Pour la Vicomtesse d’Auchy
XIV
POUR LA VICOMTESSE D’AUCHY
Laisse-moy, raison importune,
Cesse d’affliger mon repos
En me faisant mal à propos
Desesperer de ma fortune ;
Tu perds temps de me secourir,
Puis que je ne veux point guerir.
Si l’Amour, en tout son empire,
Au jugement des beaux esprits,
N’a rien qui ne quitte le pris
A celle pour qui je souspire,
D’où vient que tu me veux ravir
L’aise que j’ay de la servir ?
A quelles roses ne fait honte
De son teint la vive fraischeur ?
Quelle neige a tant de blancheur
Que sa gorge ne la surmonte ?
Et quelle flamme luit aux cieux
Claire et nette comme ses yeux ?
Soit que de ses douces merveilles
Sa parole enchante les sens,
Soit que sa voix de ses accens
Frappe les coeurs par les oreilles,
A qui ne fait-elle advoüer
Qu’on ne la peut assez loüer ?
Tout ce que d’elle on me peut dire,
C’est que son trop chaste penser,
Ingrat à me recompenser,
Se mocquera de mon martyre :
Supplice qui jamais ne faut
Aux desirs qui volent trop haut.
Je l’accorde, il est veritable :
Je devois bien moins desirer ;
Mais mon humeur est d’aspirer
Où la gloire est indubitable.
Les dangers me sont des appas :
Un bien sans mal ne me plaist pas.
Je me rends donc sans resistance
A la mercy d’elle et du sort :
Aussi bien par la seule mort
Se doit faire la penitence
D’avoir osé deliberer
Si je la devois adorer.