne s’étaient avancés vers le bateau qu’en imitant sa témérité et en se mettant en quelque sorte sous sa conduite.

Écoutons : maintenant J. Franklin nous parler des morues de l’étang du Mill of Galloway, sur la côte ouest de l’Écosse.

« Je visitai cet étang, il y a quelques années. Des amis m’accompagnaient, et précédés de la femme du garde, nous montâmes une sorte d’escalier qui conduit à la pièce d’eau. Nous n’avions pas plus tôt paru au haut de cet escalier, qu’il se fit une espèce d’émeute parmi les poissons. Ils s’élancent vers la plate-forme, se poussant et se bousculant les uns les autres, dans leur ardeur commune à se rendre vers l’endroit où l’on a coutume de leur distribuer la nourriture, absolument comme sont les volailles dans une basse-cour, à la vue de celui ou de celle qui leur donne à manger.

« Nous nous étions pourvus, en venant, d’une certaine quantité de moules, que nous avions exposées au feu, afin de les dégager plus aisément de leurs écailles. C’est un aliment dont la morue et les autres poissons de cet étang se montrent excessivement friands.

« On m’a dit que ces poissons, après avoir été ainsi engraissés durant quelques semaines, surpassent en saveur leurs frères sauvages que l’on pêche dans les mers ouvertes.

« Je jetai la nourriture aux poissons, et je puis dire, sans me flatter, qu’elle fut bien reçue. Les morues venaient la chercher jusque dans ma main. Je voulus m’autoriser des termes de familiarité dans lesquels je semblais être avec mes nouveaux amis, pour saisir quelques-uns d’entre eux et les prendre dans mes mains. J’essayai à plusieurs reprises, mais les hôtes à nageoires de cette pièce d’eau, surtout les plus grands, m’échappèrent constamment ; à peine si je pus m’emparer d’un petit de 2 à 3 livres. Je compris que ces poissons aimaient mieux mes moules que mes caresses. Peut-être, d’ailleurs, notre connaissance était-elle trop nouvelle pour leur inspirer une sécurité parfaite relativement à mon intention.

« En effet, la femme du gardien en prit sans efforts un des plus grands sur ses genoux ; elle le caressa et le flatta, disant : « Pauvre ami ! pauvre ami ! » absolument comme si c’eût été un enfant. Elle lui ouvrit la bouche, et y introduisit une moule que le poisson avala en donnant des signes qu’il la trouvait bonne ; puis elle le remit dans l’eau.

« Je remarquai plusieurs degrés d’apprivoisement parmi les membres de cette famille ; quelques poissons étaient tout à sait familiers, d’autres à demi-domestiqués, d’autres encore presque sauvages. Il est curieux de voir à l’heure des repas, au moment où le gardien apparaît sur la plateforme, ouvrir toutes ces bouches pour recevoir la nourriture quotidienne.

C’est un bruit, une agitation, une rivalité touchante entre les poissons ; c’est à qui gagnera, par sa gentillesse, les bonnes grâces du maître ou de la maîtresse.

« Il y a un fait curieux, c’est que tous les poissons qui restent longtemps dans ce vivier deviennent aveugles. On attribue cette circonstance à ce qu’ils ne trouvent point d’abri, dans cet étang, contre la chaleur et la lumière du soleil. Les eaux sont en effet trop peu profondes, comparées aux abîmes que les morues habitent généralement, dans l’état de liberté. Plusieurs que j’ai vues ainsi privées de la vue, sont entièrement nourries à la main. Ces morues infirmes seraient, en effet, incapables de rivaliser, dans la compétition de la nourriture, avec celles dont les yeux sont sains et clairvoyants. »

Certains poissons semblent ressentir une certaine amitié les uns pour les autres. Une personne qui avait deux dorades de la Chine dans un vase, en ôta une. L’autre refusa de manger, et montra des symptômes évidents de tristesse et de découragement, jusqu’a ce que sa compagne lui fût rendue.

Mais, chose plus étonnante ! nous allons voir un brochet, ce requin des eaux douces qui laisse partout derrière lui une trace sanglante, soudainement touché, comme au fond du cœur, d’un sentiment prononcé de reconnaissance.

« Quand je demeurais à Durham, dit le Dr Warwick, je me promenais un soir dans le parc qui appartient au comte de Stamford, et j’arrivai sur le bord d’un étang où l’on mettait pour quelque temps les poissons destinés à la table. Mon attention se porta sur un beau brochet d’environ 6 livres ; mais, voyant que je l’observais, il se précipita comme un trait au milieu des eaux…

« Dans sa fuite, il se frappa la tête contre le crochet d’un poteau. J’ai su, plus tard, qu’il s’était fracturé le crâne et blessé d’un côté le nerf optique. L’animal donna les signes d’une effroyable douleur ; il s’élança au fond de l’eau, et, enfonçant sa tête dans la vase, tournoya avec tant de célérité, que je le perdis presque de vue pendant un moment. Puis il plongea çà et là dans l’étang, et enfin se jeta tout à fait hors de l’eau, sur le bord. Je l’examinai, et reconnus qu’une très petite partie du cerveau sortait de la fracture du crâne.

« Je replaçai soigneusement le cerveau lésé, et, avec un petit cure-dent d’argent, je relevai les parties dentelées du crâne. Le poisson demeura tranquille pendant l’opération : puis il se replongea, d’un saut, dans l’étang. Il sembla d’abord beaucoup soulagé ; mais au bout de quelques minutes, il s’élança de nouveau et plongea çà et là jusqu’à ce qu’il se rejetât encore hors de l’eau. Il continua ainsi plusieurs fois de suite.

« J’appelai le garde, et avec son assistance, j’appliquai un bandage sur la fracture du poisson ; cela fait, nous le rejetâmes dans l’étang, et l’abandonnâmes à son sort. Le lendemain matin, dès que j’apparus sur le bord de la pièce d’eau, le brochet vint à moi, tout près de la berge, et posa sa tête sur mes pieds. Je trouvai le fait extraordinaire, mais sans m’y arrêter, j’examinai le crâne du poisson, et reconnus qu’il allait bien. Je me promenai alors le long de la pièce d’eau pendant quelque temps ; le poisson ne cessa de nager en suivant mes pas, tournant quand je tournais ; mais comme il était borgne du côté qui avait été blessé, il parut toujours agité quand son mauvais œil se trouvait en face de la rive, sur laquelle je changeais la direction de mes mouvements.

« Le lendemain, j’amenai quelques jeunes amis pour voir ce poisson ; le brochet nagea vers moi comme à l’ordinaire. Peu à peu il devint si docile qu’il arrivait dès que je sifflais et mangeait dans ma main. Avec les autres personnes, au contraire, il resta aussi ombrageux et aussi farouche qu’il l’avait toujours été. »

L’histoire de ce brochet reconnaissant n’est-elle pas de nature à nous donner une idée toute nouvelle des facultés qui ont été accordées aux poissons, et que, généralement, on est loin de leur reconnaître ?


PARASITES DES POISSONS


Il est facile de comprendre que les poissons échappent à toutes les maladies qui se prennent dans l’air et sur terre ; mais, en revanche, ils deviennent la proie d’une infinité de parasites animaux et végétaux, qui rongent les intestins, pénètrent dans leur bouche, se logent dans leur chair ou s’attachent à leurs flancs. La majeure partie des ables porte dans le canal intestinal des ténias ou vers solitaires, et des ligules dans leur abdomen. On les voit quelquefois pris comme de folie, remonter sur l’eau en tournoyant, puis mourir. Ce fait provient de l’invasion du cerveau par un ver blanc filiforme.

La brême possède un véritable assortiment de parasites intestinaux : le brochet, l’anguille, le hareng, l’épinoche, la carpe, le silure, le saumon sont rongés par des vers intestinaux, des pous ou argules foliacés, des helminthes, et cent autres ennemis qui leur causent de cuisantes souffrances ; l’esturgeon a le dichelestium et la hideuse lamproie ; la morue a le cymothoë, que les pêcheurs du Labrador appellent son médecin, parce qu’elle n’en paraît pas affectée ; le maquereau nourrit les lernéides, espèce d’annélides suceurs qui s’attachent à ses branchies ; il y a, en outre, les hypérines, crustacés voisins des crevettines, qui pour la plupart vivent en parasites sur les poissons et les méduses, dont elles sont leur nourriture.

La perche d’eau douce est affectée, durant les mois caniculaires, d’un ver grouillant auquel le docteur Nordmann donne le nom de peste de la perche. Ce parasite s’attaque également à l’achigan et au doré ou sandre. D’ordinaire, il établit son domicile dans l’intérieur de leur bouche, où il se fixe au moyen d’un suçoir destiné à cet usage. Ce suçoir s’implante si avant dans la membrane muqueuse, que, non seulement l’animal ne peut s’en dégager, mais qu’on ne peut extraire ce corps étranger, de vive force, sans rompre ce qu’on appelle le bras du suçoir.

Ces fléaux de la perche se trouvent à leur tour soumis aux incursions et aux tracasseries d’un autre animalcule plus petit qu’eux-mêmes : une mince espèce de mite, un infusoire du genre vorticella en fait sa proie.


CLASSIFICATION DES POISSONS


Pour faciliter l’étude des poissons, les ichthyologistes les ont groupés par classes, sous-classes, ordres, familles, genres, sous-genres, espèces, variétés. Linnée les avait divisés en six ordres, que Cuvier redistribua en neuf ordres, sans avoir pu réaliser le quid desideratum auquel aspirait son génie. Divers savants venus depuis ont modifié sa méthode, entre autres Agassiz, en 1833 ; J. Müller, en 1844 ; Charles Bonaparte, en 1850 ; C. Duméril, en 1856. Les professeurs américains, en particulier ceux du Smithsonian Institute, se targuent d’avoir perfectionné de beaucoup le système de Cuvier. Je décline humblement l’honneur de me prononcer dans cette cause. Ici, la science marchera longtemps à tâtons, appuyée sur le bâton de l’expérience, avant de fixer les groupes d’une manière invariable. Encore faut-il se tenir au courant des méthodes nouvelles, savamment édifiées, du reste. Il n’est plus permis, désormais, d’ignorer les quatre grandes classes d’animaux marins et aquatiques déterminées par le professeur Gill, savoir : 1o les leptocardiens ; 2o les marsipobranchiens ; 3o les élasmobranchiens : 4o les pisces ou poissons proprement dits, qui sont le sujet de ce livre. Ce dernier groupe comprend la plus grande partie des poissons modernes et correspond aux téléostes, aux ganoïdes et aux diptoïdes des auteurs contemporains. Les poissons proprement dits se divisent, d’après les meilleurs ichthyologistes américains, en quatre séries ou sous-classes : chondrostei, holostei, physostomi, et physoclisti ; le premier et le second comprenant presque tous les ganoïdes de Müller, le second et le troisième, les téléostes. Il existe une grande différence dans l’importance de ces groupes, les physostomi et les physoclisti étant fort rapprochés, et les rapports des holostei avec les physostomi sont peut-être plus intimes qu’avec les autres ganoïdes. Toutefois, ces groupes existant dans la nature, il convient de les connaître et de les désigner sous un nom ou sous un autre. Cela viendra de soi, au cours de ce livre.

Au Canada, la loi divise les poissons en poissons francs et en poissons mous, sans les désigner ni les uns ni les autres. Peut-être a-t-on voulu ranger, sous le nom de poissons francs, ceux qui ont des dards osseux aux nageoires, pendant que ceux dont les nageoires sont supportées par des rayons mous portent le nom de poissons mous. Je n’en saurais rien dire. Dans la classification de Cuvier, les premiers figurent sous la dénomination d’acanthoptérygiens, formée de deux mots grecs qui veulent dire petite aile épineuse ; les seconds, sous celui de malacoptérygiens, comprenant près des deux tiers des poissons d’eau douce. Ces derniers se subdivisent en trois familles, comme suit :


1. Malacoptérygiens abdominaux, 5 familles et 86 genres ou sous-genres.


2. Malacoptérygiens subrachiens, 3 familles et 22 genres ou sous-genres.


3. Malacoptérygiens apodes, 1 famille et 17 genres ou sous-genres.


Les Malacoptérygiens abdominaux comprennent le plus grand nombre des poissons d’eau douce.

Les cinq familles qui les composent, sont :

1° Cyprinoïdes ; 2° Esoces ; 3° Clupes ; 4° Salmones ; 5° Siluroïdes.


Les Malacoptérygiens subrachiens sont caractérisés par des ventrales attachées sous les pectorales, et par le bassin immédiatement suspendu aux os de l’épaule. Cette classe comprend trois familles.

1° Gadoïdes ; 2° Poissons plats ou pleuronectes ; 3° Discoboles, tous des poissons de mer.


Les Malacoptérygiens apodes ne renferment que la seule famille des anguilliformes.


Quant à la nomenclature, je l’ai empruntée, tantôt à la science tantôt au vulgaire ; et pour ce qui concerne les poissons canadiens étrangers à l’Europe, je leur ai laissé leurs noms canadiens ou aborigènes.

Au sujet de ce livre, je répéterai ce que de la Blanchère disait de son Dictionnaire des pêches : « Le livre que nous écrivons n’est pas un traité de science pure ; nous l’adressons aux gens du monde surtout, et nous sentons, à chaque pas, la nécessité de leur adoucir les pentes un peu raides de la science ichthyologique, d’autant plus que, par un parti pris déplorable, les mots néo-grecs forgés pour baptiser les divisions et subdivisions des poissons ont une physionomie barbare qu’on dirait faite à plaisir pour dégoûter les profanes d’une étude qui, présentée autrement, serait des plus attrayantes. »

  1. Longévité des Carpes exagérée — Voir rectification à page 510
  2. Pisciculteur émérite.