Pompéi et les Pompéiens/02

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II

LE FORUM.

L’auberge de Diomède. — La niche de Minerve. — Aspect et monuments du Forum. — Le temple antique. — Les ex-voto des païens. — Le temple de Vénus. — La Basilique. — Le Forum reconstruit.

En débarquant à la station, déjeunez d’abord à la popina de Diomède : c’est une auberge contemporaine qui a pris un nom antique pour faire plaisir aux voyageurs. Vous y boirez du vin de Falerne fabriqué chez Scala, le chimiste napolitain, et si vous demandez quelque jentaculum à la romaine, on vous servira un bifteck aux pommes de terre. Vos forces restaurées, vous gravirez le coteau de cendres et de déblais qui vous cachent les ruines ; vous donnerez vos 2 francs au bureau et vous passerez par le tourniquet du contrôle, assez étonné de se trouver là. Ces formalités accomplies, vous n’avez plus rien de moderne à subir, si ce n’est la compagnie d’un guide, en uniforme militaire, qui vous escorte pour vous surveiller (surtout si vous appartenez au pays de lord Elgin), mais nullement pour vous rançonner. Des écriteaux vous défendent, dans toutes les langues connues, de lui offrir une obole. Vous entrez en pleine vie antique ; vous êtes libre comme un Pompéien.

La première chose qu’on aperçoit est une arcade et une niche de madone ; mais la niche contient une Minerve. Sous l’arcade, s’ouvrent de vastes magasins qui servaient probablement d’entrepôt. On entre dans une rue montante et pavée, on passe entre le temple de Vénus et la Basilique et l’on arrive au Forum. C’est ici qu’il faut s’arrêter.

À première vue, l’on n’y distingue qu’un carré long, fermé au fond par un tertre régulier qui s’élève entre deux arcades ; des allées latérales s’allongent à droite et à gauche, entre des fûts de colonnes et des édifices délabrés. Çà et là, quelques pâtés de pierres indiquent des autels ou des bases de statues absentes. Le Vésuve, toujours menaçant, fume au fond du tableau.

Le Forum. — Dessin de A. de Bar d’après une photographie.

Regardez mieux : les colonnes cannelées sont en pierre de Caserte, en tuf ou en briques, revêtues de stuc, et élevées de deux marches au-dessus de la place. Sous le degré inférieur, court le canal. Ces colonnes supportaient une galerie sur laquelle on montait par des escaliers étroits et roides, que le temps a conservés. Cette galerie supérieure devait être couverte. Les femmes s’y promenaient. Un second rang de colonnes, probablement interrompu devant les monuments, reposait sur l’autre. Le pavé de la place sur lequel on marche encore était en travertin.

Voici les ruines du temple. Il était élevé sur un soubassement (podium) et tourné au nord. On y monte par un perron que coupe, au centre, une plate forme où se dressait peut-être l’autel. Sur le podium, il reste des vestiges de douze colonnes qui formaient le portique antérieur ou le pronaos. À droite et à gauche du perron, des piédestaux portaient autrefois des statues probablement colossales. Derrière le pronaus on reconnaît la place où fut la cella ; il n’en reste que le pavé en mosaïque et les murs. Des traces de colonnes permettent de reconstruire richement ce sanctuaire. Les murs vêtus de stuc offrent encore de jolies peintures décoratives.

De quel dieu visitons-nous la maison ? De Jupiter, dit l’opinion commune, sur la foi d’une statue colossale dont on a trouvé des fragments qui pouvaient convenir à l’image du roi des dieux. Divers membres détachés en pierre et en bronze, qui ne sont pas brisés à l’extrémité, comme s’ils appartenaient à quelque statue, mais polis sur toutes les faces et taillés de manière à pouvoir être suspendus, ont été retrouvés dans ces débris : c’étaient des offrandes votives.

Des deux côtés du temple de Jupiter (c’est le nom généralement accepté) s’élèvent, comme j’ai dit, des arcades. Celle à gauche, est une porte voûtée qui, trop avancée et trop basse, ne répond pas à l’autre et dérange, on ne sait trop pourquoi, la symétrie de cette partie du Forum. L’autre arcade est évidemment une porte triomphale ; il n’en reste que la carcasse en briques, des niches et des traces de demi-colonnes ; mais il est facile d’y replacer les marbres et les statues qui devaient décorer ce monument d’assez mauvais goût. Tel était le fond du Forum.

Quatre édifices considérables se suivent sur le côté oriental de cette place publique : ce sont, en allant du sud au nord, le palais d’Eumachia, le temple de Mercure, la salle du Sénat et le Panthéon.

En redescendant du nord au midi, le premier monument qui frappe est un portique assez long, tourné à l’orient sur le Forum, on y a cru voir un Pœcile, un musée, un divan, un cercle, un grenier à blé ; toutes ces opinions sont également bonnes.

Derrière le Pœcile, s’ouvrent de petites chambres dont quelques-unes sont voûtées ; on y a ramassé des squelettes, on en a conclu que c’étaient des prisons. Plus bas s’étend, le long du Forum, le mur latéral du temple de Vénus.

On entre au temple de Vénus, patronne de Pompéi, par la rue voisine que nous avons déjà traversée. Belles ruines, les plus belles peut-être de Pompéi : une vaste enceinte (ou péribole) encadrant un portique de quarante-huit colonnes, dont plusieurs sont encore debout, et le portique entourant lui-même le podium, où s’élevait le temple proprement dit, la maison de la déesse. En face de l’entrée, au pied du perron qui monte au podium, l’autel est destiné, paraît-il, aux simples offrandes de fruits, de gâteaux et d’encens que l’on consacrait à Vénus. Outre la forme de l’autel, une inscription retrouvée et une statue de la déesse, dont l’attitude pudique rappelle le chef-d’œuvre de Florence, autorisent suffisamment, à défaut de renseignements plus précis, le nom qu’on adonné à cet édifice.

Ruines du temple de Vénus. — Forum de Pompéi. — Dessin de Thérond d’après une photographie.

Le dernier monument du Forum, au sud-ouest, est la Basilique ; la rue par laquelle nous sommes entrés la sépare du temple de Vénus. La structure de l’édifice ne laisse aucun doute sur sa destination, confirmée d’ailleurs par le mot de Pasilica ou Bassilica marqué çà et là par les oisifs, à la pointe d’un couteau, sur les murs. Basilique vient d’un mot grec qui signifie roi et pourrait se traduire assez exactement par Cour royale.

On voit ce qu’était la place publique dans une ville romaine : une vaste cour entourée des monuments les plus importants (trois temples, la Bourse, les tribunaux, les prisons, etc.), fermée de tous côtés (on voit encore aux issues des traces de portes grillées), décorée enfin de statues, d’arcs de triomphe, de colonnades : un centre d’affaires et de plaisirs, un lieu de promenade et de réunion, le Corso, le boulevard antique, ou pour mieux dire, le cœur de la cité. Sans grand effort d’imagination, tout cela se relève et se remplit d’une foule vivante et bariolée ; le portique et ses deux étages de colonnes bordent les monuments reconstruits, les femmes inondent les galeries supérieures, les oisifs laissent traîner leurs pas sur les dalles, les longues robes se retroussent en plis harmonieux ; les marchands affairés se pressent au Chalcidique, les statues triomphent sur leurs piédestaux repeuplés, la belle langue des Romains retentit, scandée et sonore ; et le temple de Jupiter assis au fond comme sur un trône, et richement orné d’une élégance corinthienne, resplendit dans toute sa pompe en plein soleil.