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Polikouchka (trad. Bienstock)/Chapitre4

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Traduction par J.-Wladimir Bienstock.
Stock (Œuvres complètes, volume 6p. 54-57).
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IV

Une demi-heure se passa. L’enfant criait. Akoulina se leva et lui donna le sein. Elle ne pleurait déjà plus, mais, de la main soutenant son visage maigre et encore joli, elle regardait fixement la chandelle qui touchait à sa fin. Elle pensait : « pourquoi me suis-je mariée ; pourquoi faut-il tant de soldats ? et comment puis-je me venger de la femme du menuisier ? »

Elle entendit les pas de son mari. Elle essuya ses larmes et se leva pour le laisser passer. Polikeï entra bravement. Il jeta son bonnet sur son lit, respira, et se mit à enlever sa ceinture.

— Eh bien quoi ? Pourquoi t’a-t-elle fait appeler ?

— Hum ! C’est connu ! Polikouchka c’est le dernier des hommes, et quand il y a quelque affaire c’est lui qu’on appelle ! C’est Polikouchka.

— Quelle affaire ?

Polikouchka ne se hâtait pas de répondre. Il alluma sa pipe et cracha.

— Elle m’a ordonné d’aller chez un marchand pour toucher de l’argent.

— Apporter de l’argent ? demanda Akoulina.

Polikouchka sourit et hocha la tête.

— Ah ! comme elle parle bien ! Toi, dit-elle, tu étais noté comme un homme peu sûr, seulement j’ai plus confiance en toi qu’en aucun autre. (Polikeï parlait haut pour être entendu des voisins). Tu m’as promis de te corriger, alors, voici la première des épreuves nécessaires pour que je te croie. Va chez le marchand, — dit-elle, — prends l’argent, et rapporte-le moi.

— Moi, dis-je, madame, tous vos serfs doivent vous servir comme Dieu. C’est pourquoi je sens que je peux faire tout pour votre santé et ne refuse aucun travail ; je remplirai tout ce que vous ordonnerez, parce que je suis votre esclave (de nouveau il sourit, de ce sourire particulier d’un homme faible, bon et coupable.) — Alors, dit-elle, ce sera sûr ? Comprends donc que ton sort en dépend. — Comment, dis-je, pourrais-je ne pas comprendre que je puis faire tout ? Si on vous a dit du mal de moi, on peut en dire autant de chacun, et moi, je crois n’avoir jamais pensé rien contre votre bonheur. En un mot je l’ai enchantée si bien que madame est devenue tout à fait souple. — Toi, dit-elle, tu seras mon homme de confiance. (Il se tut et de nouveau le même sourire s’arrêta sur son visage). Je sais bien comment il faut causer avec eux, quand j’étais à la corvée… Le maître arrive, bondit, mais je n’avais qu’à lui parler, il se calmait tant, qu’il devenait comme du velours.

— C’est beaucoup d’argent ? — demanda Akoulina.

— Trois fois un demi-millier de roubles, — répondit négligemment Polikeï.

Elle hocha la tête.

— Quand faut-il partir ?

— Elle a dit demain. « Prends, dit-elle, le cheval que tu veux, va au bureau, et que Dieu t’accompagne. »

— Dieu soit loué ! — prononça Akoulina en se levant et se signant. — Que Dieu t’aide, Ilitch, — murmura-t-elle pour ne pas être entendue derrière la cloison. Et le retenant par la manche de sa chemise : — Ilitch, écoute-moi ; je te supplie, au nom du Christ, quand tu partiras, baise la croix en jurant que tu ne boiras une seule goutte.

— Tu crois que je boirai avec tant d’argent ! Là-bas, comme il y a quelqu’un qui joue du piano … C’est chic ! ajouta-t-il après un court silence et en souriant. — C’est sans doute la demoiselle. J’étais debout devant elle, devant madame, sur le seuil, et la demoiselle de l’autre côté de la porte. Elle se mit à jouer, elle se mit à jouer ; c’est si beau ! Je jouerais, ma foi, j’arriverais, j’arriverais juste, je serais habile pour cela. Donne-moi pour demain une chemise propre.

Et ils allèrent se coucher heureux.