Portraits de femmes (Selden)/Une Patriote italienne

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G. Charpentier (p. 316-334).


UNE
PATRIOTE ITALIENNE




Quand je vis pour la première fois Rome, il y a un peu plus de trois ans, je n’y trouvai pas tout d’abord l’Italie que j’avais rêvée. Je visitai, comme et avec tout le monde, de beaux musées, des monuments imposants, des ruines colossales ; j’assistai à des offices pompeux, je fis connaissance avec des églises magnifiques. Je vis même des pifferari jouant de la cornemuse et des paysannes de la campagne romaine taillées sur le modèle de celles qu’on rencontre dans les ateliers parisiens. Mais je vis surtout des Anglais, des Allemands, des Américains, c’est-à-dire tout ce que je n’étais point venu voir. Sans cesse le Page:Selden Camille - Portraits de femmes.djvu/318 Page:Selden Camille - Portraits de femmes.djvu/319 Page:Selden Camille - Portraits de femmes.djvu/320 Page:Selden Camille - Portraits de femmes.djvu/321 Page:Selden Camille - Portraits de femmes.djvu/322 Page:Selden Camille - Portraits de femmes.djvu/323 Page:Selden Camille - Portraits de femmes.djvu/324 Page:Selden Camille - Portraits de femmes.djvu/325 Page:Selden Camille - Portraits de femmes.djvu/326 Page:Selden Camille - Portraits de femmes.djvu/327 Page:Selden Camille - Portraits de femmes.djvu/328 Page:Selden Camille - Portraits de femmes.djvu/329 Page:Selden Camille - Portraits de femmes.djvu/330 de nouveaux sujets d’observation et d’étude. Lorsque la marquise arriva dans la ville natale du Pérugin, l’esprit, la grâce, le charme inné de cette femme de génie aussi bonne que simple contribuèrent beaucoup à pacifier les esprits encore émus d’indignation au souvenir d’un fait digne d’une bande de sauvages, le récent massacre des bourgeois de Pérouse par la garde Suisse.

Les nobles qualités de la marquise, ses rares talents lui valaient partout des admirations sincères. Elle a surtout laissé des souvenirs bien affectueux, bien solides parmi les membres de cette université de Pérouse qui, pour être moins considérable que celle de Bologne, n’en abonde pas moins en hommes de talent et de cœur. On se sentait irrésistiblement entraîné vers cette grande utiliseuse de forces qui simplement, et pour ainsi dire sans y penser, semait le bien sur son passage, et ne reculait jamais lorsqu’il s’agissait de s’instruire et d’apprendre. Le caractère original des anciennes cités Ombriennes, les trésors ensevelis dans leurs musées et dans leurs bibliothèques, avant tout la valeur historique de ces trésors, lui inspirèrent le projet d’un travail extrêmement curieux et remarquable. Ce travail, qui présuppose une patience de bénédictin et constitue un vrai chef-d’œuvre artistique, consistait non-seulement à collectionner les principaux documents qu’elle avait pu se procurer sur les origines de la ville de Sienne et sur celles de la province environnante, mais à prendre les dessins de tous les sceaux, et l’empreinte de toutes les armoiries significatives pour l’histoire. Le tout, arrangé en album avec un goût extrême, représente l’œuvre d’une femme de plus de soixante-douze ans dont rien n’annonçait la fin prochaine.

Elle mourut presque subitement à Florence, en février dernier, laissant ses amis et ses proches comme atterrés par la fin inattendue d’une personne encore pleine d’énergie physique et de jeunesse intellectuelle. Les pauvres qu’elle nourrissait, les affligés qu’elle consolait, les ignorants qu’elle instruisait, tous enterrèrent avec elle la plus noble des bienfaitrices. Quant au pays, il pleure en elle une des femmes les plus distinguées de l’Italie nouvelle, une personne dont le caractère et les actes furent l’expression constante d’un grand principe, celui qui nous apprend à aimer notre patrie pour servir notre patrie, et à considérer les biens et les talents dont nous pouvons être pourvus comme des avantages dont nous sommes tenus à faire profiter nos semblables.


FIN.