Poissons d’eau douce du Canada/Tanche

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C. O. Beauchemin & Fils (p. 517-518).

LA TANCHE

Tench (ang.).Cyprinus Tinca


Importée aux États-Unis, peu de temps après la carpe, elle est passée de là dans Ontario où on en dit beaucoup de bien. Un de ces quatre matins, à la longue, elle nous arrivera ici, par la grâce de Dieu, avec l’aide de nos gouvernements, et c’est pourquoi je crois qu’il est à propos d’en parler.

La tanche se reconnaît tout de suite à la grande épaisseur de la partie du corps qui soutient la caudale, ce qui donne au poisson un aspect lourd et courtaud. L’œil paraît petit pour l’animal, il est rouge carmin ; la tête est un peu en grouin ; les lèvres épaisses, le front large.

La couleur du poisson varie d’un brun jaunâtre à un beau ton vert bronzé, suivant les eaux, l’âge, et peut-être le sexe. Les nageoires, généralement violettes, varient également ; le ventre est blanchâtre. On leur a compté jusqu’à 30,000 écailles.

Ce poisson fraie de bonne heure, au printemps ; les œufs éclosent en peu de jours ; à l’heure de la ponte deux mâles conduisent une femelle vers une feuille de potamogeton natans sur laquelle les œufs sont déposés, au nombre de deux à trois mille.

La tanche est douée d’une vitalité extraordinaire, et J. Franklin prétend, de plus, que ni le brochet, ni la perche, ni l’anguille ne mordent au frai de tanche mis en esche. Voici son témoignage, qui vaut la peine d’être cité :


« J’ai vu tendre, pendant la nuit, plusieurs lignes amorcées avec des poissons vivants : gardons, vandoises, ablettes et tanches.

« Or, quand le matin on venait relever ces lignes, on trouvait des anguilles et de jeunes brochets pris aux hameçons garnis avec les autres poissons, mais non à ceux qui avaient des tanches pour appât ; ces dernières étaient au contraire aussi vives qu’au moment où on les avait plongées dans la rivière, la nuit précédente ; tout annonçait qu’elles n’avaient même pas été attaquées. Je cite le fait après en avoir souvent renouvelé l’expérience, et je n’ai trouvé cette règle démentie par aucune exception.

« J’ai consulté mes confrères en l’art de la pêche, et tous m’ont répondu avoir observé comme moi, à quel point la tanche jouissait du droit d’immunité vis-à-vis des attaques que les voraces habitants de l’eau dirigent continuellement contre les autres poissons. »


Deux préjugés contraires existent en Italie, au sujet de ce poisson, l’un qu’il est tellement imprégné de la malaria des marais Pontins que son contact suffit à engendrer la fièvre, l’autre qu’il est doué de propriétés curatives de toutes les maladies des poissons.


« Piscator dit à son disciple Venator : « La tanche est le docteur des poissons, et elle préfère les étangs aux cours d’eau.

« Dans la tête d’une tanche vous trouverez deux petites pierres dont les médecins étrangers font un fréquent usage par application sur les parties souffrantes. Elle est avant tout le médecin du brochet, et celui-ci, par reconnaissance, se laisserait mourir plutôt que d’avaler une tanche. »

Le malachigan va se trouver bientôt — espérons-le — menacé d’une sérieuse concurrence comme médecin, rebouteur, guérisseur en un mot.