Portraits de femmes (Huguenin)/001

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Éditions La Patrie (p. 10-11).

LA VÉNÉRABLE MÈRE DE L’INCARNATION
FONDATRICE DES URSULINES DE QUÉBEC

L’une des plus héroïques femmes du Nouveau-Monde qui ait apporté chez nous, à Québec, le premier flambeau de la civilisation, est bien la vénérable Marie Guyart de l’incarnation (Madame Joseph-Claude Martin), surnommée la Thérèse du Nouveau-Monde. Cette femme remarquable à tous égards s’est acquis des droits innombrables à la reconnaissance du Canada français. Lorsqu’elles vinrent ici fonder un pays civilisé et chrétien, elles n’ignoraient rien des périls qui les y attendaient… les récits des voyageurs étaient aussi véridiques que terribles.

Dès 1608, Champlain avait choisi les Ursulines et les Sœurs Augustines (Hôtel-Dieu) pour civiliser et christianiser les peuplades sauvages qui habitaient ce pays et pour éduquer les enfants des Français établis en Nouvelle-France où la vie était perpétuellement menacée par les guerriers sauvages. Car ici, la civilisation était difficile plus qu’en aucun autre pays. Communiquer avec la France constituait un effort terrible. Les bateaux de ce temps n’avaient rien de ceux d’aujourd’hui : les voyageurs obligés à séjourner sur la mer des mois et des mois, ne savaient à quel moment on pourrait atterrir d’un côté ou de l’autre de ce redoutable Atlantique. Seulement, tel était l’esprit de foi que des Jésuites d’abord, des religieuses ensuite, s’embarquèrent avec confiance et sérénité, laissant le plus beau pays du monde pour venir habiter une contrée où le nécessaire était souvent inconnu. Mais rien n’arrêtait l’élan de ces apôtres qui voulaient conquérir un Canada à la France, des peuples hérétiques à la foi du Seigneur.

Une jeune dame riche, Madeleine de Chauvigny, Madame de la Peltrie, habitait aussi la ville de Tours, en cette belle Touraine que l’on nomme le Jardin de la France. Toutes deux se jugèrent. Madame de la Peltrie, héritière d’une belle fortune, raconte à la Mère Marie de l’Incarnation que son désir ardent, était d’employer son héritage à la fondation d’une maison nécessaire à la colonie naissante du Canada dont on se préoccupait fort en France, en ce moment où la pieuse Anne d’Autriche donnait l’exemple d’une foi qui touchait au mysticisme. Comment la tâche de Champlain, dans un pénible recrutement, s’en trouva facilitée.

L’Angélique Mère de la Troché, âgée comme Madeleine de Chauvigny (Madame de la Peltrie) vint se joindre à ses deux compagnes. Cette jeune religieuse du Monastère de Tours, tout comme Marie de l’incarnation, d’une frêle santé, aspire à devenir l’institutrice des petites sauvagesses.

Avant de quitter leur douce patrie, les trois fondatrices sont mandées à la cour de France et reçues par la Reine Anne d’Autriche qui leur témoigne son admiration, sa générosité et son amitié. Le fils de Marie de l’incarnation, Charles Martin, fit ses adieux à cette mère qu’il ne reverrait qu’au Ciel. Elle le laissa à la garde des Jésuites. Plus tard il devint bénédictin et longtemps supérieur d’une maison de son Ordre.

En mettant le pied sur la terre canadienne, les religieuses embrassèrent la terre ; elles allèrent prier à la chapelle de la Recouvrance, où la messe fut dite. Avant de s’embarquer à Dieppe, elles avaient recruté une nouvelle Ursuline Madame Cécile Richer de Sainte Croix, ainsi que trois Hospitalières destinées à fonder l’Hôtel-Dieu de Québec sous les auspices de la duchesse d’Aiguillon, nièce du Cardinal de Richelieu.

Après avoir accepté l’invitation de diner chez le pieux gouverneur au Château Saint-Louis, les Pères Jésuites les amenèrent à Sillery, où elles trouvèrent une chrétienté florissante. Elles y rencontrèrent des petites filles indiennes, objet de leur première délection. Puis elles vinrent s’installer dans leur modeste réduit de la basse-ville où elles vécurent trois ans dans un saint labeur. Elles apprirent la langue huronne et divers dialectes afin d’apprendre aux petites Indiennes, la religion d’abord, ensuite les premiers éléments d’une civilisation qui saura bientôt les combler d’aise.

1642 est une date mémorable, celle où les religieuses entrèrent dans le monastère qu’elles n’ont plus jamais quitté, presqu’au centre de Québec, en pleine forêt vierge, entouré d’un immense parc. Au fur et à mesure, des maisons s’élevèrent sur ce terrain ménageant toujours l’endroit d’un jardin ou cour de récréation où des milliers et des milliers d’enfants ont reçu leur éducation. Au cours des trois siècles passés, les religieuses restèrent à leur poste pour poursuivre l’œuvre de Marie de l’Incarnation.

En 1650 la première maison devint la proie des flammes et en 1682 un nouvel incendie causa le même ravage. On hospitalisa les religieuses et les enfants le mieux possible. Maison après maison s’édifia le monastère.

Madame de la Peltrie qui n’avait jamais quitté Québec, avait passé son existence dans une petite maison sise dans un coin du parc des Ursulines. Elle mourut en 1671 et le 30 avril 1672 la Mère de l’Incarnation mourut en odeur de sainteté, et depuis en maintes circonstances son intervention céleste a encore étendu sa protection sur l’œuvre des Ursulines.

De 500 à 550 enfants, dit l’Annuaire de la maison, fréquentent les classes chaque année, les pensionnaires (200), demi-pensionnaires (250 enfants), les externes (100). L’École Normale dans une maison séparée, avec environ cent élèves, forme un pensionnat distinct de Normaliennes, sous la direction de Mgr  le Principal auquel sont adjoints des professeurs nommés par le gouvernement, mais aux religieuses est confié l’éducation morale de ces élèves, éducation considérée comme la plus noble fonction de l’Ursuline.

Les Ursulines de Québec jouissent de par toute l’Amérique d’une réputation extraordinaire. Elles ont fondé des missions ici au Canada ; quelques-unes exercent leur mission protective aux États-Unis, lesquelles, je le crois, sont venues directement de France. Et partout où elles s’installent, elles reçoivent tous les respects et toutes les admirations.