Postface

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Les ÉpavesAlphonse Lemerre, éditeurPoésies d’Auguste Lacaussade, tome 1 (p. 295-298).

POSTFACE


On a réuni sous ce titre : les Épaves, ce qu’Horace nomme quelque part disjecti membra poetæ, ce qu’il sied ici d’appeler simplement les débris d’une vocation naufragée, d’une existence qui aurait voulu se donner tout entière au culte de l’Art, mais qui a dû, selon les circonstances et les milieux, à travers des luttes mêlées de trêves, se dédoubler, se disperser pour faire face aux fatalités quotidiennes de la vie. Le résultat de ces luttes, au point de vue de l’Art, est ce qui seul importe au lecteur et peut l’intéresser. Bornons-nous donc à lui dire le but poursuivi.

Insania résume en quelques pièces que relie entre elles le lien flottant du lyrisme, les vives ardeurs de la jeunesse, les courtes ivresses, les promptes déceptions et les amertumes de la passion.

Le Poète et la Vie est la peinture des souffrances qu’infligent au rêveur idéal les réalités de la nature et de l’existence sociale ; la protestation de l’homme intuitif contre les

railleries et les négations de l’homme positif ; c’est aussi la revendication du rôle civilisateur de la poésie dans l’antiquité et dans les temps modernes. À l’époque où ce poème a été publié pour la première fois, la législation en vigueur sur la presse ne permettait pas qu’il parût dans son ensemble. Les paragraphes X et XI en ont été supprimés. On y appréciait des personnages et des aventures néfastes, qui avaient alors pour eux l’indulgence complice du grand nombre et la trompeuse sanction du succès. Aujourd’hui, dans une édition définitive, on croit devoir les rétablir. Cette suppression, en effet, nuisait non seulement à l’intelligence du poème en tant qu’œuvre d’art, mais elle en mutilait la donnée historique et la portée morale, en limitant au passé une réprobation qui, dans la pensée de l’auteur, avait surtout en vue des faits contemporains. Le présent et le passé sont passibles de la même flétrissure. Il faut laisser aux hommes et aux événements leur responsabilité. La Poésie, après tout, comme l’Histoire, ne doit aux morts que la vérité.

Les actions qu’on fait ont des lèvres d’airain.

Les Études poétiques et surtout les Anacréontiques sont une halte dans le domaine paisible de l’Art. Aux heures où l’inspiration personnelle doit se taire, une excursion chez quelques lyriques étrangers est une diversion apaisante à de stériles et sourdes anxiétés. Il y a, dans tout poète un artiste qui s’impatiente de l’inaction : le style toujours lui démange comme dit Du Bellay ; il faut l’occuper et l’amuser en lui donnant a résoudre d’exquises difficultés. Parmi ces difficultés, nous rangeons volontiers les traductions en vers Doit-on traduire en vers un poète ? La tâche peu, sembler insurmontable. Si la fidélité littérale est déjà une presque impossibilité en prose, que sera-ce en poésie ? Mais on peu, j’imagine, s' inspirer d’un poète étranger, lui emprunter une idée ou un sentiment, s’en nourrir, se les approprier par un travail de patiente élaboration, et les exprimer ensuite en s’ingéniant à conserver de l’original qu’on interprète la ligne, couleur le nombre, certaines habitudes et tournures de diction, ce qui constitue, en un mot, sa physionomie propre. C'est ce qu'on a tenté de faire. A-t-on réussi ? et ne serait-ce pas ici le cas de dire avec Sainte-Beuve, le maître en élégances :

Dans mes efforts, la grâce s'est enfuie !

Quoi qu'il en soit, il y a plaisir et profit à ces études de Forme pour qui prend l'Art au sérieux et voudrait en pénétrer voudrait en pénétrer les secrets. Dans cette gymnastique de style, l'esprit se discipline et s'assouplit ; on s'évertue à serrer de près sa pensée, à la condenser dans une expression précise et vivante. — Il est telles odes d'Anacréon qui par la pureté du dessin, la sobriété vive du tour, le solide éclat du mot, sont de véritables camées : cela est divinement court et net.

Il y a autre chose encore qu'une science de rythme à tire de la fréquentation de quelques maîtres anciens : on apprend d'eux une résignation pacifiante aux fatalités de la vie ; les tristesses du présent s'éclaire à cette riante philosophie du passé, — sagesse tout humaine et pratique que résume et nous conseille le carpe diem d'Horace.

Les Automnales sont les chants, les effusions de l'âge mûr aux approches de l'automne. L'homme intime et personnel, le moi s'y révèle tout entier dans ses déceptions amèrement savourées comme dans ses illusions finissantes. Après les ardeurs et les verdeurs des saisons torrides, les tiédeurs mornes des horizons et des soleils de septembre ; après les aspirations orageuses de la jeunesse et ses idéales ferveurs, la vue mélancolique des réalités de la vie, la sérénité triste des choses : sunt lacrimae rerum, dit excellemment Virgile.

Les Poèmes Nationaux ont été écrits sous le coup des poignantes calamités de 1870 ; ils en sont l'écho douloureux et véhément, trop véhément peut-être, mais le patriotisme ulcéré n'est pas toujours maître à garder la mesure en parlant des hommes et des faits qui provoquent de pareilles catastrophes. Pour nous, dans cet effondrement national, résultat de l’abaissement des caractères et des convictions, le devoir était tout indiqué : relever, exalter dans les âmes la religion de la patrie.