Polémique à propos d’enseignement entre M. J.-P. Tardivel et M. C.-J. Magnan/Une dernière réplique à M. Tardivel

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À PROPOS D’ENSEIGNEMENT


une dernière réplique à m. tardicel

(De l’Enseignement primaire du 23 juin 1894.)

I

Nous nous étions promis de ne plus rien dire sur la question actuellement débattue entre la Vérité et l’Enseignement primaire. Mais notre contradicteur revient à la charge, dans son journal du 9 du courant, de telle sorte, qu’il nous faut absolument ajouter un dernier mot.

Le confrère ne cite plus rien du code de l’Instruction publique, document qu’il a fort mal fait connaître à ses lecteurs dans la Vérité du 12 mai dernier, mais il persiste à dire que nos écoles ne sont pas du tout paroissiales, parce que le curé ne fait pas partie de droit de la commission, scolaire. Nous n’avons jamais soutenu que notre système scolaire fût absolument paroissial, notre prétention n’est pas allée au delà de cette expression : “ nos écoles sont plutôt paroissiales que provinciales ”, Et cette assertion nous l’avons surabondamment prouvée : en énumérant les droits absolus et nombreux du curé, ; dans les : écoles de sa paroisse ; en rappelant le rôle prépondérant que NN. SS. les évêques jouent, de droit, dans l’organisation et la gouverne de nos écoles municipales ; en prouvant, loi en main, les prérogatives illimitées et l’entière liberté laissées aux pères de famille dans les choses de l’éducation primaire.

M. Tardivel ne tient nullement compte de ces faits.

Nous avons indiqué pourquoi le système préconisé par notre adversaire n’était pas praticable, bien qu’il fût admirable en théorie. À cela, M. Tardivel répond, en substance, que les autorités religieuses du pays, c’est-à-dire les évêques, ont fort bien pu préférer le système actuel à celui des écoles de fabrique, mais ce fait ne prouve nullement que le système absolument paroissial ne soit pas celui qui convienne le mieux à notre province.

Il nous a toujours semblé, pourtant, que dans les questions de ce genre, les évêques étaient les juges les plus compétents. Et quoiqu’en dise notre ami, la ligne de conduite que l’épiscopat canadien a suivie depuis cinquante ans à l’égard de la question scolaire nous paraît infiniment sage.

Le rédacteur de la Vérité nous demande avec instance : « Quand M. Magnan se décidera-t-il à mettre sous les yeux de ses lecteurs les passages de cette constitution de Léon XIII qui est le fondement, la base même sur laquelle repose notre argumentation » ?

Nous allons nous rendre sans plus tarder au désir du confrère. Voici le passage de la constitution de Léon XIII sur lequel repose l’argumentation de M. Tardivel, et « que, suivant lui, nous n’avons qu’à citer pour régler la question » :

« L’éducation des enfants ainsi entendue — l’éducation chrétienne — doit être du nombre des devoirs imposés à l’évêque, et les écoles en question — les écoles du peuple — comptent parmi les œuvres diocésaines ».

Voilà la doctrine formelle de l’Église. Maintenant, M. Tardivel est-il prêt à soutenir qu’actuellement, les évêques de la province de Québec n’accomplissent pas leurs devoirs et tous leurs devoirs en matière d’éducation ; qu’à l’heure qu’il est les écoles du peuple ne comptent pas parmi les œuvres diocésaines ? Le cas échéant, notre adversaire contristerait, pour ne pas dire plus, le cœur de tous les catholiques du pays et commettrait une profonde injustice en ne reconnaissant pas que l’oeuvre diocésaine dont parle Léon XIII est remplie, dans notre province, par le curé (qui seul est le maître et le juge, de droit, de « l’enseignement chrétien » qui doit se donner en vertu de la loi et qui se donne de fait dans toutes les écoles de sa paroisse.

Nos évêques ont jugé à propos d’appliquer les enseignements de Rome de la manière qui convient le mieux aux besoins de leur pays ; est-ce à M. Tardivel, est-ce à nous de dire s’ils ont fait fausse route ? Voyons, franchement, en matière scolaire, nos chefs spirituels n’ont-ils pas fait, dans la mesure du possible, ce que veut Léon XIII ? Est-il juste d’insinuer, dans de telles circonstances, que nos évêques ne sont pas en communauté d’idée avec le Saint-Siège, quant à la question scolaire ? Les évêques ne sont-ils pas les interprètes réguliers et autorisés des enseignements de l’Église ? Les évêques ne font-ils pas partie de l’Église enseignante ?

Dès lors, M. Tardivel ne commet-il pas une grande imprudence en disant ce qui suit :

« C’est dans les constitutions pontificales, les encycliques et les décrets des saints conciles qu’il faut chercher la vraie doctrine de l’Église ; non dans les discours de celui-ci ou de celui-là, quelque respectables que puissent être ces personnages ».

C’est nous qui soulignons.

Or, ici, M. Tardivel fait allusion aux citations que nous avons faites dans notre article du 1er juin. Et parmi ces citations, il y en a une de Son Eminence le cardinal Taschereau, emprunté à la lettre que cet éminent prélat adressait, en sa qualité d’Archevêque de Québec, en date du 14 septembre 1886, à l’honorable J.-J. Ross, alors premier ministre de la province de Québec. Ce document, signé comme suit : E.-A. Gard. Taschereau, Archevêque de Québec, revêt un caractère auquel les expressions de celui-ci ou celui-là ne peuvent s’appliquer convenablement.

Afin de justifier l’attitude que nous avons prise durant ce débat, à l’égard des rapports de l’Église et de l’État en matière d’éducation, nous allons citer d’autres passages de la lettre de Son Éminence, passages qui n’ont aucun besoin de commentaires, tant ils sont clairs et définis :

« Les propositions 45 et 47 du Syllabus, dit Son Éminence, ont été condamnées parce qu’elles attribuent à l’État le droit exclusif[1] de diriger l’éducation ; mais on ne peut conclure de cette condamnation que l’État doit se tenir en dehors de l’École. Le bon sens dit que l’État est intéressé à ce que la jeunesse soit instruite de manière à former de bons citoyens ; mais en même temps et pour la même raison, l’Église et la Famille ont des droits inviolables que, l’État doit respecter.

“ La bulle Immortale Dei, de Léon XIII[2], sur la constitution chrétienne des États, expose clairement ce principe. Énumérant les devoirs civils des catholiques, il enjoint à ceux-ci « de s’appliquer surtout à faire en sorte que l’autorité publique pourvoie à l’éducation religieuse et morale de la jeunesse, comme il convient à des chrétiens ; de là surtout dépend le salut de la société. »

Dans notre article du 1er mai, nous citions Léon XIII absolument comme Son Éminence le citait en 1886. Cependant M. Tardivel a trouvé que nous avions fort mal cité ce passage de la bulle Immortale Dei, bien que nous n’ayons fait que copier l’illustre archevêque. Que M. le directeur de la Vérité affirme, maintenant, que ses principes sont plus diocésains que les nôtres !

Après avoir cité le passage ci-dessus, Son Eminence ajoute :

« Evidemment, Léon XIII admet que l’État a quelque chose à faire avec l’école ; autrement, il aurait enjoint aux catholiques de voir à ce que l’État n’y mette pas le pied ».

« De ce que certains États abusent de leur pouvoir et tyrannisent l’Église, la famille et la jeunesse, en ce qui concerne l’éducation, il ne s’en suit nullement qu’il faille nier à l’État tout droit dans l’École. S’il faut nier tous les pouvoirs dont l’État peut abuser, il faudra abolir tout pouvoir législatif, judiciaire et administratif. L’anarchie deviendra l’état normal du genre humain ».

Puis, vient ensuite le passage que nous avons cité dans l’Enseignement primaire' du 15 juin et qui conclut à la théorie : l’Église et l’État dans l’École. Enfin son Éminence termine sa lettre par les paroles suivantes :

« Sans doute ces lois (les lois d’éducation de la province de Québec) ne sont pas exemptes des imperfections inhérentes à la pauvre nature humaine, soit dans leur rédaction, soit dans leur mise en force ; mais le temps, l’expérience et la bonne entente entre l’Église et l’État donnent lieu d’espérer qu’on pourra au moins se rapprocher de cet idéal que l’on n’atteindra jamais[3] ».

En 1870, S. G. Mgr Baillargeon, archevêque de Québec, prenait une attitude identique à celle de notre vénéré cardinal, à l’égard de cette importante question de l’éducation de la jeunesse. Voici comment il s’exprimait, au retour d’un voyage à Rome, dans une circulaire au clergé, en date du 31 mai 1870 :

« Jésus-Christ a dit à l’Église : Docete omnes gentes… docentes eos servare omnia quœmcumque mendavi vobis. (S. Mat. XXVIII). À elle seule donc a été confié l’enseignement de la doctrine de Jésus-Christ, depuis les éléments du catéchisme, jusqu’aux plus sublimes vérités de la théologie. Par sa constitution divine, elle a le droit et le devoir de veiller à ce que la foi et les mœurs de la jeunesse chrétienne soient sauvegardées dans les écoles, et que ces biens précieux n’y soient point exposés au danger de se perdre. Et, comme il ne saurait y avoir de droit contre le droit, l’État ne peut jamais entraver l’autorité de l’Église, quand il s’agit de la foi et des mœurs. Pour cet objet, l’Église doit avoir entrée dans les écoles, non par simple tolérance, mais en vertu de sa mission divine ; les lois civiles en cette matière ne créent point de droits nouveaux à l’Église, mais ne font que reconnaître et constater ceux qu’elle tient de son divin Fondateur. Se contenter de moins que cela, serait faiblesse et trahison.

« Voilà pourquoi une des plus pernicieuses erreurs de notre siècle, est celle qui prétend soumettre l’éducation de la jeunesse à la direction exclusive de l’État, de telle manière que l’Eglise n’y ait plus d’autorité pour sauvegarder la foi et les mœurs de ses enfants. On veut des écoles sans Dieu et sans religion. C’est là ce qu’a voulu condamner Pie IX, dans les 45e et 47e propositions du Syllabus.

« Mais partir de la condamnation de ces propositions pour refuser à l’État toute intervention dans l’instruction littéraire et scientifique de la jeunesse, en tant que la fin légitime de la société et le bien commun le demandent ; pour stigmatiser comme usurpation sacrilège toute loi civile concernant l’éducation de la jeunesse ; pour, dire enfin, que, par sa constitution divine, l’Église doit avoir seule la direction positive des écoles, même en ce qui concerne les lettres et les sciences naturelles, ce serait méconnaître à la fois la logique et l’enseignement des docteurs les plus autorisés ».

Il est bon de se rappeler que la lettre de Son Éminence le cardinal Taschereau et la circulaire de Mgr Baillargeon, dont il est fait mention plus haut, ont été également écrites à la suite de vives discussions se rapportant au sujet actuel.

Ainsi nourri des enseignements de nos évêques, appuyé sur la loi actuellement en vigueur, nous avons demandé « s’il serait opportun, dans notre province, de rejeter absolument l’État hors de l’École », et affirmé « que notre système scolaire est plutôt paroissial que provincial ». En présence d’une telle attitude, M. Tardivel dit : « C’est dans les constitutions pontificales, les encycliques, etc., qu’il faut chercher la vraie doctrine de l’Église ».

Soit. Mais en nous guidant sur les enseignements des évêques de notre pays, interprètes réguliers et autorisés de l’Église, n’avons-nous pas agi aussi sagement que notre confrère qui a cité et commenté lui-même les textes de la Constitution apostolique du 8 mai 1881 ? Il est vrai que nous ne possédons ni la science ni l’expérience de notre respecté contradicteur, mais enfin, il est dans l’ordre, ce semble, que les fidèles, les laïques surtout, ne doivent prendre connaissance des documents pontificaux que dépendamment de leur Ordinaire. C’est ce que nous avons fait, rien de plus. Que M. Tardivel veuille bien remarquer que nous ne lui reprochons pas d’avoir agi autrement que nous durant ce débat ; car nous n’avons nullement le droit de lui faire la leçon ; non, nous ne faisons que défendre la ligne de conduite que nous avons cru devoir suivre en cette circonstance.

II

Dans un autre endroit de sa réponse, notre confrère dit :

« Ce qui nous sépare, c’est que notre confrère trouve que nos écoles sont déjà paroissiales, tandis que nous soutenons qu’elles ne commenceront à l’être que lorsque la loi sera complétée de façon à faire entrer de droit dans le bureau d’éducation de chaque paroisse le chef de la paroisse »

Eh bien ! nous croyons avoir démontré pourquoi l’État, chez nous, n’a pas encore voulu imposer aux curés la présidence des commissions scolaires, tout en leur facilitant le plus possible l’accès de ces mêmes commissions. C’est aux évêques à décider dans quelles mesures les curés doivent prendre part à la gouverne matérielle des écoles, nous ne parlons pas ici de la gouverne religieuse de l’école qui, de par la loi, appartient absolument aux pasteurs des paroisses. Jusqu’à présent, depuis l’essai infructueux des écoles de fabrique, système qui fonctionna de 1824 à 1842, nos évêques ont jugé à propos, vu le caractère de notre peuple, de laisser chaque curé maître de l’attitude qu’il doit prendre à l’égard du bureau d’éducation paroissiale. Le temps est-il arrivé de mettre en force le système idéal, c’est l’expression de Son Éminence le cardinal Taschereau, que préconise M. Tardivel, sans s’inquiéter de la manière de voir de nos évêques à ce sujet ? — Nous ne le croyons pas. Le Quotidien de Lévis, du 4 juin 1894, nous rapporte ce qui s’est dernièrement passé à Rimouski, à propos de la construction d’une école.

Nous reproduisons ce récit en lui conservant son caractère tout à fait réaliste :


RÉSISTANCE À L’AUTORITÉ


Une bataille acharnée entre constables et prisonniers à Rimouski


« Un citoyen de Rimouski, de passage ici, rapporte que ces jours derniers, cette paroisse a été le théâtre d’une scène sanglante dans laquelle cinq citoyens ont reçu des blessures graves.

« Un très sérieux différend se serait élevé parmi les habitants du rang Sayabec à propos de la construction d’une maison d’école. C’est toujours la même histoire : les habitants de cette localité étaient divisés en deux groupes ; l’un voulait la construction de l’école à tel endroit ; l’autre désirait la faire construire dans une autre partie du rang.

« Finalement, l’école fut construite. Mais le parti opposé à ce qu’elle fût élevée là où elle est maintenant digéra mal sa défaite.

« Il y a quelque temps, cinq des oppositionistes, des cultivateurs à l’aise et bien posés, se laissèrent emporter à tel point qu’ils allèrent pendant la nuit enlever les portes et les fenêtres de l’école. Ce fut tout un scandale dans cette partie de la paroisse. Leurs adversaires décidèrent de les faire punir et allèrent de suite à Rimouski faire émaner des mandats d’arrestation contre les cinq cultivateurs en question.

« Ceux-ci, en apprenant cette nouvelle, se rendirent aussitôt à Rimouski, pour donner caution et consulter un avocat. Ils mirent leur cause entre les mains de M. Asselin. Mais pendant que l’avocat était à considérer l’affaire avec ses clients, le constable Gauvreau se présenta pour exécuter les mandats d’arrestation. Après pourparler, les inculpés étant prêts à donner caution et le magistrat étant absent on décida que l’on attendrait son retour.

« Il est probable que les adversaires des accusés ont insisté pour faire opérer l’arrestation sans délai, car le constable s’est présenté au bureau de M. Asselin peu de temps après pour exécuter son mandat. Les accusés se défendirent, et le constable fut mis à la porte. Il revint vers minuit avec de l’aide, mais ne fut pas plus heureux que la première fois.

Il se présenta de nouveau au bureau de M. Asselin, vers 3 heures du matin, accompagné d’une vingtaine d’hommes bien décidés cette fois d’en avoir raison. Les cinq cultivateurs résistèrent et il s’en suivie une bagarre acharnée pendant laquelle ils furent roués de coups et blessés grièvement. Deux eurent chacun un bras de cassé ; les autres reçurent des blessures non moins graves. De plus, le bureau de M. Asselin fut complètement bouleversé pendant la bataille.

« Finalement les assiégés durent se rendre. Tous les cinq furent faits prisonniers ».

Ce qui vient de se passer à Rimouski, événement qui a pour cause des conditions tout à fait paroissiales, arrive assez souvent dans plusieurs de nos paroisses canadiennes. Ne voyons-nous pas de suite que le curé avec sa liberté de ne pas entrer dans la commission scolaire, s’il le juge à propos, et ses droits entiers, absolus que la loi lui donne dans les écoles, jouit d’une influence bien plus grande sur les choses de l’éducation, que s’il était obligé de descendre dans l’arène des contribuables dont il mécontenterait inévitablement une fraction et même serait très souvent obligé de céder aux caprices et aux préjugés de la majorité de la commission. Ne voit-on pas de suite combien il lui serait difficile, du haut de la chaire, de prêcher la paix et la concorde, quand lui-même se serait prononcé, par son vote, en faveur d’un parti ou de l’autre. La position qu’il occupe aujourd’hui est bien préférable, non pour lui seulement, mais pour le plus grand bien de la religion.

D’ailleurs, pour qu’une école soit plutôt paroissiale que provinciale, est-il nécessaire que le curé, de droit, s’occupe de l’emplacement des écoles, de leur construction et de leur ameublement ? Le fait pour le clergé du Bas-Canada, d’être le juge unique, en première instance, du choix des candidats au brevet d’enseignement, soit devant les bureaux d’examinateurs ou dans les écoles normales, et du choix, également, des inspecteurs d’écoles ; d’être les visiteurs et inspecteurs, de droit, des écoles de leur paroisse avec mission de choisir les livres qui regardent la morale et la religion, et par le fait même muni du pouvoir nécessaire pour refuser l’entrée, dans ces écoles, de tout livre profane qui contiendrait quelque chose de contraire à la morale ou à la religion ; d’être, de tous les visiteurs d’écoles, le seul qui soit chargé, par la loi, de veiller à la conduite morale et religieuse des élèves, et partant de celle des instituteurs et des institutrices, tout cela ne constitue-t-il pas un ensemble admirable qui nous permet d’affirmer catégoriquement que « nos écoles sont plutôt paroissiales que provinciales » ?


III


Plus loin, M. Tardivel, comparant les résultats obtenus par les écoles de fabrique et les écoles municipales, trouve que les premières n’ont pas fonctionné assez longtemps[4] :

« Douze ans, ce n’est pas une époque bien longue dans la vie d’un peuple ! Qui nous dit que si l’on avait maintenu le système des écoles de fabrique, des écoles paroissiales jusqu’à nos jours, les évêques et les prêtres ne seraient pas venus à bout de réveiller suffisamment le zèle de nos populations » ?

Il est évident que douze ans ce n’est pas une époque Dion longue dans la vie d’un peuple. Mais puisqu’il s’agit de comparer les résultats obtenus par les deux systèmes, que l’on nous permette ici de mettre quelques statistiques sous les yeux de nos lecteurs.

De 1824 à 1836, sous le système paroissial, 68 écoles sont établies en vertu de la loi des écoles de fabrique.

De 1841 à 1894, 4200 écoles sont établies sous le système des municipalités scolaires. Ce qui représente donc le nombre de 1050 écoles créées durant chaque période de douze années. D’après ce qui précède, il est difficile de dire, avec M. Tardivel, que le système absolument paroissial aurait fini par avoir raison de l’entêtement de la population. Que l’on veuille bien se rappeler que le système que nous possédons maintenant n’a fonctionné et ne fonctionne encore actuellement, d’une manière passable, que grâce aux efforts conjoints de l’Église et de l’État.

Lorsque nous déplorons le peu de résultats obtenus par nos écoles primaires, ce n’est pas que nous voulions dire que le système actuel n’ait fait aucun bien. Non, nos plaintes visent surtout la triste situation qui est faite à l’instituteur en notre province. Quant au nombre d’écoles, il est plus que suffisant, et la quantité d’élèves qui fréquentent les classes est bien proportionnée à notre population. Ce n’est point là le point faible du système ; ce point faible se trouve tout entier dans l’impossibilité matérielle où se voient ceux qui se sentent attirés par vocation vers l’enseignement, à entrer dans cette carrière ou d’y persévérer s’ils y sont entrés. Et cette carrière enseignante, qu’il convient de créer en faveur de ceux qui se consacrent à l’instruction primaire de la jeunesse, c’est au père de famille qu’il est donné, en vertu de notre loi, de l’établir et de la rendre digne d’un corps enseignant éclairé et respectable ; car les parents, réunis en municipalités scolaires, ont seuls le droit, chez nous, de choisir, d’engager, de payer comme ils le veulent, ou de congédier les instituteurs et les institutrices. L’État n’a rien à voir là-dedans, sinon d’offrir des encouragements dont profite qui le veut bien. Voilà pourquoi nous avons accusé l’esprit public d’être la cause du peu de résultats obtenus dans nos écoles primaires ; voilà pourquoi nous avons prétendu que ce manque d’esprit public qui caractérise notre peuple ne provient pas de ce que l’Etat se soit emparé du droit des parents en matière d’éducation, attendu que les pères de familles, en notre pays, sont les rois et les maîtres de l’éducation de leurs enfants, comme cela est conforme, d’ailleurs, au droit naturel. Dans la province de Québec, nous le répétons, l’État, en matière scolaire, ne fait que prévenir et réparer les abus, encourager l’éducation et stimuler le zèle des municipalités scolaires.

C’est là un rôle que personne ne lui conteste. Or, pour le remplir efficacement, il faut de toute nécessité qu’il pénètre dans l’école, non pour diriger et contrôler, mais pour surveiller et s’assurer si les argents qu’il donne aux fins d’éducation publique sont convenablement employés. De là la nécessité de notre département de l’Instruction publique, qui n’est ni plus ni moins qu’un bureau de statistiques.

M, Tardivel répond à cela : « mais comment se fait-il que le système que vous défendez n’ait pas encore réussi à guérir le mal dont vous vous plaignez, bien qu’il soit en force depuis un demi-siècle » ? Nous allons démolir cette objection en réfutant la proposition suivante du rédacteur de la Vérité :

« Du reste, les Canadiens-français n’ont pas à rougir de cette époque (Époque qui précéda l’Union). Les écoles étaient sans doute moins nombreuses alors, par rapport à la population, qu’elles le sont aujourd’hui. Il y avait à cette époque plus d’illettrés que de nos jours, moins d’instruction profane ; mais il y avait infiniment plus d’hommes de caractère, plus de fierté nationale, plus de foi vive, plus de patriotisme, plus de politesse, plus de bonne éducation religieuse et domestique. En un mot, les Anciens Canadiens étaient supérieurs, sous tous les rapports, aux Canadiens modernes ; et nous ne pouvons nous empêcher de croire qu’il aurait été préférable de garder nos écoles paroissiales et de les développer, plutôt que de les abolir virtuellement, pour les remplacer par les écoles publiques modernes ».

D’après ce qui précède, M. Tardivel veut évidemment mettre l’abaissement du niveau de nos mœurs politiques au crédit de la petite école. Nous repoussons de toutes nos forces une semblable affirmation. Le caractère de nos hommes publics a commencé à s’amoindrir le jour où les partis politiques furent organisés, c’est-à-dire vers 1848. Et depuis la Confédération, surtout, vingt-sept ans après l’établissement de notre système d’éducation actuel, qui n’est nullement moderne dans le sens donné par le confrère, l’esprit public a été absolument accaparé par l’industrie politique. À partir de cette époque, il n’y eut plus que des bleus et des rouges ; le but suprême de la plupart des hommes politiques fut le pouvoir, le patronage officiel, la soif de l’or et des honneurs. La presse salariée et la corruption électorale sous toutes ses formes furent mises à profit dans tous les endroits du pays. La politique de parti, voilà l’obstacle le plus formidable qui se soit dressé et qui se dresse encore entre la petite école et l’esprit public ! À l’heure qu’il est, que les Canadiens-français secouent le joug de la partisannerie à outrance, et ils verront que les hommes de caractère ne leur feront pas défaut. Il en coûte aux âmes d’élite de descendre dans une arène où grouillent tous les plus vils instincts de la politiquerie. Voilà pourquoi les différents partis politiques de notre pays comptent dans leurs rangs si peu d’hommes réellement désintéressés.

Les anciens Canadiens pouvaient être supérieurs, au point de vue de l’éducation, aux Canadiens d’aujourd’hui, mais ce n’était pas au point de vue religieux, assurément, car plusieurs des hommes marquants de la dernière génération étaient entachés d’une forte teinte de voltairianisme. La Pléiade rouge, l’Institut-canadien de Montréal, le fait de certains chefs de notre nationalité mourant sans s’être réconciliés avec l’Église, tout cela ôte bien de la valeur à l’affirmation de notre confrère. Puis, aux jours sombres de 1837-38, n’avons-nous pas vu les six comtés de Montréal rester sourds aux enseignements et aux menaces de leur évêque, Mgr Lartigue ? tandis qu’en l’an de grâce 1894, les Canadiens modernes de ce même diocèse de Montréal, à la voix de leur digne archevêque, repoussent avec courage une Revue qui, après avoir atteint une circulation de près de quatre mille exemplaires dans l’espace de quelques mois, tombe à plat, puis bat de l’aile en attendant son dernier soupir ? Il y avait plus de foi vive, dit M. Tardivel, à cette époque qui précéda l’Union des deux Canadas. Voilà encore une assertion très contestable. Il est notoire que nos communautés religieuses n’ont commencé à se multiplier d’une manière étonnante qu’à partir de 1842. À cette époque, il n’y avait que sept ou huit collèges classiques dans la province, moins de cent couvents, une vingtaine d’hôpitaux et d’asiles, cinq ou six communautés religieuses de femmes, une seule congrégation enseignante d’hommes, celle des Frères des Ecoles chrétiennes en très petit nombre alors.

Dès 1867, les collèges classiques atteignent le chiffre de 15, celui des couvents enseignants de 200 ; 13 collèges industriels et 3 écoles normales, confiés à la direction exclusive de religieux et de prêtres, sont aussi en opération.

En 1894, nous retrouvons 18 collèges classiques, 8 séminaires, 1614 pensionnats académiques, dont plus de mille sont sous la direction des communautés religieuses de femmes et les autres confiés à diverses congrégations religieuses d’hommes. Vers 1840, on ne comptait dans la province qu’une seule congrégation religieuse d’hommes, 5 ou 6 congrégations religieuses de femmes, à peine une vingtaine d’hôpitaux et d’asiles. Aujourd’hui, huit congrégations d’hommes prospèrent chez nous, seize communautés de femmes rivalisent dans l’œuvre de Dieu, et quarante-quatre hôpitaux et asiles consolent et soulagent les tristes misères de l’humanité.

Vers 1842, les instituteurs religieux, hommes et femmes, n’atteignaient pas le chiffre de 1000. En 1894, nous saluons avec bonheur dans la province de Québec 3235 instituteurs et institutrices religieux, tandis que le corps enseignant laïc, professeurs, instituteurs et institutrices brevetées et non brevetées comprend 6,075 membres. Et les pèlerinages, ces explosions sublimes de foi catholique, depuis quand font-ils la consolation et le bonheur de presque toutes les paroisses du Bas-Canada, sinon depuis un quart de siècle, tout au plus. N’est-il pas consolant de voir les Canadiens modernes se rendre par centaines de mille, chaque année, à Sainte-Anne-de-Beaupré, témoigner avec éclat de.leur foi profonde et de leur attachement à la Grande et Sainte patronne de notre cher Canada ! N’est-il pas consolant ce spectacle des Canadiens modernes, garçons et filles, renonçant au monde, quittant plaisirs et famille pour s’ensevelir vivant au sein de nos admirables communautés religieuses ! N’est-il pas vrai que les vocations religieuses abondent en notre pays, que nos couvents sont remplis de novices, de sœurs converses et de religieuses, et que nos diocèses, fournissant chacun bien plus de prêtres qu’il ne leur en faut, envoient, chaque année, nombre de missionnaires aux États-Unis, au Nord-Ouest et jusque dans les contrées lointaines de l’Afrique et de l’Asie ? Tous ces faits sont indéniables.

Non, il n’est pas juste de peindre les Canadiens actuels sous un jour aussi sombre que M. Tardivel s’est plu à le faire. Les Anciens Canadiens avaient une foi plus passive que les Canadiens modernes, mais ces derniers font preuve d’une foi plus vive, plus active que leurs aînés.

À l’encontre de notre distingué confrère, nous soutenons donc que nos écoles municipales, nos écoles primaires ont surtout servi la cause de la religion depuis cinquante ans. Sans les écoles d’arrondissement, il aurait été impossible de doter presque chaque paroisse d’un couvent ou d’une école de Frères. Nos écoles municipales ont été et sont encore les véritables canaux qui conduisent notre jeunesse dans les écoles supérieures, appelées collèges et couvents chez nous. Et cette oeuvre s’est accomplie sous la protection et avec l’aide de nos lois scolaires. Afin d’encourager les pères de famille à envoyer leurs enfants aux écoles supérieures, la loi exempte de la rétribution mensuelle tous ceux qui fréquentent les collèges et les couvents. (Voir art. 277 du Code de l’Instruction publique et art. 2072 des S. R. P. Q.)

Reste la question d’éducation de famille. Certes, nous avouons avec chagrin que notre peuple a perdu nombre des qualités qui lui donnaient un cachet tout particulier sentant le terroir, si je puis m’exprimer ainsi. Mais ce cachet, ce n’est pas toute l’éducation. Nos pères, à ce point de vue, n’étaient pas irréprochables. Autrefois, par exemple, chaque élection donnait lieu à des scènes réellement barbares ; le jour de la votation ce n’était ni plus ni moins qu’une véritable boucherie : c’était au fameux temps des bullys, des hommes forts. On se battait sans raison entre amis, voisins et fréquemment entre frères, pères et fils.

Aujourd’hui, sauf quelques exceptions, le peuple ne s’excite guère plus, quand l’époque du scrutin arrive, qu’en un grand jour de foire ou d’exposition régionale.


IV


« M. Magnan, dit notre confrère, dans les efforts qu’il fait pour prouver que notre système scolaire est plutôt municipal que provincial, nous reproche d’avoir mal cité les statuts. Nous avons reproduit les dispositions de la loi que nous avons invoquées, d’après le Code de l’Instruction publique préparé par M. Paul de Cazes, Cet ouvrage doit être très exact. Nous ne prétendons pas avoir tout cité, mais nous n’admettons pas qu’on puisse nous accuser n’avoir attribué à l’autorité provinciale le moindre pouvoir que la loi ne lui accorde pas en réalité ».

Non seulement M. Tardivel n’a pas cité le Code tout entier, ce qui n’était pas nécessaire, mais il n’a même pas cité en entier les articles qui ont servi de bases à son argumentation. C’est ainsi qu’après avoir reproduit les six dernières lignes de l’article 2055, le rédacteur de la Vérité s’écrie triomphalement que les pouvoirs du Surintendant de l’Instruction publique sont presque égaux à ceux du Grand Turc. Tandis qu’en lisant complètement cet article 2055, on constate avec plaisir, que le Surintendant n’intervient dans les choses scolaires que lorsqu’il y a division, contestation, et que les contribuables le demandent. N’était-ce pas là « attribué à l’autorité provinciale » un pouvoir bien plus ample que celui « que la loi lui accorde en réalité » ? Dans son article du 12 mai, M. Tardivel a aussi confondu la municipalité locale avec la municipalité scolaire ; ce qui est très grave dans le débat actuel, attendu que nos municipalités scolaires ne sont rien autre chose quer l’association volontaire des pères de famille en vue de l’éducation de leurs enfants. Cette disposition de la loi constitue pour nous un argument important, à l’appui de notre thèse : « que nos écoles sont absolument municipales et plutôt paroissiales que provinciales » ”. En pareille occurence, notre confrère ne doit pas trouver étrange que nous lui reprochions d’avoir mal cité les statuts « dans les efforts qu’il fait pour prouver » que notre organisation scolaire est incompatible avec les principes de l’Eglise.

D’ailleurs, si nous voulons sincèrement améliorer notre système d’enseignement dans le sens du bien, n’importe-t-il pas de connaître parfaitement ce que nous possédons maintenant. Avant de chercher à détruire, sans le connaître parfaitement, l’édifice que l’Église et l’État ont élevé au prix d’efforts considérables, que n’essayons-nous pas d’en corriger les défauts, de le perfectionner de manière à ce qu’il n’offre aucun danger pour l’avenir ?


V


L’argument le plus fort de M. Tardivel, argument qui est propre à bouleverser un grand nombre de personnes, se trouve dans les deux passages que nous allons citer dans toute leur intégrité :

« M. Magnan ne doit pas oublier que le Conseil de l’Instruction publique fait partie du pouvoir provincial, du pouvoir civil. C’est une institution créée par l’État et que l’État peut défaire demain. Sans doute, les évêques y siègent aujourd’hui, mais c’est en vertu d’une loi civile. Un « amendement » de deux lignes, de deux mots, voté par la législature, peut leur fermer la porte de ce Conseil qui, c’est puéril de le nier, possède, avec le Surintendant, le contrôle pour ainsi dire absolu sur toutes les écoles de la province.

Les évêques siégeant au Conseil de l’Instruction publique avec un nombre égal de laïques et présidés par un laïque, sont toujours des évêques et ont droit au respect ; mais, enfin, ils n’y siègent pas en évêques, ils n’y exercent pas leur autorité épiscopale. Quand le comité catholique du Conseil de l’Instruction publique parle, ce n’est pas l’Église qui parle, mais un corps très respectable, si l’on veut, mais de création civile ».

Et un peu plus loin :

“ Les Évêques, confirmés par Pierre, agissant comme évêques dans leurs diocèses respectifs, ou réunis en concile, constituent l’Église enseignante. Présidés par M. Ouimet et votant à côté de MM. Masson et Langelier, ils forment partie d’un corps civil. Aujourd’hui, ce conseil de l’Instruction publique, par sa composition, sans être l’Église, inspire de la confiance aux parents. Demain, il peut être composé tout autrement et devenir entre les mains du gouvernement un instrument d’odieuse persécution ».

Les mots soulignés l’ont été par M. Tardivel.

Tout ce qui précède serait d’une vérité écrasante si l’État, en notre province, s’était emparé de l’éducation primaire pour en faire sa chose à lui et avait jamais prétendu que ses droits, en cette matière, « outrepassaient » ceux de l’Église. De même que nous nous assurons de la qualité de l’eau, en remontant jusqu’à la source qui la fournit, de même nous allons connaître les principes qui ont présidé à l’établissement de notre système scolaire, en jetant un rapide coup d’œil sur l’époque qui suivit immédiatement l’insurrection de 1837-38.

Au lendemain de ce triste, drame, l’anarchie législative régnait dans le Bas-Canada. Toutes les lois existantes avaient été abolies, et en 1838 le régime martial proclamé. Notre province ne possédait aucune organisation scolaire. Les évêques du temps, après avoir fait l’essai du système paroissial, de 1824 à 1836, exprimèrent le désir que l’État leur vînt en aide dans l’œuvre de l’éducation primaire. L’influence spirituelle seule n’avait pas suffi, il fallait le glaive pour accomplir l’œuvre de Dieu et de l’Eglise. Les circonstances servirent à souhait l’épiscopat canadien. À cette époque, sir H. Lafontaine, ce grand patriote d’impérissable mémoire, aidé de son illustre lieutenant A.-N. Morin, était aux prises avec l’Union, cette hydre redoutable que l’Angleterre avait dressée sur les bords du Saint-Laurent dans le but évident de noyer notre nationalité dans les flots du fanatisme saxon. Lafontaine, peu de temps auparavant, s’était séparé publiquement de la fraction turbulente de son parti. Et l’on fut alors témoin d’un rapprochement heureux entre cet homme et le clergé de l’époque. Grâce à cette protection qui fut accordée avec tant de raison à l’immortel champion des droits canadiens-français sous l’Union, l’on vit s’accomplir, en quelques années, ce que l’on avait tenté en vain et à maintes reprises depuis 1791 : la langue française fut rétablie comme langue officielle, la responsabilité ministérielle reconnue, la décentralisation judiciaire devint un fait accompli et la décentralisation municipale débarrassa à jamais les populations rurales du régime autocratique des conseils de district. Lafontaine et Morin, soit qu’ils fussent dans le gouvernement ou dans l’opposition, favorisèrent toujours les intérêts de l’instruction primaire. Les lois de 1841, 1842, 1846, 1849 et 1850 furent successivement passées, se complétant les unes les autres. Dans toutes ces lois, l’organisation paroissiale du Bas-Canada avait été heureusement choisie comme la base et le cadre de l’organisation scolaire.

« Cette organisation paroissiale, dit M. Chauveau, dont les immenses avantages pour les populations canadiennes ont été si bien décrits par M. Rameau, servait heureusement la direction de l’instruction publique dans les endroits où l’influence du curé et des autres amis de l’éducation prédominait ; au contraire, dans d’autres endroits où la masse aveugle résistait à tous les efforts, elle se trouvait propre à paralyser le bon vouloir des minorités ».

Ce fut pour ramener ces paroisses récalcitrantes à de meilleurs sentiments que le pouvoir de créer de nouvelles municipalités scolaires, lorsqu’un groupe important d’habitants se montrait disposé à construire des écoles, fut donné au gouverneur en conseil.

« Les bienfaits de la subvention du gouvernement, continue M. Chauveau, l’exemple d’une bonne école, portaient bientôt leurs fruits, et, le mouvement se propageant, il n’était pas rare de voir, section par section, des paroisses entières finir par se soumettre à l’opération de la loi, tandis qu’il aurait été impossible d’y établir jamais une seule école, si l’on eût attendu pour agir le concours de la majorité des contribuables, dans la circonscription primitive ».

Sans cet entêtement de nombre de paroisses, on n’aurait jamais remplacé le mot paroissial par l’expression municipal.

À mesure que les lois d’éducation étaient promulguées, les évêques les commentaient favorablement et les appuyaient énergiquement dans des mandements qui resteront. Ceux des évêques Signay et Bourget, surtout, les paroisses interdites par ce dernier, parce qu’elles ne voulaient pas se soumettre à la loi scolaire, la réunion imposante du clergé de Montréal, en 1850, relativement à cette matière, l’attitude unanime de l’épiscopat et du clergé de l’époque à l’égard de notre système d’éducation, tous ces faits témoignent à l’évidence que l’État, dans la province de Québec, ne s’est pas emparé de l’éducation de la jeunesse, mais qu’il n’a fait qu’obéir à l’Église en se rendant au désir de ses représentants autorisés. En présence de ces faits, le caractère odieux de la loi civile régissant les choses de l’éducation en vertu du faux principe de l’omnipotence de l’État, ne convient donc pas à la législation scolaire de notre pays, puisque l’Etat, chez nous, n’a fait servir son glaive que pour venir en aide à l’Église, dont les peines spirituelles seules étaient insuffisantes à stimuler le zèle des parents en faveur de l’éducation de leurs enfants. Et l’État ayant accepté la tâche, comme c’était d’ailleurs son devoir de le faire, d’établir des écoles primaires, devait accomplir son œuvre avec le plus de prudence possible.

À cette fin, il institua des commissions scolaires, véritables bureaux d’éducation locaux, qui furent, jusqu’en 1859, les seules organes de notre loi d’éducation. À cette date, il y avait dix-huit ans que le système fonctionnait. Ce système avait déjà produit d’immenses résultats, grâce au dévouement de feu M. le Dr Meilleur, premier Surintendant de l’Éducation en notre province. Mais le mouvement manquait d’ensemble. Nombre de paroisses étaient le théâtre de troubles regrettables au sujet de l’établissement des écoles, plusieurs commissions scolaires elles-mêmes étaient devenues ennemies de l'éducation en s'insurgeant contre les injonctions des évêques et les sages conseils de leur curé. Il est facile de voir qu’à la suite des interdictions jetées par Mgr Bourget sur certaines paroisses du diocèse de Montréal, et les scènes disgracieuses dont celles de St-Michel-d’Yamaska, de St-Grégoire, de St-David, de Ste-Monique, de Beaumont, de St-Henri-de-Lauzon, de Berthier, de Saint-Jean-Chrysostôme, etc., furent témoins, les autorités publiques jugèrent à propos de venir en aide aux municipalités scolaires, car peu de temps après ces événements, en 1859, on créait le Conseil de l’Instruction publique, dont la mission unique fut d’éclairer, de guider et d’aider les commissions scolaires dans l’accomplissement de leurs devoirs.

De 1859 à 1869, le rôle de ce conseil se borna à peu de choses. À cette époque, c’était encore sous l’Union, l’influence anglaise était très grande dans le Parlement uni. Voilà pourquoi, jusqu’en 1869, le nombre des membres catholiques et des membres protestants du Conseil de l’Instruction publique avait été à la discrétion du gouvernement. Dès la deuxième session du premier parlement de Québec, sous la Confédération, la composition de ce corps fut profondément modifiée : les membres catholiques et les membres protestants formèrent deux comités séparés auxquels sont renvoyés les affaires du ressort du conseil. Ce fut, pour notre province, le plus grand bienfait que lui valut le pacte fédéral, celui de s’occuper à son gré des choses de l’éducation. Dès lors, le caractère catholique de nos lois scolaires s’accentua d’année en année. Le nombre des catholiques dans le conseil fut porté à quatorze, puis à dix-huit, jusqu’à ce qu’enfin les évêques y entrèrent en 1875. Cet événement fut salué avec joie par tous les vrais catholiques du pays.

La composition actuelle de ce conseil prouve qu’il ne fut réorganisé qu’après entente préalable entre l’autorité religieuse et l’autorité publique ; car, tous les évêques canadiens de l’époque y entrèrent, dès qu’il fût ainsi formé. Il est assez difficile de croire que des hommes de la trempe des évêques Taschereau, Laflèche, Moreau, A. Racine, etc., commirent l’énorme faute d’accepter en aveugle le rôle de membre d’un Conseil d’Instruction publique qui, au dire de M. Tardivel, n’est ni plus ni moins qu’une branche ordinaire du service civil. Non ! À l’honneur de notre pays, les évêques de la province de Québec ne sont pas à la peine d’abdiquer leur caractère d’évêque avant de franchir le seuil de la salle des délibérations du Conseil de l’Instruction publique. Ils font partie de droit de ce corps, uniquement parce qu’ils sont évêques. En prenant part aux délibérations de ce conseil, ils parlent comme évêques, ils agissent comme « représentants des convictions religieuses des parents catholiques », suivant l’expression fort juste que je trouve dans les admirables résolutions que viennent d’adopter les évêques catholiques de la province de Westminster, en Angleterre.

Quand nos évêques parlent au sein du Conseil de l’Instruction publique, ils ont toujours le soin de dire : « Comme évêques, nous ne pouvons pas accepter une proposition semblable ; en notre qualité d’évêques nous ne pouvons souscrire à un tel principe », Cette attitude de nos évêques est logique, conforme au caractère originaire de notre loi scolaire et d’accord avec les dispositions du Code de l’Instruction publique. Les évêques sont si bien membres du Conseil de l’Instruction publique à titre d’évêque, d’Ordinaire diocésain, que non seulement ils font partie de ce corps de droit, mais ils ne sont même pas nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil ; leur titre d’évêque seul leur ouvre à deux battants les portes du Conseil de l’Instruction publique. Plus que cela, les administrateurs des vicariats apostoliques catholiques romains jouissent du même droit que les évêques en titre, ce qui prouve, une fois de plus, que l’esprit de la loi veut clairement que ce soit le diocèse catholique et non les catholiques en général que l’évêque représente dans le Conseil de l’Instruction publique.

Enfin, c’est tellement comme chefs spirituels de leur diocèse respectif, comme représentants de l’Église que nos évêques siègent au Conseil de l’Instruction publique que ; « s’ils ne peuvent assister aux séances du Conseil ou du comité dont ils font partie, ils ont le droit de s’y faire représenter par un délégué, qui jouit de tous les droits et exerce tous les pouvoirs de celui qui l’a nommé ». Voir art. 54 du Code et art. 1908 des S. R. P. Q. S’il en était autrement, si chaque évêque ne représentait pas, dans le Conseil, le diocèse dont il est l’Ordinaire, s’il siégeait au sein de cette assemblée au même titre que les membres laïcs, qu’aurait-il besoin de posséder de plus amples prérogatives que ces derniers ? Si les membres laïcs sont malades, absents ou s’ils viennent à mourir, la loi ne pourvoit en aucune façon à les faire représenter aux séances auxquelles ils ne peuvent prendre part.

Dans les deux premiers cas ci-dessus indiqués, les évêques ont le droit de se faire représenter par un délégué de leur choix, et en cas de mort, c’est l’administrateur du diocèse qui remplace le défunt au Conseil en attendant la nomination de son successeur. La condition des laïcs est tellement inférieure à celle des évêques dans le Conseil, que les premiers sont nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil, qu’ils ne jouissent d’aucun des privilèges que je viens d’énumérer, et que « dans l’accomplissement de leurs devoirs, ils sont sujets aux ordres et aux instructions légitimes que leur adresse le lieutenant-gouverneur en conseil », art. 1896 des S. R. P. Q. ; les évêques, eux, sont absolument indépendants de la loi en ce qui regarde leurs fonctions de membre du Conseil de l’Instruction publique. Ils s’occupent activement des choses qui regardent l’éducation, non en vertu de la tolérance de l’État, d’une concession de l’État ou d’un privilège que leur accorde l’autorité publique, chez nous, mais en vertu du droit positif qu’a l’Église de veiller à l’éducation primaire de la jeunesse catholique.

Et l’État, par la bouche de trois de ses premiers ministres, depuis 1881, a confirmé le fait que j’avance. Les honorables Mousseau, Ross et Mercier, en trois circonstances différentes, alors qu’ils étaient premiers ministres, ont déclaré solennellement, en plein parlement, que toute législation ayant trait à l’éducation primaire devait être proposée par les comités du Conseil de l’Instruction publique. Or, dans le comité catholique, il est puéril de le nier, les évêques, depuis qu’ils en font partie, y ont toujours exercé une influence prépondérante et continuent à exercer cette influence, au témoignage de l’honorable M. Chapais lui-même. C’est en raison de cette influence prépondérante des évêques dans le Conseil que les différentes branches de la législature de Québec ont souvent reconnu que l’étude des lois scolaires était du domaine de ce corps.

Connaissant ainsi l’origine de notre loi d’éducation, son caractère confessionnel et la composition particulière du Conseil de l’Instruction publique, en ce qui regarde les évêques, peut-on affirmer, avec M. Tardivel, que ces éminents personnages “ne siègent pas en évêques ” au sein de ce même Conseil ? Qu’ils soient présidés par un laïc — ceci n’est pas dans la loi — qu’ils siègent à côté de MM. Ouimet, Masson, Chapais, Langelier et Jetté, ils n’en remplissent pas moins leurs devoirs, en cette matière, en qualité d’évêques. La théorie de dédoublement de notre excellent confrère, nous ne l’acceptons pas.

Quant à la situation qui est faite aux évêques dans le conseil, relativement au nombre de membres qui composent ce corps, il est bon de remarquer que le comité catholique se compose d’un nombre égal d’évêques et de laïcs, le Surintendant compris ; que le choix du président du comité catholique appartient aux membres de ce comité, que la présidence n’en revient pas de droit à aucun laïc. Il est certain que, sur les onze membres laïcs du comité catholique, il s’en trouvera toujours quelques-uns qui suivront les évêques quand il s’agira des questions de principe.

Cependant, afin de prévenir tout abus, il y aurait un moyen bien simple de régler la difficulté : ce serait d’amender la loi de manière à ce que la présidence du comité catholique appartint de droit au doyen de l’épiscopat. Et, comme le président du comité a voix prépondérante en cas d’égalité de voix ; c’est-à-dire qu’il a le droit de voter deux fois, les catholiques de la province de Québec auraient la garantie que, lorsqu’ils le jugeraient à propos, leurs évêques pourraient user de leurs droits absolus en matière d’éducation. À cette réforme, ajoutons-en une autre : « Les curés devraient être de droit présidents de la commission scolaire de leur paroisse, avec liberté de refuser cette charge, si leur Ordinaire le jugeait à propos ”. De cette façon, on aurait complété la loi sans la détruire, sans en changer le caractère dont les évêques et les législateurs du vieux temps l’ont revêtue.

Ainsi amendé, nos lois scolaires répondraient absolument, il nous semble, au peut-être qui se trouve dans la récente et admirable lettre de nos évêques sur l’Éducation[5]. Grâce à l’ensemble des faits que nous venons d’exposer très sommairement, nous croyons pouvoir affirmer : 1o que la Famille, chez nous, jouit en toute liberté du droit sacré qu’elle possède de donner aux enfants une éducation de son choix ; 2o que l’Église exerce en toute liberté ses droits augustes, positifs et inaliénables dans la formation des âmes, des intelligences et des cœurs et que l’autorité publique l’aide sincèrement « à maintenir et à répandre cet esprit chrétien, sans lequel les sociétés se corrompent et tombent en ruine » ” ; 3o que l’État, à la grande satisfaction des autorités religieuses, ne fait qu’user, sous le regard des évêques, d’un droit relatif dont il se trouve investi quand le bon fonctionnement de ses lois et ses fins légitimes exigent des individus qui le composent une certaine somme d’éducation et d’instruction.

Pour les mêmes raisons que nous venons de donner, Son Éminence le cardinal Taschereau déclarait en 1886 : « Qu’il serait à souhaiter que dans le monde entier les droits de l’Église, de l’État et de la Famille fussent aussi bien respectés que dans notre province ». Pour ces mêmes raisons, le grand évêque Freppel déclarait aux chambres françaises, le 13 juillet 1880, que « le Canada était le premier de tous les pays pour l’instruction primaire ». Et pour ces mêmes raisons encore, nous avons demandé à M. Tardivel, le 1er mai dernier, “ s’il serait opportun, dans la province de Québec, de jeter l’État hors de l’École.

M. Tardivel dit, quelque part dans ce que nous citons plus haut de lui : « Un amendement » de deux lignes, de deux mots, voté par la législature, peut fermer la porte du conseil aux évêques ». Ceci est possible. Mais le projet que rêve notre confrère, s’il devient jamais loi, sera exposé au même danger. Il en est de même de toutes les lois créées par les parlements.. Et dans le cas présent, ce n’est pas chose aussi facile que le pense M. Tardivel, pour la législature, que d’apporter le moindre changement à notre système scolaire. Il faudrait, d’abord, qu’un gouvernement prît la chose en main, s’exposant ainsi à se faire un tort politique immense ; que toute une législature niât publiquement un pacte demi-centenaire ; enfin, que la « députation » fût en majorité dépourvue de tout sens catholique. Car, si la législature mettait les évêques à la porte du Conseil de l’Instruction publique, ce serait évidemment pour s’emparer, au nom de l’Etat, de l’éducation de l’enfance, contrairement au droit véritable.

M. Tardivel nous cite l’exemple du Manitoba, puis termine son éloquent article du 9 du courant comme suit :

« Il faut penser au lendemain. Pendant quelques années l’ingérance de l’État dans les questions scolaires n’a pas eu de trop graves inconvénients au Manitoba. Mais le faux principe était posé et accepté, le faux principe que l’organisation scolaire est une fonction politique. Voyez les résultats ! Eh bien ! le même faux principe produira infailliblement les mêmes désastres dans la province de Québec. M. Magnan ne mourra pas sans le voir, selon les probabilités humaines ; et selon les mêmes probalités nous, qui sommes cependant plus âgé que notre contradicteur, serons témoins du même spectacle qui, tout en nous donnant raison contre lui, nous affligera autant que lui ».

Le cas de Québec et celui du Manitoba n’est pas du tout semblable. En premier lieu, la population de notre province est presqu’entièrement française et catholique, tandis que celle du Manitoba est en grande partie anglaise et protestante ; en deuxième lieu, l’État, dans la province de Québec, ne s’est pas emparé de l’École, mais y est entré à la faveur des mandements épiscopaux et au retentissement des anathèmes que l’Église fulmina contre ceux de ses enfants qui ne voulaient pas comprendre la nécessité de l’éducation, tandis que le gouvernement du Manitoba a non seulement transformé l’organisation scolaire en fonction politique, mais il n’a pas même eu le cœur de respecter les droits de la minorité.

Dans notre province, l’organisation scolaire n’est pas une fonction politique. Le rôle de l’État se borne à voter des sommes d’argent qui sont distribuées sous la direction du Conseil de l’Instruction publique et dont l’emploi est contrôlé par le département du même nom. Et c’est précisément parce que nous voulons que l’autorité publique reste dans son rôle d’aide, de protecteur, de surveillant, et au besoin se serve de son glaive, que « nous nous sommes donné tant de mal » pour faire connaître un système qui, sans être parfait est une « cause de joie légitime pour l’Eglise canadienne ».

Durant cette longue discussion que, pour notre part, nous terminons aujourd’hui, nous avons voulu le plus grand bien de l’Église et de la Patrie. Ce n’est pas M. Tardivel que nous combattons, mais un préjugé que trop de personnes partagent à l’égard de notre système scolaire. Les intentions du rédacteur de la Vérité, nous les savons franches et droites. Aussi, nous n’avons jamais mis sa bonne foi en doute, suspecté la noblesse du motif qui l’a guidé depuis le commencement de ce débat.

  1. C’est Son Eminence qui souligne.
  2. Que l’on remarque bien que c’est toujours Son Eminence qui parle.
  3. Pour le texte complet de cette lettre de Son Éminence le cardinal Taschereau à l’honorable J.-J. Ross, voir l’Enseignement primaire du 15 octobre 1886.
  4. Il est bon de remarquer que la loi des écoles de fabrique encore en force. À ceux qui le désirent, de s’en servir.
  5. « C’est pour elle (l’Église canadienne) une joie légitime de voir fonctionner ici un système d’éducation (celui de la province de Québec) qui, sans être absolument parfait et sans réunir peut-être toutes les conditions désirables, repose cependant sur une entente cordiale entre l’autorité civile et l’autorité ecclésiastique, et ménage à cette dernière, dans l’approbation des maîtres et des méthodes, une part d’influence propre à sauvegarder les intérêts sacrés de la famille, de la conscience et de la foi ». — Lettre pastorale des évêques du Canada sur l’éducation.