Pompéi et les Pompéiens/05

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Péristyle de la maison des questeurs, à Pompéi. — Dessin de Lancelot d’après un dessin communiqué.


POMPÉI ET LES POMPÉIENS,

PAR M. MARC MONNIER[1].
1864. — TEXTE INÉDIT.


V.

L’ART.


Les maisons riches. — Le Forum triangulaire et les temples. — L’architecture pompéienne ; ses mérites et ses défauts. — Les artistes de la petite ville. — Les peintures : paysages, figures, funambules, danseuses, centaures, les dieux, les héros, l’Iliade illustrée. — Les mosaïques. — Les statues et les statuettes. — L’orfévrerie. — Le verre ciselé. — L’art et la vie.

La maison de Pansa était grande, mais peu décorée. Il en est d’autres qu’on montre plus volontiers aux voyageurs. Indiquons-les sommairement en style d’inventaire et de catalogue :

La maison du Faune. — Belles mosaïques, chef-d’œuvre en bronze, le Faune dansant ; nous en parlerons plus loin. — Outre l’atrium et le péristyle, une troisième cour, le xyste, entouré de quarante-quatre colonnes qui se répétaient à l’étage supérieur. — On y a retrouvé, devant le fils de Gœthe, des trésors innombrables. — Le propriétaire était un marchand de vins.

La maison du Questeur ou de Castor et Pollux. — Gros coffres-forts en bois très-épais et très-dur, doublés de cuivre et ornés d’arabesques : peut-être caisses publiques, donc résidence du questeur, préposé à la garde du trésor. — Atrium corinthien. — Belles peintures (la Bacchante, la Médée, les Niobides, etc., etc.). — Riche développement des deux cours.

La maison du Poëte. — Peintures homériques, mosaïques célèbres (le chien du seuil, avec l’inscription : Cave canem, le Chorége faisant répéter une pièce, tout cela est au musée).

La maison de Salluste. — Beau groupe en bronze (Hercule poursuivant une biche) au musée de Palerme. — Joli relief en stuc dans une chambre à coucher. — Trois lits en maçonnerie dans le triclinium. — Venereum honnête et modeste. On y voit un Actéon qui surprend Diane au bain. Ce venereum contenait une chambre à coucher, un triclinium et un laraire, c’est-à-dire la petite niche en marbre où régnait le dieu de la maison.

La maison de Marcus Lucrétius. — Très-curieuse. Péristyle formant comme une estrade, peuplée de babioles qu’on a eu le bon esprit d’y laisser : miniature de fontaine, petits gradins, petit canal, diminutif de piscine, bestioles en bronze, statuettes de toute sorte : Bacchus et Bacchantes, Faunes et Satyres dont l’un qui lève le bras par-dessus sa tête est charmant : un autre, en forme d’hermès, tient un chevreau dans ses bras ; la chèvre, qui veut ravoir son petit, lève ses pattes de devant, comme pour grimper sur le ravisseur, tout cela forme un joli musée de brimborions, un rayon d’étagère antique.

Maison de Lucretius. — Dessin d’Hubert Clerget d’après une photographie.

Voir aussi l’Adonis de la maison d’Adonis ; le sacrarium (chapelle domestique) de la maison des colonnes de mosaïque ; les bêtes fauves décorant la maison de la Chasse ; voir surtout les nouvelles fouilles où les peintures ont encore tout leur éclat. Mais si toutes ces habitations sont à visiter, elles ne sont point à décrire.

D’ailleurs ces maisons sont dépouillées. Je vous annoncerais dans telle pièce une jolie peinture, une riche mosaïque ; vous iriez la chercher sur place et vous ne la trouveriez point ; elle est au musée de Naples ; et si elle n’est pas au musée, elle n’est plus nulle part. Le temps, l’air et le soleil l’ont détruite. Ceux donc qui inventorient ces maisons vous préparent de tristes mécomptes. Le seul moyen de se faire une idée de l’art pompéien n’est pas d’examiner un à un tous les monuments, mais de les grouper dans sa tête et de visiter attentivement le musée ; on recompose ainsi comme une petite ville idéale, une Pompéi artistique que nous allons essayer de parcourir.

Pompéi avait deux forum et même trois : le troisième était un marché ; le premier que vous connaissez était une place publique ; l’autre, que nous allons visiter, était une sorte d’acropole, fermée comme celle d’Athènes et placée sur le point le plus élevé de la ville. D’un banc encore en place à l’extrémité de ce forum, on découvre la vallée du Sarno, les montagnes ombreuses qui la ferment, le damier cultivé de la campagne, les touffes vertes des bois ; puis la côte mollement recourbée où serpentait Stabies, les hauteurs pittoresques de Sorrente, le bleu foncé de la mer, le bleu transparent du ciel, l’infinie limpidité des horizons lointains, la clarté, la couleur antique. Ceux qui n’ont pas vu cette nature ne peuvent comprendre qu’à moitié ces monuments, toujours dépaysés sous un autre soleil.

Dans cette lumière s’élevait l’acropole de Pompéi, le forum triangulaire. Huit colonnes ioniques en décoraient l’entrée et soutenaient un portique d’une pure élégance, d’où s’éloignaient et s’écartaient l’une de l’autre, en formant un angle aigu, deux sveltes colonnades encore surmontées de l’architecture qu’elles supportaient légèrement. La terrasse qui regardait la campagne et la mer marquait le troisième côté du triangle au milieu duquel se dressaient quelques autels, l’ustrine où l’on brûlait les morts, un petit temple rond couvrant un puits sacré, enfin le temple grec, dominant tout du haut de son soubassement, et dessinant dans l’air ses colonnes libres. Ce plateau, appuyé sur de fortes assises et rempli de monuments d’un beau style était la page la mieux réussie, la plus solidement correcte de Pompéi. Par malheur le stuc, ici comme partout, avait revêtu la pierre. Les colonnes étaient peintes. Nulle part une façade en marbre clair, — le blanc dans le bleu ! — n’interrompait le ciel.

Les autres temples nous fournissent peu de documents sur l’architecture. Vous connaissez ceux du Forum. Celui de la Fortune, aujourd’hui fort délabré, devait ressembler à celui de Jupiter. Élevé par un Marcus Tullius, parent putatif de Cicéron, il ne nous a guère donné que des statues médiocres et des inscriptions pleines de fautes, prouvant que les prêtres de l’endroit, fort peu cicéroniens, ne savaient pas leur langue. Le temple d’Esculape, outre son autel, a gardé un chapiteau bizarre, corinthien, si l’on veut, où des feuilles de chou, remplaçant les feuilles d’acanthe, enveloppent une tête de Neptune. Le temple d’Isis, encore debout, est plus curieux que beau : il démontre que cette déesse égyptienne était vénérée à Pompéi[2], mais il ne nous apprend rien sur l’art antique. On entre de côté, par une sorte de couloir, dans l’enceinte sacrée ; le temple est à droite, des colonnes l’entourent, une niche voûtée se creuse sous l’autel et servait de cachette aux prêtres, à ce que disent les romanciers ; par malheur la porte de la niche sautait et saute encore aux yeux, ce qui rendait la supercherie impossible. On fait du tort aux oracles païens. Derrière la cella, une autre niche contenait une statue de Bacchus, qui était peut-être le même dieu qu’Osiris. Un purgatoire, destiné aux purifications et aux ablutions, et descendant dans un réservoir souterrain, occupait un angle de la cour. Devant ce purgatoire se dresse un autel sur lequel on a trouvé des restes de sacrifices. Isis fut donc la seule divinité invoquée au moment de l’éruption. Sa statue peinte tenait la croix ansée d’une main, le sistre de l’autre, et ses cheveux lui tombaient sur les épaules en longs anneaux très-fins et très-soigneusement bouclés.

Voilà tout ce que les temples nous donnent ; artistiquement, c’est peu. Les autres monuments ne sont pas beaucoup plus riches en renseignements sur l’architecture antique. Ils nous apprennent que les matériaux employés étaient surtout la lave, le tuf, les briques excellement préparées, ayant plus de surface et moins d’épaisseur que les nôtres, le pipérin, la pierre de Sarno, que le temps rend très-dure, quelquefois le travertin, même le marbre dans les ornements ; enfin le mortier romain, d’une solidité célèbre, moins parfait cependant à Pompéi qu’à Rome, enfin le stuc dont la croûte unie et polie revêt la ville entière, comme d’un manteau bariolé. Mais ces édifices ne nous disent rien de particulier ; il n’y a ni style pompéien, ni artistes de l’endroit portant un nom connu, ni singularité de goût et de mode ; en revanche un éclectisme facile, adoptant volontiers toutes les formes et trahissant la décadence ou la stérilité du temps. Je rappelle que la ville était en reconstruction lorsqu’elle fut détruite ; les restaurations maladroites accusent un certain penchant à ce luxe à bon marché, qui, chez nous, a remplacé l’art. Le stuc enjolive et défigure tout, l’être est sacrifié au paraître, l’élégance à cette avarice fastueuse qui se donne un faux air de profusion. Dans bien des endroits, les cannelures sont économiquement préservées par des baguettes qui les remplacent dans la partie inférieure des colonnes. La peinture se substitue à la sculpture, partout où elle peut la remplacer. Les chapiteaux affectent des formes bizarres, quelquefois réussies, mais tout à fait étrangères à la simplicité du grand art. Ajoutez des fautes qui choquent le premier regard (par exemple la décoration du temple de Mercure, où les panneaux se terminent alternativement en frontons et en arcades ; la façade du purgatoire, dans le temple d’Isis, où l’arcade elle-même, en coupant la corniche, s’engage hideusement dans le fronton). Je ne veux rien dire des fontaines, ni surtout des colonnes, hélas ! formées de coquillages et de mosaïque.

De pareilles fautes choquent l’œil des puristes ; n’oublions jamais cependant que nous sommes dans une petite ville dont la plus belle maison appartient à un marchand de vins. On n’y peut sincèrement chercher le Parthénon, ni même le Panthéon de Rome. Les architectes pompéiens travaillaient pour de simples bourgeois qui tenaient à posséder de jolies maisons, pas trop grandes ni trop chères, mais d’une riche apparence et d’un gaieté qui réjouit les yeux. Ces commerçants furent servis à souhait par d’habiles gens qui tiraient parti de tout, taillant des pièces par vingtaines dans un espace qui ne suffirait pas pour une grande salle de nos palais, profitant des inégalités, de tous les accidents du terrain pour étager leurs maisons en amphithéâtres, se multipliant en ingénieux subterfuges pour masquer le défaut d’alignement, et, somme toute, avec de faibles ressources et de petits moyens si l’on veut, réalisant pourtant ce que rêvaient les anciens, l’art dans la vie.

J’en atteste leurs peintures couvrant ces belles parois de stuc si soigneusement préparées, si fréquemment enduites du mortier le plus fin, si ingénieusement saupoudrées de poussière luisante, enfin tant de fois remaniées, repolies, rebattues avec des rouleaux de bois qu’elles finissaient par imiter et par valoir le marbre. Peintes à fresque ou à sec, l’encaustique ou par d’autres procédés, peu importe : c’est affaire aux techniciens de le décider[3]. Toujours est-il que ces décorations murales étaient une fête pour les yeux et le sont encore. Elles partageaient les murs en trois ou cinq panneaux, se développant entre un socle et une frise ; le socle était plus foncé, la frise plus claire, l’entre-deux plus vif (rouge etjaune, par exemple, la frise étant blanche et le socle noir). Dans les maisons simples, ces panneaux unis étaient partagés par de simples lignes ; puis, peu à peu, la maison s’enrichissant, ces lignes devenaient des cadres ornés, des guirlandes, des pilastres, bientôt des pavillons fantastiques où l’imagination du décorateur s’ébattait librement. Cependant les socles se couvraient de feuillages, les frises d’arabesques et les panneaux de peintures, simples d’abord : une fleur, un fruit, un paysage, bientôt une figure, puis un groupe, enfin de grands sujets historiques ou religieux qui couvraient parfois tout un pan de muraille et auxquels le socle et la frise servaient de pompeux encadrement. Ainsi la fantaisie du décorateur pouvait s’élever jusqu’à l’épopée (voy. p. 405).

Ces peintures seront éternellement étudiées ; elles nous donnent des documents précieux non-seulement sur l’art, mais sur tout ce qui regarde l’antiquité, les mœurs, les usages, les cérémonies, les costumes, la maison, les éléments, la nature. Pompéi n’est pas une galerie de tableaux, c’est plutôt un journal illustré du premier siècle. On y voit des paysages singuliers : une petite île au bord de l’eau, — un rivage du Nil, où un âne qui veut boire se penche vers la gueule d’un crocodile qu’il n’aperçoit pas, tandis que son maître s’efforce en vain de le tirer par la queue. Ce sont presque toujours des rochers au bord de l’eau, tantôt parsemés d’arbres, tantôt couverts de temples échelonnés, tantôt se dressant en âpres solitudes où se perd quelque pâtre avec son troupeau, quelquefois animés par une scène historique (Andromède et Persée). Viennent après les petits tableaux de nature morte : corbeilles de fruits, vases de fleurs, ustensiles de ménage, bottes de légumes, la collection de fournitures de bureau peinte dans la maison de Lucrétius (l’encrier, le stylet, le couteau à papier, les tablettes et une lettre pliée en forme de serviette avec l’adresse : à Marcus Lucrétius, flamine de Mars, décurion de Pompéi). Parfois ces peintures ont quelque velléité d’humour, il en est deux qui font pendant sur un mur et dont l’une montre un coq et une poule se prélassant en pleine vie, tandis que sur l’autre, le coq est attaché tristement ; son jour est venu.

Je ne dis rien des bouquets où les lis, les iris et les roses prédominent, ni des festons et des guirlandes, ni des bosquets entiers décorant les murs du jardin de Salluste. Je me borne à indiquer les peintures d’animaux, les chasses, les combats de bêtes fauves traités avec une vigueur, une pétulance étonnantes. Il en est un surtout, encore tout frais, encore en place dans une des maisons récemment découvertes ; un sanglier s’y rue sur un ours en présence d’un lion magnifiquement tranquille qui regarde. C’est deviné, comme disent les Napolitains.

Et j’aborde la figure. Ici, variété infinie ; tous les genres, de la caricatures l’épopée, sont essayés, épuisés. Le chariot chargé d’une outre énorme et remplie de vin que des esclaves sont occupés à mettre en amphores ; l’enfant qui fait danser un singe, le peintre qui copie un hermès de Bacchus, la rêveuse probablement sur le point d’envoyer un message qu’attend une servante ; le marchand d’amours ouvrant sa cage pleine de petits dieux ailés qui, en s’échappant, lutinent de mille façons une femme pensive et triste ; que de sujets différents ! — Mais je n’ai encore rien dit. Les Pompéiens excellaient surtout dans la peinture de fantaisie. Tout le monde connaît ces nuées de petits génies qui s’abattant sur les murs de leurs maisons, tressaient des couronnes ou des guirlandes, pêchaient à la ligne, chassaient des oiseaux, sciaient des planches, rabotaient des tables, couraient dans des chars, ou dansaient sur la corde en portant des thyrses pour balanciers : l’un accroupi, l’autre agenouillé, l’autre faisant jaillir un flot de vin d’une corne dans un vase, un quatrième jouant de la lyre, un cinquième de la double flûte, sans quitter la corde tendue qui fléchit sous leurs pieds adroits. Mais plus belles que ces funambules divins flottaient les danseuses, merveilles de nonchalance et de légèreté, soulevées d’elles-mêmes et soutenues sans effort dans l’air voluptueux qui les berce. Voyez-les toutes au musée de Naples, celle qui heurte des cymbales, celle qui frappe le tambourin, celle qui tient un rameau de cèdre et un sceptre d’or, celle qui tend un plat de figues, celle qui porte une corbeille sur la tête et un thyrse à la main. Une autre, la tête repliée en arrière, les yeux levés au ciel, enfle son voile comme pour s’envoler ; celle-ci enferme des touffes de fleurs dans un pli de sa robe, celle-là qui, d’une main, tient un plat d’or, couvre de l’autre sa tête avec un pallium ondoyant, comme l’oiseau qui met son cou sous son aile ; il en est qui sont presque nues, il en est qui se drapent de tissus transparents et « tramés d’air, » — quelques-unes s’enveloppent d’épais manteaux qui les couvrent toutes, mais qui vont tomber ; deux d’entre elles, se tenant par la main, s’enlèvent ensemble : autant de danseuses, autant de danses différentes, autant d’attitudes, de mouvements, d’ondulations, d’attributs divers.

Continuons : Nous entrons en pleine mythologie. Toutes les divinités antiques passeront devant nous, tantôt isolées (comme la belle Cérès, vraiment imposante, de la maison de Castor et de Pollux), tantôt groupées en scènes connues dont quelques-unes reviennent souvent sur les murs pompéiens. Ainsi l’éducation de Bacchus, le roman d’Ariane, Pâris et les trois déesses, Achille à Scyros, Apollon et Daphné, Adonis mourant, Zéphire et Flore, les héros surtout : Thésée et Andromède, Méléagre, Jason, Hercule en tête, ses douze travaux, son combat avec le lion de Némée, ses tendresses, ses faiblesses (voir dans les nouvelles fouilles, maison de Siricus, la grande peinture où, vaincu par l’amour et l’ivresse, il succombe en présence d’Omphale et de Bacchus triomphant). Voilà les épisodes préférés par les décorateurs de la petite ville. Ils empruntaient quelquefois leurs sujets aux poëmes de Virgile, plus souvent à ceux d’Homère ; je pourrais citer toute une maison (celle du Poëte, appelée aussi Maison homérique) dont la cour intérieure était une Iliade illustrée. On y voyait la séparation d’Agamemnon et de Chryséis, puis celle de Briséis et d’Achille qui, assis sur un trône, avec une expression de soumission irritée, invitait la jeune fille à retourner chez Agamemnon : beau tableau justement célèbre. Là régnait aussi la jolie Vénus que Gell n’a pas craint de comparer pour la forme à celle de Médicis et pour la couleur à celle du Titien.

Fouilles récentes à Pompéi. — Exèdre de la maison de Siricus. — Dessin de Thérond d’après une photographie.

C’est dans le péristyle de cette maison que fut retrouvée la copie du fameux tableau de Timanthe, le sacrifice d’Iphigénie. « L’ayant représentée debout près de l’autel où elle va périr, l’artiste peignit la tristesse sur le visage des assistants et surtout de Ménélas ; puis, ayant épuisé tous les caractères de la douleur, il voila le visage du père, ne trouvant plus possible de lui donner l’expression convenable. » Elle était, selon Pline, l’œuvre de Timanthe, et telle est exactement la reproduction qu’on en a trouvée dans la maison du Poëte, à Pompéi.

Fouilles récentes. — Maison de Proculus. — Achille surpris par Ulysse parmi les filles de Lycomède, fresque. — Dessin de Thérond d’après une photographie.

Cette Iphigénie et la Médée de la maison de Castor et Pollux (rappelant le chef-d’œuvre du byzantin Timomachos), sont les deux seules peintures pompéiennes qui reproduisent des tableaux connus ; n’en concluons pas cependant que les autres soient originales. Les peintres de la petite ville n’étaient ni des créateurs, ni des copistes, mais des imitateurs très-libres, brodant à leur tête sur des thèmes connus. De là cette variété qui nous surprend chez eux dans la reproduction du même sujet. J’ai bien vu dix Arianes surprises par Bacchus ; il n’en est pas deux qui se ressemblent. De là aussi cette aisance et cette liberté de main montrant des décorateurs qui prenaient leurs aises. Certes, leurs œuvres, d’un mérite fort inégal, ne sont pas des modèles de correction ; les fautes de dessin et de proportion, les maladresses et les étourderies y pullulent ; mais qu’on choisisse en France une sous-préfecture de trente mille âmes et qu’on dise aux peintres de l’endroit : « Mes amis, vous allez arracher partout, dans les appartements, ces grandes feuilles de papier de couleur collées sur les murs et vous peindrez à la place des socles et des frises, des images de dévotion, des tableaux de genre et d’histoire qui résument les idées, les croyances, les mœurs et le goût de notre temps, de telle sorte que si demain les Pyrénées, les Cévennes, ou le Jura croulent sur vous, les générations futures, qui déterreront vos maisons et vos chefs-d’œuvre, puissent étudier ici notre siècle qui sera pour eux l’antiquité… » que feraient les peintres de cette petite ville ? Je puis affirmer, je crois, sans leur manquer de respect, qu’ils seraient fort embarrassés.

Fouilles récentes à Pompéi. — Maison de Proculus. — Ariane et Bacchus, fresque. — Dessin de Thérond d’après une photographie.

Tels étaient les murs de Pompéi, regardons les pavés, ils nous étonneront davantage encore. Au commencement, le pavage était simple : on formait une pâte avec une sorte de mortier, on la saupoudrait de poussière de briques pilées et l’on en faisait une composition qui, durcie, ressemblait à du granit rouge. Plusieurs chambres et plusieurs cours de Pompéi sont pavées de cette composition qu’on appelait opus signinum. Puis, dans cette croûte, on aligna d’abord de petits cubes de marbre, de verre, de pierre calcaire, d’émaux colorés formant des carrés ou des bandes, puis d’autres compliquant les lignes ou variant les couleurs et d’autres encore traçant des dessins réguliers, des méandres, des arabesques, si bien que les cailloux découpés finirent par couvrir complétement la pâte rougeâtre, et l’on eut ainsi les mosaïques, ces tapisseries de pierre qui acquirent bientôt la valeur et l’importance des grandes œuvres d’art.

La maison du Faune, à Pompéi, la plus richement pavée, était un musée de mosaïques. Il y en avait une devant la porte, sur le trottoir, inscrite du salut antique. Une autre, au bout du prothyrum, figurait artistement des masques. D’autres, dans les ailes de l’atrium, composaient une petite ménagerie : deux canards, des oiseaux morts, des coquillages et des poissons, des colombes tirant des perles d’une cassette, enfin un chat dévorant une caille, chef-d’œuvre de mouvement et de précision. Pline parle d’une maison dont le pavé représente des restes de repas : on l’appelait la Maison mal balayée. Mais, ne quittons pas celle du Faune où les mosaïstes avaient encore brodé dans l’œcus un superbe lion, en raccourci, fort dégradé malheureusement, mais merveilleux de force et d’audace. Dans le triclinium, une autre mosaïque montrait Acratus, le génie bachique, à cheval sur une panthère ; enfin, celle de l’exèdre, la plus belle qui existe, compte parmi les plus précieux monuments de l’art ancien. C’est la fameuse bataille d’Arbelles ou d’Issus. Et cette merveille n’était que le pavé d’un salon ! « Les anciens mettaient les pieds où nous mettons les mains, » dit un Anglais qui dit la vérité pure. Les plus belles tables des palais de Naples ont été coupées dans les planchers de Pompéi.

C’est dans la même maison qu’on a déterré le fameux Faune dansant, statuette en bronze. Il a la tête et les bras levés, les épaules rejetées en arrière, la poitrine saillante, chaque muscle est en mouvement, tout son corps danse. Il manquait un pendant à ce petit dieu plein de force et d’élan, les dernières fouilles l’ont trouvé dans une maison assez pauvre : c’est un frêle jeune homme plein de nonchalance et de grâce, le Narcisse qui entend au loin la nymphe Écho : sa tête est penchée, son oreille tendue, son doigt tourné vers l’endroit d’où vient le bruit ; tout son corps écoute.

Fouilles récentes. — Le jugement de Pâris, fresque de la maison de Proculus. — Dessin de Thérond d’après une photographie.

On a recueilli d’autres œuvres moins parfaites peut-être, mais charmantes : le Pêcheur assis de la petite fontaine en mosaïque, le groupe d’Hercule tenant un cerf accroupi sous son genou, un petit Apollon accoudé, lyre en main sur un pilier, un vieux Silène portant une outre, une jolie Vénus arrangeant ses cheveux mouillés, une Diane chasseresse, etc., etc. — Sans compter les Hermès et les doubles bustes. Les moins remarquables de ces marbres attestent le besoin d’élégance qui entrait si profondément dans les mœurs des anciens. Chez nous, l’art n’est jamais que le superflu, quelque chose d’insolite et d’étranger à nos idées et à nos habitudes. Si nous avons une Vénus de Milo sur la pendule de notre cheminée, ce n’est pas que nous adorions la beauté, ni qu’à notre sens il y ait le moindre rapport entre la Mère des Grâces et l’heure qu’il est : Vénus se trouve fort dépaysée, elle s’ennuie. Pour trouver quelque analogie avec le sentiment qui devait animer les Pompéiens, il faudrait aller dans nos campagnes où règne encore une divinité d’autrefois, la Gloire, et admirer avec quelle religion l’on y conserve les lithographies grossières du vieux Drapeau et du petit Caporal. Là seulement, l’art moderne est entré dans les mœurs : vaut-il l’antique ?

Que si de la peinture et de la sculpture nous descendons aux genres inférieurs ; si, comme nous avons essayé de le faire dans la maison de Pansa, nous dépouillons le musée pour repeupler les habitations pompéiennes et que nous remettions à leur place le beau candélabre avec la panthère sculptée qui emporte, en courant l’enfant Bacchus, le scyphus précieux où deux centaures prennent en croupe de petits amours ; l’autre vase où Pallas se tient debout sur un char, appuyée sur sa lance ; la casserole d’argent (il y avait des casseroles d’argent !) dont le manche est attaché par deux têtes d’oiseaux ; la simple balance (on sculptait des balances !) où l’on voit un demi-buste de guerrier coiffé d’un casque splendide ; enfin les humbles objets, les plus ignobles ustensiles, la simple poterie couverte d’ornements gracieux, quelquefois exquis — si nous allons demander au musée de Naples ce qui remplaçait chez les anciens les affreuses boîtes ou nous enfermons nos morts, et qu’on nous montre ce beau vase qui paraît incrusté d’ivoire et qui présente en bas-reliefs des masques enveloppés de pampres compliqués, tortueux, chargés de grappes, entremêlés d’autres feuillages, s’enchevêtrant de folles arabesques, formant des rosettes où perchent des oiseaux et ne laissant que deux espaces libres où des enfants chers à Bacchus cueillent ou foulent des raisins, touchent des lyres, soufflent dans la double flûte ou tombent en faisant claquer leurs doigts, — (or le vase est en verre bleu, les reliefs en verre blanc : les anciens ciselaient le verre !) — ah ! sans doute, en voyant toutes ces merveilles, vous serez forcé de reconnaître que les bourgeois de l’ancien temps étaient, pour le moins, aussi artistes que nous. Il n’y avait pas de distinction entre le nécessaire et le luxe des arts, entre le positif et l’idéal. L’art était le pain quotidien et non le gâteau des dimanches ; il entrait partout, éclairait, égayait, parfumait tout. Il ne flottait pas en dehors ni au-dessus de la vie ; il en était l’âme et la joie ; il la pénétrait enfin et il en était pénétré lui-même — il vivait. Voilà ce que nous ont appris ces modestes ruines.

  1. Suite et fin. — Voy. page 385.
  2. Une inscription mal interprétée de la porte de Nola avait fait croire un instant que l’importation de ce culte singulier remontait aux premiers temps de la petite ville ; mais on sait qu’il fut introduit par Sylla dans le monde romain. Isis, c’était la Nature, patronne des Pompéiens, qui la vénéraient également dans leur Vénus physique. Cette religion mystérieuse, symbolique, pleine de secrets cachés au peuple ; ces déesses à tête de chien, de loup, de bœuf, d’épervier ; le dieu Oignon, le dieu Ail, le dieu Poireau, tout ce que raconte Apulée de ce culte dégénéré, outre les documents fournis par les fouilles pompéiennes, les goupillons retrouvés, les bassins, les couteaux, les trépieds, les cymbales, les sistres, tout cela vaudrait la peine d’être étudié.

    Sur la porte du temple, une étrange inscription annonçait que Numérius l’opidius, fils de Numérius, avait relevé à ses frais le temple d’Isis, renversé par un tremblement de terre, et qu’en récompense de sa libéralité, les décurions l’avaient gratuitement adjoint à leur collége, à l’âge de six ans. Les antiquaires, quelques-uns du moins, trouvant cet âge invraisemblable, ont lu soixante ans au lieu de six, oubliant qu’il existait autrefois deux sortes de décurions, les ornamentarii et les prætextati : ceux d’honneur et ceux d’office. Les premiers pouvaient être agrégés au sénat pompéien en récompense des services rendus par leurs pères. Une inscription trouvée à Misène confirme le fait. (Voir les Mémoires de l’Accademia Ercolanese, anno 1833.)

  3. Le docte Minervini a remarqué certaines différences dans les enduits qui couvrent les murs pompéiens. Il en a signalé de plus fins, où, selon lui, les anciens peignaient à fresque les compositions soignées, les paysages et les figures, tandis que les simples décorations étaient peintes à sec par des peintres inférieurs. Je rappelle en passant que plusieurs peintures, surtout les plus importantes, étaient rapportées et fixées aux parois par des crampons de fer ; on a même observé que le dos de ces tableaux n’adhérait point aux murs, excellente précaution contre l’humidité. Cet usage de scier et de déplacer les peintures murales était fort ancien : on sait que les riches Romains ornèrent leurs maisons d’œuvres d’art achetées ou volées en Grèce et l’on connait le fameux contrat de Mummius qui, s’arrangeant avec des marchands pour transporter à Rome les chefs-d’œuvre de Zeuxis et d’Apelles, stipula que s’ils se perdaient ou l’endommageaient en route, les marchands les feraient refaire à leurs frais.